Un journal de centre gauche
Longtemps, la mise en page sévère a paru tout droit issue de la presse allemande, voire prussienne, qui lui servait de modèle, y compris par la présence d'une abondante page d'opinions. Comme les quotidiens de qualité du monde entier,
Haaretz, tout en restant fidèle à son format (Berliner) et à ses caractères plus petits, est passé à la couleur, a multiplié les photos, et consacre plus de place aux faits divers, à la mode, et aux sports. Si le journal n'a pas investi dans la télévision, à l'inverse de ses deux concurrents, il n'a pas raté le tournant de l'Internet. Son site est très fréquenté en Israël : au deuxième semestre 2010, haaretz.co.il (en hébreu) est le 31
ème site le plus fréquenté, tandis que haaretz.com (en anglais) occupe la 94
ème place (source:
www.alexa.com). La version anglaise est une référence pour les correspondants de la presse étrangère, et aussi pour tous ceux qui dans le monde s'intéressent de près à Israël. Le visage du site Internet vient d'être refait, et l'on ne peut manquer d'y noter la présence du bleu du drapeau comme couleur des titres. Une façon de réaffirmer, malgré les contenus critiques, son patriotisme?
Le journal est de gauche, de façon cohérente, à propos de l'occupation et de la question palestinienne. Les deux plumes qui couvrent de près l'occupation sont Gidéon Lévy, dans sa rubrique hebdomadaire du supplément, ‘Ezor Hadimdumim’ « Entre chien et loup », et Amira Hass, seule journaliste israélienne basée dans les territoires (à Gaza puis à Ramallah), auteur de plusieurs ouvrages dont Correspondant à Ramallah, et couronnée de prix. On peut leur ajouter Akiva Eldar, correspondant diplomatique et politique qui a signé avec l'universitaire Idith Zertal un ouvrage de référence sur la colonisation (Eldar, Zertal, 2007).
Sur la question palestinienne, le journal n'hésite pas à prendre des risques en allant contre l'opinion dominante. En 2009 Haaretz publie des témoignages de soldats sur les crimes de guerre commis durant la guerre à Gaza, qui vient alors de se terminer . En avril 2010, éclate la double affaire Anat Kam-Uzi Blau. Anat Kam est journaliste mais a profité de son service militaire pour dérober des informations classées qu'elle a transmis en 2008 à Uri Blau, journaliste à Haaretz. Haaretz publie notamment des informations selon lesquelles l'armée israélienne prépare des assassinats ciblés de personnes recherchées en prenant le risque calculé de tuer des civils, s’opposant ainsi à une décision de la Cour Suprême. Mais lorsque le scandale éclate en Israël, la blogosphère et la presse mondiale en parlent depuis longtemps, tandis que les médias israéliens sont soumis à une interdiction judicaire de publier, qui s'impose à eux comme la censure militaire toutefois beaucoup plus discrète. La presse populaire se déchaîne contre Anat Kam "l'espionne"et indirectement ou directement contre Haaretz. Enfin, au début du mois de juin 2010, dans l'affaire de la flottille de Gaza, Haaretz demeure en retrait sur le reste des médias hébreux qui encouragent, pour dire le moins, le patriotisme ambiant, soutiennent le blocus de Gaza et l'arrestation de la flottille, même s'il critique, modérément, l'exécution désastreuse de la décision.
Mais le journal veille à son pluralisme. Si le gauche et le centre-gauche y sont très présentes dans la rubrique libres opinions, la droite a aussi ses plumes, notamment Israel Harel, qui représente le point de vue des colons. Sur le plan économique, il est "de droite", entendez favorable au libéralisme économique, notamment à travers la collaboration de Nehamia Strassler et au supplément économique, the Marker. La gestion du journal obéit aussi à une logique libérale, et le nouveau patron, Amos Shoken, a choisi de favoriser les contrats personnels et défend dans son journal la libéralisation du marché du travail. En bref, on peut être de droite en Israël et lire Haaretz, il suffit d'éviter avec soin certaines signatures pour trouver un journal modéré.