Appel au vote sur les sujets à venir, publié sur le site de Nice-Matin le 22 novembre 2022 (capture d'écran).

Appel au vote sur les sujets à venir des dossiers « Solutions » , publié sur le site de Nice-Matin le 22 novembre 2022 (capture d'écran).

© Crédits photo : Nice-Matin

Nice-Matin associe ses lecteurs au choix des sujets

Demander aux lecteurs de voter pour des sujets d’articles ? Le quotidien Nice-Matin le fait via son site internet. L’exercice trouve sa place dans une stratégie plus globale pour retisser des liens avec le public et l'engager dans l'élaboration de l’information. Reportage dans les locaux du journal.

Temps de lecture : 6 min

Carnets, ordinateurs portables et feuilles pliées au bout de leurs doigts. Thermos, gourdes et gobelet à portée de main. Nous sommes le 9 novembre, il est 11 heures du matin, et les cinq journalistes du service solutions de Nice-Matin parcourent une dernière fois leurs notes. Cette réunion est spéciale : ils ne vont pas s’accorder sur des idées d’articles … mais sur des propositions de thème à soumettre aux votes des lectrices et des lecteurs pour le dossier « solutions » mensuel. Par la fenêtre, on aperçoit des avions décoller au-dessus de la Méditerranée. Le temps est à la pluie et on nous rappelle une bonne partie de la journée que c’est inhabituel pour la région. « On va pouvoir commencer » souffle, concentrée, Sophie Casals, responsable du service « solutions ».

Avec elle autour de la très longue table de réunion : Quentin Lazeyras, journaliste vidéo stagiaire, Flora Zanichelli et Aurélie Selvi du service Solutions, ainsi que Franck Fernandes, du service vidéo. Les propositions de thème pour le mois de décembre fusent. La première : « Comment se loger sans se ruiner ? » C’était déjà l’un des sujets soumis au vote lors de la dernière consultation, en septembre. On s’interroge sur la formulation : « Peut-être qu’il faudrait demander " comment bien se loger ? "», interroge, Flora Zanichelli. « Si on part sur ce thème, il faut évoquer les problèmes d’accès au marché et les logements sociaux », renchérit Aurélie Selvie, Quentin Lazeyras propose d’ajouter la problématique des biens insalubres à la liste. Faut-il lier la question à l’inflation ? Aux droits des locataires ? Quoi qu’il en soit, elle doit être claire et évocatrice pour les lecteurs. Pendant plus d’une heure et demie, les cinq journalistes échangent. Ils évoquent des idées de formats et d’angles pour les développer durant le mois et demi, et s’inspirent notamment de ce qui a été publié dans le journal les jours précédents. Sept gros sujets de dossier se démarquent, allant de la place des arbres dans la ville et l’arrière-pays, à la question des transports de l’agglomération. Ils seront ensuite proposés à Damien Allemand, journaliste à Nice-Matin et responsable du service digital du groupe. Il n’en gardera que trois, qui seront soumis au vote une douzaine de jours plus tard. Les lecteurs en retiendront un.

En septembre, ceux-ci avaient voté pour le dossier « Quelles solutions face à l’anxiété des 15-24 ans ? » (263 votes), qui incluait notamment un appel à témoignages et dont les derniers volets seront bientôt publiés. Il était en concurrence avec « Comment se loger sans se ruiner ? » (242 votes) et « Comment accompagner les victimes de terrorisme dans le temps ? » (98 votes). À la fin de ce cycle, le journal mettra en ligne une émission tournée sur le plateau du journal avec les journalistes du service ainsi que deux invités — une mère de famille et un psychiatre. Depuis quelques mois, le journal s’essaie à ce type d’exercice filmé, précisément sur ces sujets-là : une sorte de conclusion du dossier avant de passer à un autre thème.

Faire venir les lecteurs avec du concret

Ces séries d’articles, que rien ne distingue sur le site de la production habituelle, font partie de l’identité réinventée du journal. Placé en redressement judiciaire en mai 2014, le groupe Nice-Matin est repris par ses salariés quelques mois plus tard. Damien Allemand, déjà employé par le journal, et Benoît Raphaël, journaliste et entrepreneur, imaginent alors une nouvelle formule numérique pour le titre. Elle voit le jour fin 2015, avec une idée clé : faire du journal, revenu d’entre les morts, un véritable produit local entretenant un lien fort avec ses lectrices et ses lecteurs. Cela passe, au niveau économique, par une levée de fond participative… et sur le plan éditorial par du journalisme de solution. C’est une révolution : jusqu’ici, « il n'y avait pas de relation avec les lecteurs », nous explique Damien Allemand. Et Benoît Raphaël de rappeler qu’il fallait « redonner au journal cette capacité à former des liens ». Le constat est simple : si les gens ne lisent plus les informations car elles les angoissent, il faut les faire venir avec du concret, des pistes de réflexion pour régler les défis du quotidien. À Nice-Matin, il n’est pas question de faire du « journalisme de bonne nouvelle », comme on a pu l’entendre dans la bouche de certains critiques, aussi bien à l’intérieur du journal qu’à l’extérieur, au moment du lancement de cette nouvelle formule.

Mais surtout, on décide de faire participer, à leur échelle, les lecteurs de Nice-Matin à la vie éditoriale de « leur journal ». « Au début, nous avons proposé aux gens de nous donner des idées d’articles, mais ça ne prenait pas, raconte Damien Allemand. Les gens nous envoient des sujets d’eux-mêmes lorsqu’il leur arrive quelque chose qu’ils trouvent grave, mais c’est plus difficile pour eux de formuler des idées précises quand on les sollicite de manière très ouverte. » Lorsque le journal veut enquêter sur des sujets pour lesquels les données disponibles sont rares… ou difficile d’accès, il adresse des questionnaires aux lecteurs. C’est le cas notamment pour les sujets liés aux déplacements dans la région, à pied ou en véhicule, seul ou en partage, avec ou sans travaux sur la route. Au fil du temps, plusieurs enquêtes ont ainsi pris leurs sources dans les milliers de réponses à des formulaires. Pour Flora Zanichelli et Aurélie Selvi, arrivées au service Solutions après sa création, ces différentes façons d’impliquer les lecteurs contribuent à « faire un journalisme de qualité ».

La pandémie de Covid-19 a marqué l’arrêt de plusieurs initiatives, dont les rencontres de fin de dossiers et les débats. Ils permettaient aux lecteurs et journalistes de se rencontrer, d’apprendre à se connaître et de renforcer encore leurs liens. Aujourd’hui, par manque de temps et de personnel, le retour de ces événements semble peu probable. Mais la crise sanitaire a aussi été l’occasion pour Nice-Matin d’inaugurer une nouvelle rubrique : « La rédaction vous répond ». Celle-ci est née au printemps 2020, en réaction aux questions des lecteurs. La rédaction y a d’abord répondu à travers quelques articles, avant que l’exercice ne soit sanctuarisé avec l’établissement d’un formulaire, visible très haut sur la page d’accueil du site pour encourager les questions.

50 000 questions collectées depuis 2020 

« Ça a marché du feu de dieu pendant la pandémie », explique Damien Allemand, assis dans un fauteuil de la grande salle de pause du journal : 50 000 questions ont été reçues depuis le début de la rubrique, qu’il voit comme la petite sœur des dossiers solutions. Cette approche du lien avec les lecteurs semble avoir porté ses fruits. Aujourd’hui, le journal compte 14 200 abonnés pour sa version numérique, contre 13 600 en 2020 … et 2 000 en 2016. Le journal, d’après Damien Allemand, n’a pas bénéficié de l’explosion du nombre d’abonnés numériques constatée par plusieurs médias lors de la première vague de Covid. Sur Facebook, Nice-Matin est passé de 100 000 en 2015, à plus de 480 000 aujourd’hui. Quant à la vidéo de fin de dossier sur la santé mentale des plus jeunes (novembre 2022), elle totalise plus de 800 000 vues, le meilleur score pour une émission du service Solutions. Plusieurs articles du dossier ont dépassé les 5 000 vues dans les premières 48 heures de publication, un bon résultat à l’échelle du site web et des articles solutions, nous indique Sophie Casals. « Même s’ils n’arrivent pas dans le top 10. »

Les trois propositions de thèmes retenues par Damien Allemand sont publiées le 22 novembre, dans la rubrique Solutions : « Pouvoir d'achat, préservation des arbres ou galère dans les transports en commun: votez pour la prochaine enquête Solutions ». « Ils parlent au plus grand nombre », justifie Damien Allemand. Moins de dix jours plus tard, avec 378 suffrages sur 809, les arbres emportent la consultation. Le premier article (« Face au réchauffement climatique, comment faire des arbres nos alliés? ») est publié, en guise de mise en bouche, début décembre. Une dizaine de contenus doit suivre, dont deux vidéos et l’émission de fin de dossier. Puis ils feront place à un autre.

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