Delphine Noyon

© Crédits photo : Patrick Lavaud, La Nouvelle République

« Avec le podcast, nous avons voulu jouer la carte de la proximité »

Dans les médias français, les podcasts ont le vent en poupe, qu’il s’agisse des quotidiens nationaux, des hebdomadaires… et même de la presse régionale. Rencontre avec Delphine Noyon (La Nouvelle République du Centre-Ouest et Centre Presse).

Temps de lecture : 6 min

Delphine Noyon est directrice départementale adjointe des éditions de la Vienne (40 000 lecteurs) au sein de La Nouvelle République du Centre-Ouest et de Centre Presse, quotidiens qui expérimentent les premiers formats audio natifs.

L'année dernière, nous avons publié un article intitulé « Pourquoi les journaux français ne font-ils (presque) pas de podcasts ? ». Les choses ont un peu changé depuis, et beaucoup de titres s’y sont mis. Qu'est-ce qui vous a poussé, vous, à le faire ?

Delphine Noyon : Nous avions deux bonnes raisons. Premièrement, le podcast représente pour nous un format inédit, dont nous sommes à la recherche. Il s’agit de surprendre nos lecteurs habituels pour les garder en éveil avec des nouveautés, mais aussi d’en conquérir de nouveaux, peut-être plus mobiles car le podcast s’écoute en voiture, en marchant, dans le bus, etc.

« Nous sommes un journal de proximité, nous devons aussi être dans le quotidien des gens. »

Nous étions par ailleurs en quête d’une façon originale de traiter des élections européennes (26 mai 2019), qui ne représentent pas un sujet très attractif pour la presse quotidienne régionale (PQR). J’ai estimé que le podcast pouvait donc être intéressant pour donner la parole aux citoyens et leur faire parler de l'Europe. Le podcast est aussi une pratique qui se développe de plus en plus dans notre quotidien à tous, donc je ne vois pas pourquoi nous n’y serions pas. Nous sommes un journal de proximité, nous devons aussi être dans le quotidien des gens. 


L’implication de l'Europe peut parfois être difficile à voir…

Delphine Noyon : Il y a bien sûr l'agriculture, mais, les gens s'interrogent aussi beaucoup sur ce que l'Europe peut leur apporter au niveau du territoire, de la ville ou de la communauté d'agglomération. Nous avons eu l'idée de ce podcast en décembre 2018, au début de la crise des gilets jaunes, avec les ronds-points occupés 24 heures sur 24. Nous nous sommes dits, peut-être plus que d'habitude, qu’il fallait aller chercher la parole des citoyens. Visiblement, ils avaient des choses à dire et il fallait qu'on aille leur faire dire.

Sur les premiers enregistrements réalisés, certains nous disent clairement ignorer à quoi sert l’Europe. L’idée est donc de réaliser ce travail de proximité, d’aller chercher les gens pour enregistrer au micro ce qu’ils ont l’habitude de dire dans un bar ou au restaurant du coin, d’en discuter et éventuellement d'agréger des avis d'experts ou des réactions politiques, etc. pour les faire réagir à la parole de celles et ceux que nous avons interrogés


L’aspect communautaire est effectivement souvent cité dans les bons points du podcast. Dans le même temps, les quotidiens régionaux et locaux sont perçus comme le ciment des communautés. Est-ce pour vous l'occasion de renforcer cet aspect?

Delphine Noyon : Nous avons vraiment voulu jouer sur cette approche. Nous avons défini le podcast sur un territoire : le département de la Vienne, mais plus précisément la communauté d'agglomération de Châtellerault, soit 85 000 habitants. Car nous voulions justement avoir cette proximité et cet effet miroir pour les gens qui habitent le secteur. De la même manière, nous avons décidé que nous n’allions pas les faire venir à la rédaction ou les mettre dans un studio hypothétique mais d'aller à leur rencontre sur leur lieu de travail.

« Nous voulions justement avoir une proximité et un effet miroir pour les gens qui habitent le secteur. »

Nous allons par exemple faire un épisode avec les ouvriers des fonderies du Poitou, que nous irons voir à la sortie de l'usine. Nous irons aussi rencontrer des agriculteurs à la ferme. Nous voulions vraiment être dans leur milieu. C'est plus facile pour eux de s'exprimer devant un micro que devant une caméra, ils peuvent donc nous dire plus de choses. Dans les premiers enregistrements, nous constatons que les personnes interrogées sont beaucoup plus à l'aise pour parler que lorsqu’on leur met une caméra sous le nez. Là l'enregistreur est posé, il y a de la discussion et l’on sent qu'à un moment donné, ces personnes parlent naturellement. Après, évidemment, il y a un travail de « dérushage » à faire, mais, c'est intéressant de pouvoir entendre une parole un peu plus libérée.


Comment envisagez-vous la production de ce podcast ?

Delphine Noyon : Nous en sommes encore au stade d’expérimentation : nous n’avons réalisé aucune embauche, ni monté de studio, et il n’y a pas eu de gros investissements. J'ai proposé le projet à un journaliste de mon équipe, Laurent Gaudens, que je savais assez ouvert aux projets d'innovations et aux défis. Il connaissait déjà un petit peu l’exercice, possédait un enregistreur et était motivé. Nous avons donc aménagé son emploi du temps afin qu’il puisse enregistrer ses podcasts.

« Je suis plutôt allée discuter avec des gens de la PQR qui avaient fait des podcasts que des gens de la radio. »

Pour l’heure, nous n’avons pas de stratégie podcast. Nous scrutons les réactions du public, de la communauté rédactionnelle, pour voir si cela inspire d’autres projets similaires. Réaliser un podcast permet aussi de le montrer aux équipes marketing et commerciales afin qu'elles réfléchissent à d’éventuels moyens de le monétiser, de le sponsoriser, etc. Mais nous n’avons pas encore engagé cette réflexion-là. Il n’y a donc pas « d'après » pour le moment : nous aviserons une fois que nous aurons fait cette première émission si nous continuons ou pas dans ce domaine.


Parmi les acteurs de l'audio au niveau local, on peut citer le réseau France Bleu, qui, dans un sens, noue aussi ce lien entre et avec ses auditeurs. Leur avez-vous demandé conseil ?

Delphine Noyon : Nous ne sommes pas allés voir France Bleu : je n'avais pas forcément envie de ressembler à de la radio. Pour me faire conseiller, je suis plutôt allée discuter avec des gens de la PQR qui avaient fait des podcasts que des gens de la radio. Nous avons regardé ce qui se faisait déjà du côté des podcasts natifs. J'ai mené un état des lieux et beaucoup regardé ce que réalise Grégoire Molle pour L'Yonne républicaine par exemple, qui me semble particulièrement intéressant, avec un véritable côté immersif, en allant voir les gens sur le terrain. Nous ne voulions pas faire de la radio ou du replay, mais vraiment autre chose.

« La réaction du public ne peut donc pas constituer notre unique critère de sélection. »

Les pratiques dans la PQR sont très diversifiées, même si certaines expérimentations n’ont pas été suivies. Sud-Ouest avait élaboré quelque chose au moment de la Foire aux vins, un peu dans l'esprit de ce que fait L'Yonne Républicaine. Quelques-uns font du studio avec des interviews, d’autres proposent des mix de vidéos et d'audio. On trouve des choses très différentes.


Quels critères seront décisifs pour savoir s’il faut continuer ou non cette expérimentation ?

Delphine Noyon : Nous pourrions évidemment nous baser sur les audiences, critère réellement objectif, mais soyons honnêtes : le sujet des élections européennes n'attire pas les foules, il faudra donc demander si le concept a plu. La réaction du public ne peut donc pas constituer notre unique critère de sélection.

« Nous avons tous intérêt à essayer tous les formats. »

Une fois que tous les épisodes seront publiés, nous ferons donc un point en interne et verrons au sein du journal quelles sont les réactions : le format plaît-il ? Faut-il s'engager davantage dans le podcast. Tout cela sera analysé, j'espère avant l'été, peut-être pour la rentrée de septembre. Et puis après, nous verrons si nous lançons d'autres projets.


Cette expérimentation sur le podcast s’inscrit-elle dans une réflexion plus globale sur les nouveaux formats ?

Delphine Noyon : Nous testons de nouvelles pratiques dans la Vienne, mais aussi dans les autres éditions départementales, avec notamment les stories Instagram. Dans l'Indre, les équipes ont publié une story sur les cahiers de doléances d'aujourd'hui et ceux de 1789 par exemple. Pour ce qui est de la vidéo, c'est un format que l’on a déjà bien travaillé et qui est installé.


Pensez-vous qu’il est important pour un ensemble de quotidiens régionaux d'être à la pointe ? Est-ce une question de différenciation par rapport à vos concurrents ? Voire de survie ?

Delphine Noyon : Je pense que nous avons tous intérêt à essayer tous les formats. Nous voyons depuis plusieurs années que notre façon de travailler a beaucoup évolué avec Internet. Il y a la vidéo donc, mais, aussi la façon d'écrire pour le Web, les longs formats, les diaporamas qui racontent une histoire etc. Il est nécessaire que nous soyons toujours ouverts à ce qui se fait, à ce qui se crée, sans pour autant trop nous disperser.

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