Des chaînes TV à deux vitesses
Si la télévision satisfait efficacement aux besoins de chacun pour remplir la plus grande partie de son temps de divertissement quotidien, toutes les chaînes ne sont pas à égalité pour satisfaire ces attentes. La confiance est le paramètre majeur de la relation entre l’éditeur et son client, mais elle ne se décrète pas, elle s’acquiert et se préserve. Selon ce critère, la multiplication des chaînes, notamment gratuites, avec des programmes banalisés, sans identité a, de fait, provoqué l’émergence d’un secteur à deux vitesses.
Dans le 1er groupe, celui des chaînes premium, se trouvent les chaînes qui sont perçues par le public comme légitimes à proposer de nouveaux programmes, parce qu’elles en ont les moyens financiers (TF1, France 2, France 3, M6) ou, dans une moindre mesure, pour certains types de programmes, parce qu’elles ont un positionnement éditorial très ciblé (France 5 pour les magazines, Arte pour la fiction européenne originale, NRJ 2 et W9 pour la téléréalité, RMC Découverte pour les docu-réalités).
Dans le 2e groupe, les chaînes banalisées dont la grille est composée de rediffusions de séries ou de marques fortes de divertissement comme Une Famille en Or, Le maillon faible, Star Academy, La Nouvelle Star, et qui ne sont pas perçues comme crédibles sur une offre de nouveautés parce qu’elles ont construit leur audience, donc leur relation avec le public, sur les rediffusions et la nostalgie associée à ce retour de marques-programme déjà connues. Ce sont toutes les chaînes généralistes de la TNT gratuite, y compris W9 et NRJ12, hors programmes de téléréalité.
Sauf exceptions qui confirment la règle (Touche pas à mon poste, In ze boite), toutes les nouveautés diffusées sur la TNT ont été des échecs, notamment les jeux.
Le public donne l’impression de réagir face à ces nouveaux programmes comme s’il pensait que si c’était bien, ce serait sur une chaîne premium. Les vraies nouveautés sont rares, aussi pourquoi TF1 ou M6 choisiraient-elles de les diffuser sur leurs filiales, où le potentiel d’audience et de moyens est moindre, si elles escomptaient réellement un grand succès ?
Les grilles de programmes de la TNT sont devenues les réceptacles des programmes « recalés » sur les grandes chaînes
Ce sentiment est renforcé par le fait que les grilles de programmes de ces chaînes sont devenues les réceptacles des programmes « recalés » sur les grandes chaînes, comme par exemple
Masterchef cet été , transféré en urgence de TF1 vers NT1, à la suite de l’échec d’audience sur la première chaîne, sans pour autant générer une domination de la filiale sur ses concurrentes directes. De plus, même à l’aune des objectifs d’audience de ces chaînes, le retour d’une marque-programme forte n’est pas toujours un succès
. Celui de la 1
ère saison repose uniquement sur le plaisir de « revoir un vieil ami, que l’on a bien aimé » mais à la 2
e saison on se rappelle « pourquoi on l’a perdu de vue », voire pourquoi un jour « on a cessé de l’aimer » et les audiences sont alors en forte chute.
Cependant, il ne suffit pas d’être une chaîne du 1er groupe pour conserver la confiance du public. TF1 a prouvé encore récemment sa capacité à faire venir le public sur des nouveautés comme les jeux Wishlist et Boom, et sur des fictions françaises tout comme France 2 sur ce dernier genre ou encore France 3 pour tout programme relatif au patrimoine et aux régions, mais le succès n’est pas systématiquement au rendez-vous.
En effet, depuis quelques mois, M6 peine à attirer le public sur ses nouveaux programmes à la suite d’un certain nombre de déceptions comme celle de Rising Star. À noter que la finale de ce programme n’a pas attiré plus de téléspectateurs (1,6 M) que la 9e rediffusion du film Les Visiteurs sur TMC qui appartient au 2e groupe de chaînes.
De même, certains films proposés par France 3 ne séduisent pas plus de téléspectateurs que les programmes des chaînes de la TNT diffusés le même soir. Ceci prouve l’extrême difficulté à conserver la confiance du public. Ces nouveaux programmes, notamment ceux diffusés en 1e partie de soirée, restent d’un coût élevé, alors que leurs audiences, et donc les recettes, sont sur une tendance baissière.
Pour les chaînes payantes, la problématique est encore plus complexe, car si elles proposent des programmes peu identifiés, notamment des séries françaises et étrangères, elles ne se démarquent pas de l’offre des plateformes payantes comme Netflix, et ce sans même le bénéfice de la liberté de visionnage. Elles ne peuvent émerger et conserver la confiance du public que si elles sont sur un créneau très spécifique, sur lequel elles ont l’exclusivité, ce qui leur garantit la rémunération des opérateurs distributeurs de chaînes.
Cet avantage concurrentiel actuel qu’est la confiance des téléspectateurs pour découvrir de nouveaux contenus audiovisuels, et qui constitue le meilleur atout des chaînes de télévision face aux plateformes audiovisuelles, apparaît donc bien précaire et complexe à préserver.