Alors que sort sur les écrans Divines, de Houda Benyamina, étendard d’un cinéma français qui revendique l’énergie de ses héroïnes des cités, la question de la place des minorités au cinéma s’impose de manière de plus en plus incontournable. Mais comment se pose la question à l’étranger? Chaque campagne pour les oscars aux États-Unis, chaque campagne pour les césars en France, chaque compétition en festival est l’occasion de reposer la question de la place des minorités dans cette industrie hautement visible qu’est le cinéma. En janvier 2016, l’hebdomadaire britannique The Economist titrait How racialy skewed are the Oscars?, tandis que la Harvard Business Review interrogeait The Superhero diversity problem. On se souvient enfin du chahut médiatique autour de la possibilité de choisir un acteur noir, comme Idris Elba, pour incarner le rôle de James Bond. Si les constats de sous-représentation sont là, alimentés par exemple annuellement par l’étude Hollywood diversity Report publiée par l’université UCLA, quelles sont les initiatives, publiques ou privées, pour donner de la visibilité à toutes les populations ? Au-delà du temps de présence « brut » à l’écran, quel type de visibilité promouvoir, quelles histoires raconter, quels rôles incarner ?
La question d’une politique en faveur d’une plus grande visibilité des minorités à l’écran intéresse avant tout les puissances productrices de cinéma : le monde anglo-saxon bien sûr, autour des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande ; l’Europe de l’Ouest, en France, en Italie, en Allemagne... En dehors du monde occidental, les industries cinématographiques les plus développées se situent notamment en Asie (Japon, Corée, Chine, Inde), selon des modalités de production et de contrôle assez différents. Ailleurs, en Europe de l’Est, en Amérique du Sud, en Afrique, les industries cinématographiques sont encore très largement émergentes, et la question d’une politique en faveur d’une meilleure représentation des minorités à l’écran est encore très marginale.
Partout, bien sûr, le brassage des populations suppose ce type d’interrogation. Mais la question se pose surtout dans des pays où la problématique du vivre ensemble est saillante : ex-puissances coloniales (Royaume-Uni, France...), pays de colonisation de peuplement (États-Unis, Canada...), ou pays de grande diversité ethnique (Inde, Chine). Cela ne signifie pas que les pays plus homogènes culturellement (le Japon, ou la Corée par exemple) ne soient pas confrontés au sujet, mais simplement que la sensibilité politique - et donc la possibilité de légiférer ou de mener une action - y paraît plus faible.
Surtout, la question de la place des « minorités » dans la société et de leur représentation à l’écran varie considérablement d’un pays à l’autre, en fonction de la composition sociale de chaque pays (qui « est » ou « fait » minorité?) et de la culture nationale d’intégration (modèle assimilationniste contre modèle communautariste par exemple). C’est pourquoi il ne s’agira pas ici de viser à l’exhaustivité, et chaque piste abordée pourrait être étudiée de manière plus précise en fonction du contexte socio-historique dans lequel elle s’inscrit. On pourra par exemple regarder du côté des
black studies, ou des
post-colonial studies pour considérer plus précisément ces questions de représentation dans le monde anglo saxon; et en France, le bel ouvrage
Les Écrans de l’Intégration, l’immigration maghrébine dans le cinéma français (coordonné depuis les États-Unis par Sylvie Durmelat de l’Université de Georgetown et Vinay Swamy de Vassar College à New York). Contentons-nous à ce stade d’un modeste inventaire des politiques menées pour encourager cette visibilité, pour en comprendre les logiques, l’intention de leurs promoteurs, les questions qu’elles posent et en esquisser les effets.
La question de la promotion des minorités au cinéma nécessite de s’inscrire dans plusieurs types de politiques. D’une part, il faut s’interroger sur l’étape de soutien la plus appropriée : faut-il accompagner dès l’amont les auteurs, artistes et techniciens, vaut-il mieux soutenir financièrement la production de leurs films, ou encore mieux faire valoir leur visibilité sur les écrans (de cinéma, de télévision, de festival…) ? Souvent, le déficit de visibilité est le résultat de la conjonction de ces trois facteurs, mais lequel rendre prioritaire politiquement ? D’autre part, pour que la politique soit efficace, le soutien accordé doit-il être systématique ou sélectif ? Faut-il soutenir un film sur la base de son sujet ou de la configuration multicommunautaire de son équipe ? Enfin, si les films sont soutenus sur la base de leur sujet, quels en sont les critères de sélection, et quelle(s) vision(s) défendre ?