Exemples de témoignages face caméra mis en ligne par les médias sur les réseaux sociaux

Face au succès des formats « face cam », de plus en plus de médias mettent en avant des anonymes dans des vidéos postées sur les réseaux sociaux. 

 

© Crédits photo : Captures d'écrans Instagram @vews-rtbf @konbini et @ohmymagfr

Témoignages face caméra : comment les médias préparent les témoins à la haine en ligne

Histoires, anecdotes, parcours de vie originaux… Sur nos fils Instagram, TikTok ou Facebook, les témoignages « face cam » affluent. Et dans les commentaires, les messages haineux déferlent. Comment encourager à témoigner tout en prévenant le cyberharcèlement ?

Temps de lecture : 5 min

« Si tu ne veux pas répondre à certaines questions, il n’y a pas de problème, on passe à autre chose, ici, c'est une safe place [un endroit sûr]. » Comme chaque semaine, dans les locaux de Prisma, à Gennevilliers, en région parisienne, Chloé Garandel interviewe des personnes célèbres ou anonymes venues parler face caméra. Histoire surprenante, témoignage de vie, anecdote étonnante, personnalité hors du commun… Ces témoignages touchent à l’intime, mais aussi aux questions de société. Sur les réseaux sociaux du média féminin pour lequel Chloé travaille, Ohmymag, certaines vidéos sont vues plusieurs millions de fois. 

Seule derrière les deux caméras installées dans le spacieux studio bien aménagé, Chloé est à la fois chargée de production et journaliste. Face à elle ce vendredi de début octobre 2023, un drag king repéré dans l’émission « Drag Race » (France 2). L’intervenant parfait pour le format phare de Ohmymag : « Fierté.es ». L’échange, guidé par la journaliste, invite aux confessions : « Comment tu as découvert l’univers du drag ? », « Quelle a été la réaction de tes proches ? », « Quels ont été tes premiers ressentis ? » La voix de Chloé Garandel, les internautes ne l’entendront pas. Toute la place est donnée à l’interlocuteur et son récit, qui doit apparaître comme le plus fluide possible.

Une visibilité considérable

Plus d’une heure plus tard, la conversation se conclut. « Est-ce que je pourrais regarder la vidéo avant que tu la postes ? », demande le drag king qui redoute que certains propos soient sortis du contexte et suscitent un déferlement de haine dans les commentaires. « Normalement, on essaie d’éviter, mais on peut le faire exceptionnellement », le rassure Chloé. Elle insiste : « Si, finalement, tu veux retirer un passage, dis-le moi. Je te préviens lorsque la vidéo est en ligne et nous faisons vraiment attention à la modération des commentaires. »  

« Ça peut avoir un fort impact sur la vie des gens, que ce soit en bien ou en mal »

Pour tenter d’éviter ces vagues de cyberharcèlement, toute l’équipe vidéo de Ohmymag a accès aux comptes du média sur les réseaux sociaux. Ils peuvent ainsi supprimer les commentaires haineux le plus rapidement possible et signaler aux plateformes les comptes auteurs de remarques déplacées récurrentes. En dernier recours, lorsque la situation devient ingérable, la vidéo peut être supprimée. Ce fut le cas en février 2023 avec le témoignage d’une personne musulmane, mariée à un homme transgenre et se définissant comme non-binaire. « Elle nous racontait qu’après la publication de la vidéo, des gens la reconnaissaient dans la rue et l’insultaient. Certains avaient trouvé l’adresse du domicile de ses parents. Ça portait clairement atteinte à sa sécurité », se rappelle Chloé Garandel.  « Ça nous est déjà arrivé qu’une vidéo fasse dix millions de vues assez rapidement. Ça peut avoir un fort impact sur la vie des gens, que ce soit en bien ou en mal », précise Florine Hamard, directrice studio et réseaux sociaux du groupe Cerise, l’éditeur de Ohmymag racheté en 2016 par Prisma. 

Konbini, média adepte des témoignages face caméra, a connu le même scénario. Sur son site, le média s’explique dans plusieurs articles, dont un titré « Sexualité des personnes grosses : pourquoi on a supprimé l’interview d’Emmanuella ». Une journaliste y raconte son expérience avec une tiktokeuse venue témoigner « de la gêne au lit et de la sexualité des personnes grosses » : « La vidéo [...] prend vite de l’ampleur et les commentaires déplacés, voire insultants aussi… L’équipe de CM [community managers] de Konbini en supprime par dizaines, mais pour Emmanuella, c’est trop. […] À cause de cette vague de haine gratuite, Emmanuella m’envoie un message et me demande si Konbini peut supprimer la vidéo de toutes les plateformes. » 

Mots interdits 

Mais la suppression n’est pas toujours la solution miracle. Repris par d’autres comptes, le témoignage peut continuer à circuler. Les médias, impuissants, ne peuvent alors que signaler les posts problématiques aux réseaux sociaux. Sur les comptes Facebook et Instagram de Vews, une des chaînes numériques de la RTBF, la radio-télévision belge de la communauté française, « on supprime les commentaires, mais jamais les vidéos, explique Julien Vlassenbroek, éditeur. Il en va de la crédibilité du média : si on supprime des vidéos, certains vont dire qu’on a pris parti. On préfère bien modérer les commentaires. » 

La RTBF utilise pour cela les services de modération proposés par Facebook. Le média belge est aussi aidé par une société (Netino) qui utilise l’intelligence artificielle. « Nous avons établi avec eux une série de mots que nous ne souhaitons pas voir apparaître sur nos pages. Principalement des insultes et des mots qui inciteraient à la haine », explique Ines Kashama, social editor de Vews. Si des doutes apparaissent, l’IA envoie une alerte afin qu’un modérateur humain prenne la main. C’est par exemple le cas « quand il y a des phrases entières en majuscules. L’IA comprend que cela peut traduire une certaine agressivité. »

Un conseil : « Ne pas répondre »   

Ines Kashama n’hésite pas à demander aux auteurs de commentaires suspicieux de reformuler leur message. Et pour appuyer sa requête, elle leur envoie un lien vers la charte de bonne conduite disponible sur la page Facebook du média. Mais hors de question de supprimer tout commentaire critiquant le propos du témoignage. « On travaille pour le service public, on doit d’autant plus garantir une liberté d’expression, détaille Julien Vlassenbroek. Il arrive que notre communauté réponde à des commentaires virulents. Cela permet de créer du débat. Mais cette autorégulation est de moins en moins fréquente. » L’éditeur remarque toujours plus de « raids » ; des internautes se concertent pour cibler une vidéo et l’assommer de commentaires haineux.

Les sujets les plus sensibles ? Ceux qui concernent « les minorités de genre, les homosexuels ou le féminisme par exemple », précise Julien Vlassenbroek. « Avec ces vidéos, on va d’autant plus faire attention aux commentaires. » Et lorsque des messages tout aussi malveillants se retrouvent dans la boîte de réception personnelle des personnes venues témoigner, un conseil de la social editor de Vews : « Ne pas répondre ».

« On a conscience que plus tu sors de l’ordinaire, plus il y a du larmoyant, plus la vidéo va fonctionner, détaille Florine Hamard. Mais lorsqu’on choisit de faire témoigner, on doit mettre un point d’honneur à ce qu’il y ait un message positif, un conseil, savoir comment la personne s’en est sortie. » 

C’est pour ces raisons que Kevin, un père transgenre, a fait le choix de témoigner pour le média féminin. « On voit souvent des parcours dramatiques, je voulais montrer qu’il y a aussi des histoires positives. » Mais une semaine après la mise en ligne de son témoignage sur tous les réseaux sociaux de Ohmymag, il nous confiait : « Ça fait bizarre de voir autant de haine chez les gens. » Kevin apprécie que l’équipe ait fait le tri dans les commentaires, mais dit craindre d'être reconnu dans la rue et d'être agressé avec sa femme ou ses enfants. Par précaution, la veille de la mise en ligne de la vidéo, le père de famille avait mis son compte Instagram en privé. 

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