La vidéo à la demande et la diffusion multi support, des enjeux stratégiques
Alors que le Canada est un pays où les ICC apparaissent particulièrement concentrées et le secteur des médias contrôlé par
quelques grands conglomérats intégrés verticalement, ce succès de Netflix au Canada soulève des questions d’ordre socio-économique pour les acteurs composant et dominant le secteur médiatique canadien et interroge l’organisation des ICC à un niveau national.
Avant de nous intéresser à ces conglomérats et à leur stratégie, précisons qu’à l’heure actuelle, au Canada, le développement Netflix ne semble pas avoir généré
une baisse des abonnements à des services « traditionnels » de télévision ou renversé la domination des câbloopérateurs sur le marché de la culture et de la communication. À ce titre, selon l’étude de l’Observateur des technologies médias évoquée précédemment, on constate que 87 % des usagers de Netflix restent abonnés à un service « traditionnel » de télévision. Ainsi, on semble observer plutôt une coexistence de pratiques dans la mesure où Netflix vient compléter une offre préexistente. Cette observation renvoie au fait qu’en matière de médias une nouvelle technologie ou un nouveau service recouvrant un ensemble de pratiques ne remplace pas forcément un « ancien » média, mais peut également coexister avec ce dernier laissant ainsi se dessiner « une superposition des pratiques de communication et de consommation culturelle ».Précisons que l’arrivée de Netflix au Canada ne date que de 2010, il est donc encore difficile de prévoir quelle sera à long terme l'incidence de l’arrivée de ce nouvel acteur sur le paysage médiatique. Ce que l’on peut dire c’est qu’aujourd’hui, la « télévision traditionnelle » reste, en particulier pour certains événements sportifs et culturels, un important lieu de célébration de rituels collectifs.
Néanmoins, redoutant l’émergence et le développement de nouveaux acteurs tel que Netflix, les acteurs dominant le paysage médiatique canadien tel que Québécor (Club Illico), Bell (Télé Fibe) et Rogers Canada ainsi que le radiodiffuseur public Radio-Canada (Ici Tout.tv) ont choisi de lancer
leur propre service d’écoute en ligne afin, selon eux, de s’adapter à l’évolution des ICC et de mieux répondre à l’émergence de nouvelles pratiques de consommation culturelles. On retrouve des acteurs qui, depuis les années 1970, ont développé d’importantes infrastructures de communication et câblodistribution au sein d’industries culturelles où les fonctions de distribution et de diffusion apparaissent comme la clef de la domination.
Au Canada, l’un des services de vidéo à la demande les plus aboutis est Club illico de Vidéotron que le groupe définit lui-même comme un «
Netflix québécois ». Vidéotron est le câblo-opérateur de Québécor, un conglomérat dominant les industries médiatiques au Québec et qui développe des activités dans les domaines de l’impression, de l’édition de journaux, de magazines et de livres, de vidéo, de vente au détail de produits culturels, télédiffusion, de télécommunications d'affaires, de câblodistribution, d’accès Internet, de portails Internet et de téléphonie. En 2013, Vidéotron décide donc de lancer Club illico à volonté, un service illimité de vidéos sur demande (films, séries, émissions jeunesse et documentaires) disponible sur une multitude de supports (télévision, ordinateur, tablette, etc.) pour 9,99 dollars par mois. Pour Robert Dépatie, président de Vidéotron, Club illico a pour vocation de concurrencer Netflix et d’adapter Vidéotron à la nouvelle réalité du marché. Mettant en avant ses programmes francophones et québécois pour Québécor, Club Illico correspondrait mieux aux pratiques culturelles des Québécois et Québécoises et à l’identité culturelle de la province qu’un service comme Netflix. Le service de vidéos à la demande compte actuellement environ 4 000 titres, des titres que Vidéotron cherche régulièrement à renouveler tout en obtenant des contenus originaux en exclusivité afin d’avoir l’offre la plus attractive possible. À titre d’exemple, en mars 2014,
Vidéotron annonce ainsi que C
lub illicoproposera une nouvelle production québécoise,
Mensonges,une série policière produite par Sophie Deschênes de Sovimage, écrite par Gilles Desjardins et réalisée par Sylvain Archambault.
Ainsi, la croissance fulgurante d’un acteur comme Netflix, mais aussi les « stratégies de modernisation » des acteurs que nous venons d’évoquer font apparaître les services de vidéo à la demande ainsi que la diffusion multisports comme des enjeux stratégiques au sein du secteur de l’audiovisuel. Ces dispositifs qui interrogent les modalités de diffusion, de valorisation et de consommation de la culture tendent à conforter les acteurs que nous d’évoquer dans leur domination des ICC, des acteurs qui aujourd’hui semblent les plus à même à répondre aux pratiques des usagers en matière de consommation de contenus télévisuels. Ainsi, pour un service de vidéo à la demande, proposer une offre attractive veut dire disposer d’une manne de contenus importante, mais aussi être capable de valoriser et mettre à disposition ces derniers en étant conscient des pratiques des usagers. Dès lors, comme Philippe Bouquillion l’explique, « les acteurs des industries de la communication semblent mieux à même que ceux des industries de la culture de tirer profit des modes de valorisation spécifiques qui se développent grâce au déploiement des supports électroniques. »