Hugo Hay, aux JO de Paris 2024

Hugo Hay, après son 5 000 m aux Jeux olympiques de Paris 2024, le 7 août.

© Crédits photo : Martin BERNETTI / AFP

Hugo Hay : l’athlète olympique qui voulait être journaliste (et vice-versa)

À 27 ans, ce spécialiste du 5 000 m et diplômé en journalisme a vécu des Jeux olympiques mouvementés. Entre une bousculade pendant une course, une interview largement commentée et des tweets problématiques, il nous livre son regard sur cette traversée médiatique. 

Temps de lecture : 12 min

Un athlète participant aux Jeux olympiques, par ailleurs diplômé en journalisme à l’ESJ de Lille ? Voilà de quoi susciter notre intérêt. Début juin, nous avons donc proposé à Hugo Hay d’échanger par téléphone et messages vocaux tout au long des JO à propos de deux sujets : comment ce spécialiste du 5 000 m vivait cet événement sportif et comment il percevait son traitement médiatique. 

L’exercice s’est révélé plein de rebondissements. Au programme : une convocation en commission de discipline par la Fédération française d’athlétisme, une bousculade et une vive altercation avec un athlète britannique en série au Stade de France, une interview à L’Humanité en forme de tacle à Emmanuel Macron très largement reprise dans la presse française et un drame final, quand ressurgissent d’anciens tweets racistes, misogynes et homophobes de l’athlète à la veille de la finale des JO. 

Hugo Hay, 27 ans, semble vouloir être à la fois un acteur (en tant qu’athlète pro), un observateur (en tant que diplômé en journalisme prenant la parole dans la presse) et un critique de la médiatisation voire de la récupération politique du sport français. Est-ce vraiment possible ? Sa position détonne, en tout cas, alors que les sportifs souhaitant prendre position sur des sujets de société sont largement minoritaires

5 juin : « On nous a présenté les journalistes comme des ennemis » 

Pourquoi avoir choisi une formation en journalisme ?

Hugo Hay : J’étais un enfant hyperactif, je viens d’une famille de sportifs, j’ai toujours fait beaucoup de sport. C’est ma passion. J’ai été baigné dans l’olympisme, on regardait beaucoup de sport à la TV, j’ai grandi avec L'Équipe, avec l’écoute et la lecture des journalistes sportifs et des commentateurs. Au lycée, un pote m'a appris que l’ESJ de Lille proposait une formation post-bac en journalisme. Je suis parti là-dedans, les études et le journalisme étaient ma priorité. Mais dès l’année suivante, j’ai été sélectionné en équipe de France et j’ai décidé finalement de bifurquer vers une licence pro, une formation plus courte et spécialisée en journalisme de sport. Cette formation est devenue ma bouée de sauvetage si l'athlé ne marchait pas. L'objectif pour moi était déjà de tenter de participer aux Jeux olympiques de Paris 2024.  

Penses-tu exercer le métier de journaliste après ta carrière ?

J’ai pu faire des stages, à France Bleu Poitou et à Ouest-France. Je me suis retrouvé au moment des championnats d’Europe espoir de cross en décembre 2017 à être à la fois journaliste et athlète. J’avais par exemple fait un reportage sur Jimmy Gressier, mon principal concurrent, et dix jours plus tard, on se retrouve tous les deux sur le podium, ce qui était inespéré. Mais au cours de ces stages, j’ai pu réaliser que c’est un métier de frustration. Je ne sais pas si j’ai envie de ça après une carrière sportive, où l’on connaît aussi beaucoup de frustrations. Ce que je trouve frustrant dans le journalisme sportif, c’est la difficulté d'accéder aux athlètes, la difficulté de faire des angles différents car tout est verrouillé, le fait aussi que les articles les plus lus sont à mes yeux rarement les plus intéressants. Globalement, les difficultés viennent beaucoup de la communication. 

Simone Biles et Sunisa Lee aux JO 2024
Les Américaines Simone Biles (au centre) et Sunisa Lee, respectivement médailles d'or et de bronze après le concours multiple féminin de gymnastique artistique des JO de Paris 2024, le 1er août. Photo Gabriel BOUYS / AFP

C'est-à-dire ? 

Le monde du sport est tellement habitué à la communication que certains athlètes et dirigeants ne comprennent même pas que la presse puisse émettre des critiques. Je me souviens d’un média-training à la Fédé ; on était une quarantaine de jeunes athlètes, tout le monde disait du mal de la presse. On nous présentait les journalistes comme des ennemis, on nous conseillait de ne pas vraiment répondre aux questions et de ne parler que sur un mode positif. À un moment, j’ai pris la parole. J’ai dit que, pour moi, c’est contre-productif comme attitude. Je pense qu’on peut être authentique, s’exprimer, essayer au maximum de rester dans la vérité. C’est important pour les gens qui nous suivent, sinon tout devient lisse et moins intéressant. On a aussi le droit d’émettre des critiques, je trouve, sans jamais blesser autrui. J’ai des avis tranchés sur beaucoup de sujets, je fais le choix de les exprimer. Je pense que ça peut me porter un peu préjudice, j’essaye d’être toujours constructif, mais ça m’attire sûrement des inimitiés chez les décideurs.    

21 juin : « Ça me fait un peu penser aux procédures-bâillons » 

Tu as annoncé avoir été convoqué par la Commission de discipline de la Fédération française d’athlétisme, qui te reproche plusieurs tweets et retweets dans lesquels tu critiques ses erreurs (lors des inscriptions aux championnats d’Europe d’athlétisme, la FFA avait, à la suite d’une « une erreur de saisie administrative », oublié de convoquer deux athlètes français et préinscrit à tort 12 autres athlètes, empêchant des sportifs d’autres pays d’être sélectionnés)...

Je constate que je suis le seul athlète convoqué alors que nous sommes nombreux à avoir critiqué la Fédération. J’ai vu le dossier de preuves, pour moi il n’y a absolument rien. Je trouve ça inquiétant comme procédure, ça me fait un peu penser aux procédures-bâillons. Je ne me compare bien sûr pas à un lanceur d’alerte ou à un journaliste d’investigation, mais j’ai l’impression qu’on me convoque en sachant très bien que je ne vais pas être sanctionné, c’est juste pour m’intimider. Le calendrier choisi est regrettable, la convocation aura lieu trois semaines avant les Jeux, ça ne donne pas un environnement sain et serein. Je comprends qu’on a un devoir de réserve en portant le maillot de l’équipe de France mais pour moi on a le droit de critiquer les erreurs qui ont été faites, d’ailleurs la Fédé elle-même a reconnu des erreurs. Si j’ai un rappel à l’ordre ou un avertissement, je ferai appel.  

27 juillet : « Un super moment sur la Seine » 

Comment as-tu vécu la cérémonie d'ouverture des JO ?

C'était un moment chargé en émotion. Sur le bateau de la délégation française, on a passé un super moment avec toutes les équipes de France à chanter, à essayer de saluer tout le monde sur les quais de Seine. Le final était grandiose. Je suis vraiment content de voir que la cérémonie a été très bien reçue par les Français, par le monde entier, j’ai même hâte de la regarder, parce que forcément c’est une cérémonie pensée pour la TV donc en étant sur place on n’a pas le même ressenti. Mais voilà, pour moi, ça marque le début des jeux, ça crée un élan, de l'union, donc ça va aider les athlètes. De mon côté, j’ai été interviewé en direct sur France inter (à 3’17’00, NDLR). Ils m’ont appelé à un moment où on passait près de la tour Eiffel illuminée, j’étais très ému. Je pense que je n’ai pas fait la meilleure intervention du siècle parce que j’étais groggy, j’étais vraiment dans l’émotion.  

La tour Eiffel durant la cérémonie d'ouverture des JO 2024
La tour Eiffel depuis la Seine, durant la cérémonie d'ouverture des JO 2024, le 26 juillet. Photo Clodagh Kilcoyne / POOL / AFP

1er août : « J’ai dépensé près de 1 500 euros pour que mes proches viennent me voir » 

Quel est ton point de vue sur le fait que les JO sont organisés en France ?

C’est mon rêve depuis toujours. C’est le Graal en tant que sportif. En tant que citoyen et fan de sport, je suis déçu de certaines promesses non tenues, le sport business a pris trop de place à mes yeux. Ça a commencé avec les porteurs de flammes, trop de gens ont été placés par les élus et les sponsors. Des bénévoles historiques du monde sportif et associatif n’y ont pas eu droit. Le prix des places est aussi un problème. Les places populaires à 24 euros dont tout le monde a parlé, c’est de la com’, c’est un élément de langage. Elles étaient très rares et juste pour quelques disciplines. Moi, j'ai dépensé près de 1 500 euros juste pour que mes proches viennent me voir.  

Comment vis-tu ces débuts de JO ?

J'ai vraiment terminé ma prépa aujourd'hui. C'était dur, maintenant ça va être beaucoup plus léger, pour retrouver de la fraîcheur. Tout s'est bien passé, je peux aborder la compétition avec beaucoup de confiance. Être à l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) est très utile, on peut bien s’entraîner, je suis suivi par le kiné, mais en plus, on a un pied dans les Jeux et un pied en dehors. Ce n’est pas comme le village olympique où c’est un peu la folie, ici, c'est calme. 

Tu regardes les épreuves ? 

Il y a des écrans géants, on est dans l’ambiance. Hier, on a vu la finale de Léon Marchand, on mangeait, on était dehors sur les transats et tout le monde s’est mis à applaudir jusqu’à la fin où c’était la folie. C’est un super moment de sport, j’adore ça. Ce qui me fait vraiment plaisir dans cette compétition, c'est de voir l'unité autour du sport, on en parle beaucoup plus, on évite les polémiques futiles habituelles. Ça fait beaucoup de bien. 

2 août : « Je n’ai rien contre Nelson Monfort, mais… » 

Tu viens de m'envoyer un article montrant que le journaliste Nelson Monfort était déjà là il y a vingt-huit ans pour interviewer le père de Léon Marchand. Pourquoi ?

Je n’ai rien contre Nelson Monfort, mais le fait qu’il soit encore là trente ans après, pour moi, ça montre qu’il y a un problème sur les chaînes publiques. Chaque année, depuis trente ans, des gens compétents sortent des écoles. Je pense que si d’autres avaient pris le relais, on aurait été gagnants sur la transmission des infos. On pourrait avoir des gens plus compétents sur les langues étrangères, des gens plus au courant, plus pertinents sur leurs questions, plus au contact des nouveaux athlètes. J’ai l'impression de sentir quand les journalistes ont bossé ou non. Par exemple, je pense que ce que fait Alexandre Boyon (sur France Télévisions, NDLR) sur la natation, c’est très très bon. On le sent très informé, ses analyses en direct sont excellentes, il a une voix, bien sûr, et j’adore ce genre de journalistes capables de parler en même temps à ceux qui connaissent et ceux qui découvrent un sport. Pour moi, son travail a magnifié les performances de Léon Marchand. Elles vont rester dans l’histoire du sport parce qu’elles sont exceptionnelles, mais aussi parce qu’on retiendra les commentaires de ce super journaliste. C’est un peu comme Patrick Montel à une époque. Aujourd’hui encore, quand on parle des grands moments de l’athlé dans les années 1990, on parle de lui. 

7 août : « Après la bousculade, la presse britannique a apprécié ma réaction » 

Tu viens de te qualifier pour les finales des Jeux olympiques, mais à l’arrivée, le Britannique George Mills t'a accusé de l’avoir poussé. Comment as-tu vécu cette course et cette altercation avec le concurrent britannique ?

J’avais de très bonnes sensations, de bonnes jambes, en passant la ligne j’étais super heureux, ça a effacé la déception de Tokyo. Mais je n’ai pas pu en profiter, Mills est venu m’embrouiller tout de suite. Il m’a insulté et il m’a dit que j’avais poussé. Je lui ai dit que je n'avais rien senti et que j’allais regarder les images. 

J’essayais de rester calme mais il était tellement énervé que j’ai commencé à le croire, j’ai eu le doute. [Les juges ont finalement décidé de qualifier pour la finale tous les athlètes impliqués dans la bousculade, NDLR.] On court à 27 ou 28 km/h, ça va tellement vite… Je comprends sa réaction, j’ai chuté en finale des Europe, je peux comprendre que c’est terrible et qu’il a eu du mal à être objectif. On m’a dit que la presse britannique avait apprécié ma réaction, qu’on m’a décrit comme très calme. Mais de mon côté, je n’ai pas trop lu la presse. Le but pour moi était de vite tourner la page de la série et me concentrer sur la finale. 

L'Humanité a publié hier une interview dans laquelle tu dis : « J’aurais deux-trois choses à dire à Emmanuel Macron. » Pourquoi avoir accordé cette interview juste avant les séries ? Et comment as-tu vécu sa réception ?

J’ai donné l’interview bien avant ma course, c’était cinq ou six jours avant mon entrée en lice. C’est publié un jour avant ma série, je n’y ai pas vraiment prêté attention. Je pense que l’interview est bonne, j’ai pu montrer mes convictions, on a abordé beaucoup de sujets. Ma décla sur Macron, c’était une toute petite partie, en vérité on a parlé une heure et demie. Ça m'a surpris de voir que ça ressortait. Ça a été beaucoup repris par les autres titres juste après ma série. J'ai eu énormément de mentions sur les réseaux pour la perf et pour l'interview, mais je me suis concentré sur ma famille puis sur ma finale. Les commentaires étaient plutôt positifs, je crois, mais je n’ai pas vu grand-chose. J’étais concentré sur mon travail, récupérer, réfléchir à la tactique de la finale, je me suis protégé en fait. J’ai réussi à bien faire la part des choses. 

21 août : « Le plus important, c’était de m’excuser » 

Le 9 août, d'anciens tweets que tu avais rédigés — racistes, misogynes et homophobes — ont été republiés sur les réseaux sociaux, entraînant une vague d’indignation. Quelle réponse était possible ? 

On a décidé de faire un communiqué avec ma team, parce que ça s’est vraiment emballé. Je voulais présenter mes excuses, répondre aux questions aussi. Je voulais donner le ton, sans attendre d'être en zone mixte, je voulais aussi m'exprimer pour que les gens qui me suivent et apprécient mes convictions puissent comprendre. Je voulais communiquer avec mes mots, donc j’ai pris le temps de me poser sur la situation pendant une heure ou une heure et demie. Sur le moment, j’ai eu envie de me justifier et d'expliquer, parce que je me sentais attaqué, mais j'ai choisi finalement de m’excuser car c’était la meilleure chose à faire.

L'explication, c’est pas : « J’étais raciste et j’ai changé. » Non. C’était plutôt des conversations privées qui ont été dévoilées, de « l’humour noir » de l’époque, du trash talk stupide entre amis. Ça n'excuse même pas, bien sûr, ni l’humour, ni le jeune âge. Mais à l’époque, je savais bien que j’étais antiraciste, antihomophobie, anti-tout ça. Je ne réalisais pas que ça alimentait le racisme structurel de faire ces blagues, je n’avais pas conscience que j’alimentais ça et que ça pouvait être blessant pour des gens extérieurs. À l’époque, j'utilisais l’insulte « enculé », je ne réalisais pas que ça systématisait l’homophobie. J'ai compris depuis longtemps maintenant qu'on doit sortir de ces stéréotypes donc on ne doit pas les utiliser. Je ne fais plus ces blagues parce que j’ai appris, je me suis politisé, j'ai compris. 

Les premiers tweets qui sont ressortis datent de 2013 et 2014. Ensuite, il y a aussi des choses plus récentes, et on m'a fait dire l’inverse de ce que je voulais dire en ne montrant pas ce que justement je dénonçais avec ces tweets. Certaines personnes ont été agacées par mes propos sur Emmanuel Macron. Beaucoup de comptes macronistes ont fouillé mes tweets. Je l’ai vécu comme une contre-attaque.

J’ai déçu des gens et j'espère que je pourrai me rattraper. Le plus important, c’était de m’excuser. Mais je connais mes valeurs, mon parcours, je sais qui je suis et qui j'étais et je suis en paix avec tout ça.

Le lendemain, tu terminais 16e en finale des JO. Tu m’avais dit espérer un top 10. Ce résultat est-il une déception ?

Je suis très déçu. En série, je me sentais au top de ma forme. Mais le jour de la finale, dès le départ, je sens que je n’ai pas les jambes. C’est vraiment frustrant. 

Comment expliquer ce résultat ? Est-ce que l’affaire des tweets a joué ? 

Je n’ai pas vraiment d'explication. Je n’en ai pas parlé parce que c’était pas le moment de trouver des excuses mais j’ai été malade la nuit précédente. J’avais aussi peut-être mal récupéré des séries, ça faisait longtemps que je n’avais pas couru en compétition. L'affaire des tweets m’a fait aussi perdre sûrement un peu d’énergie. C’est sûrement une combinaison de tout ça, en tout cas c’est une grande déception parce que je me sentais super bien trois jours avant. 

Au terme de tes Jeux, la question se pose plus que jamais : peut-on se positionner comme commentateur du monde du sport et de la société en général et réussir à être un athlète de très haut niveau ? 

La commission, les tweets, ça m’a coûté de l’énergie, c’est sûr. Mon coach dirait que d’un point de vue sportif, c’est de la perte d’énergie et de temps. De mon côté, je pense que c’est à moi de trouver comment gérer le truc de façon à ce que ça m’apporte du positif. Pouvoir prendre la parole, donner mon point de vue sur des sujets politiques, c’est important pour moi. Si je peux mettre certains sujets sur le devant de la scène, ça me fait du bien. Ça fait partie de moi, à moi d’apprendre à savoir jongler. 

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