Le Conseil de surveillance (Oversight Board) de Facebook et d’Instagram vient de conforter la plateforme dans sa décision de suspendre les comptes de Donald Trump, prise le 7 janvier après l’attaque du Congrès américain par certains de ses partisans extrémistes. Seule réserve : le Conseil demande à Facebook de statuer sur la sanction définitive à appliquer à l’ancien président américain dans les six prochains mois. Florence G’Sell, professeure à l’université de Lorraine et co-directrice de la Chaire digital, gouvernance et souveraineté de Sciences Po, analyse la portée de cette décision.
Le Conseil de surveillance de Facebook a décidé de maintenir la suspension de Donald Trump. Pourquoi cette décision ?
Florence G'Sell : Le Conseil devait déterminer si Facebook avait raison de suspendre le compte le 7 janvier, après les évènements du Capitole. Il avance que les propos tenus par Donald Trump étaient dangereux et que, compte tenu de son audience sur Facebook et Instagram, cela créerait un risque très important. L’analyse est finalement très pragmatique. Le Conseil rappelle qu’il y a trois types de sanctions prévues par les conditions générales de Facebook : la suppression d’un contenu, une suspension temporaire pour une durée déterminée, ou une désactivation définitive. Or, en décidant de suspendre le compte de Donald Trump de manière indéterminée, la plateforme ne suivait pas ce qui était prévu. C’est pour cela que le Conseil estime que Facebook doit se prononcer à nouveau sur la sanction de manière plus conforme à ses conditions générales.
Que pensez-vous de cette décision ?
Sur le fond, on peut considérer qu’il fallait suspendre le compte de Donald Trump à ce moment-là. Sur le reste de la décision, je suis un peu plus circonspecte. J’ai l’impression que le Conseil a joué sur les mots avec les conditions générales : la question posée par Facebook revient quand même à demander s’il faut laisser Trump revenir ou pas. Le Conseil de surveillance n’y répond pas vraiment et renvoie la balle à Facebook, la suspension « indéterminée » ressemblant quand même fortement à une suspension définitive. On aimerait bien avoir leur avis là-dessus ! Deux points me mettent assez mal à l’aise. Officiellement, ce Conseil de surveillance statue au regard de la politique de Facebook et de ses conditions générales. Et puis il y a toute une référence au droit international, aux droits de l’Homme. Le Conseil s’y réfère et souligne que ces textes sont appliqués parce que Facebook a fait le choix de les intégrer dans ses valeurs et sa politique de contenu. On a le sentiment que ces références sont là pour faire bonne figure, mais que ce qui compte d’abord, ce sont les conditions générales de Facebook. Le Conseil de surveillance de Facebook doit encore s'affirmer pour jouer pleinement son rôle de contre-pouvoir vis-à-vis de la plateforme, qui décide seule de ce qui peut être vu. Il donne l’impression de valider ce qu’a fait Facebook.
La légitimité qu’a Trump à s’exprimer est un peu mise au second plan. Pourtant, en janvier, des gens comme Edward Snowden, Alexei Navalny, Angela Merkel se sont dit très troublés. Je ne vois pas dans la décision du Conseil de réponse très approfondie à ces objections. Il demande à Facebook d’appliquer ses conditions générales, on reste dans l’univers de la plateforme. La justification est un peu décevante pour moi de ce point de vue-là. Je ne suis pas à l’aise avec la réflexion concernant le statut des chefs d’État, des grands dirigeants, des gens qui représentent un gouvernement. Le Conseil de surveillance a l’air de considérer que les questions de modération se posent de la même façon que l’on soit un président élu par des millions de personnes ou un influenceur suivi par des millions d’abonnés. Je m’attendais à quelque chose de plus étayé sur ce point-là.
Quels éléments supplémentaires auriez-vous aimé voir mis en avant par le Conseil ?
Le Conseil n’a pas une posture facile. Il doit appliquer les valeurs de Facebook. Le site lui se réfère au droit international — terme assez vague. Il me semble qu’il y avait quand même une possibilité d’aller plus loin sur la question du droit d’accéder à l’information, de connaître ce qu’a à dire le président des États-Unis en exercice, la possibilité de connaître certaines informations, fussent-elles choquantes. Des millions de gens ont voté Donald Trump, une portion significative du monde le connait : c’est quelque chose qu’on peut mettre en balance avec l’impératif de sécurité qui est avancé.
Quelle sera la portée de cette décision dans les futurs choix de modération de Facebook ?
Cette décision dit surtout à Facebook : « Appliquez vos conditions à la lettre. Vous avez le droit de considérer qu’un dirigeant comme Donald Trump porte atteinte à l’ordre public, mais dans ce cas-là, résolvez le problème en conformité stricte avec vos conditions générales. » Le Conseil conforte Facebook dans son choix d’intervenir contre des élus, des grands dirigeants, et ce n’est pas négligeable. D’autres chefs d’État sont concernés : Facebook a restreint pendant trente jours le compte du président vénézuélien Nicolas Maduro, pour sa promotion de remèdes alternatifs au Covid-19.
Cette décision dit surtout à Facebook : « Appliquez vos conditions à la lettre.
Cette décision conforte-t-elle le choix d’autres plateformes qui ont banni Donald Trump ?
Twitter, qui a supprimé le compte de Donald Trump, a aussi appliqué stricto sensu ses conditions générales. Là, on était encore une fois dans les clous. Et la décision du Conseil de surveillance de Facebook n’exprime aucune opposition de principe à cette application par les plateformes.
De quels recours Donald Trump pourrait-il encore bénéficier ?
Donald Trump a fait un communiqué extrêmement violent. C’est difficile de savoir ce qu’il peut faire de plus ; il a déjà fait des recours peu fondés par le passé. Sur le plan strictement juridique, il semble difficile qu’il puisse tenter une action supplémentaire. Notons quand même que la Floride a voté le 29 avril 2021 un texte interdisant la déplateformisation de personnalités politiques. On peut douter de la constitutionalité de cette loi, mais il y a toujours une possibilité pour Donald Trump de l’utiliser. Il est plus probable qu’il aille s’épanouir sur d’autres plateformes : Parler, le réseau social de l’alt-right américaine, sera bientôt de retour sur l’App Store.