Laurence Ferrari, journaliste à CNews, Europe 1 et Paris Match

Laurence Ferrari présente l'émission « Punchline » en direct, du lundi au jeudi sur CNews et Europe 1. Depuis septembre 2022, elle est également rédactrice en chef politique de Paris Match.  

© Illustration : Johanne Licard

Laurence Ferrari, tête d’affiche du groupe Bolloré : « Je suis très bien ici »

Présentatrice d’une émission quotidienne sur CNews et Europe 1, rédactrice en chef à Paris Match, cette journaliste ultra-loyale expose désormais ses opinions. 

Temps de lecture : 11 min

Notre entretien touche à sa fin. Laurence Ferrari a refusé de dévoiler son salaire mais elle a répondu, ou fait mine de répondre, à la plupart de mes questions. À présent, elle me fixe : « Ce qui m'intéresse, c'est votre démarche. Pourquoi ? » Pourquoi écrire sur elle ? Parce que, officiant à la fois sur CNews, sur Europe 1 et à Paris Match, elle est une figure, et peut-être un symbole, du groupe de médias désormais contrôlé par Vincent Bolloré. Parce que la logique de synergies qu'elle incarne m'intrigue, recyclant dans un journal des infos glanées à la télé, et inversement. Et puis parce que je ne comprends pas très bien la tournure que prend sa carrière. Du tac au tac : « Qu'est-ce que vous ne comprenez pas ? »

J'ai en tête les mines consternées des collègues qui l'ont côtoyée depuis ses débuts et que je sonde dans le cadre de ce portrait, leur gêne à la lecture de ses papiers « flagorneurs », leur accablement devant « Punchline », une émission « cheap » et « indigne d'elle », leurs soupirs, aussi, en évoquant « la déchéance » de l'ancienne star de TF1, cette journaliste qu'ils imaginaient progressiste devenue porte-étendard d'une antenne qui ne l'est guère. Sourire pincé, elle attend que je développe. Je me lance, aussi diplomate que possible : son talk-show quotidien me semble journalistiquement moins ambitieux que ce qu'elle a accompli autrefois. J'ajoute qu'à l'époque de « Dimanche+ » (2006-2008), sa technique d'interview m'avait impressionné.

Elle secoue la tête : « Je crois que vous ne vous rendez pas compte. » Elle bascule son buste vers l'avant ; je reprends mon stylo ; c'est parti : « Techniquement, je ne vois pas ce que je peux faire de plus compliqué que "Punchline". Porter deux heures d'antenne comme ça, l'énergie de chaque instant qu'il faut pour soulever un plateau, orchestrer les sujets, faire se rejoindre deux publics différents, l’un à la télévision, l’autre à la radio, je n'ai vraiment rien fait de plus compliqué, très sincèrement. Ni de plus exaltant professionnellement. "Dimanche+", vous avez dû aimer parce que vous étiez jeune, mais c'était huilé... Le défi était de recevoir des hommes politiques et de réussir les interviews en direct. Mais la performance journalistique est bien plus importante dans ce que je fais aujourd’hui. » 

« La vie des gens »

Eh bien regardons. « Punchline » se déroule en direct, du lundi au jeudi. Près de 200 000 téléspectateurs sont devant CNews quand Laurence Ferrari prend l'antenne, juste avant 17 heures. Quand l'émission s'achève, à 19 heures, ils sont plus de 300 000 — auxquels il convient d'ajouter 235 000 auditeurs, puisque la deuxième heure est aussi diffusée sur Europe 1.   

Rassemblés autour d'une table triangulaire, quatre ou cinq commentateurs discutent des « polémiques » du moment et des sujets d'actualité qui « concernent la vie des gens » — c'est la ligne éditoriale du programme. Trois obsessions sautent aux yeux : la violence et les faits-divers (abordés dans 87 % des émissions de septembre 2023), le pouvoir d'achat (68 %) et l'immigration (62 %). Ce dernier thème a ceci de particulier qu'il apparaît bien souvent comme le débouché naturel des discussions sur la laïcité ou l'insécurité.

Tantôt grave, tantôt badine, Laurence Ferrari lance de courts reportages et, d'une voix très douce, distribue la parole à sa « bande », dont le pilier est Louis de Raguenel, le chef du service politique-défense-police-justice d'Europe 1. À ses côtés, se tiennent en général un syndicaliste policier ou un avocat, un ancien élu (Karim Zeribi, François Pupponi), un essayiste (Éric Naulleau, Rachel Khan, Sabrina Medjebeur, Nathan Devers), et un journaliste (Geoffroy Lejeune, le directeur de la rédaction du JDD, Éric Revel, ancien directeur de LCI, Céline Pina, journaliste à Causeur, ou Jean-Sébastien Ferjou, le patron d'Atlantico).

Il y a de l'écoute sur ce plateau. Jamais de clash. Et pour cause, tout le monde est d'accord sur l'essentiel : la France est en déclin, l'autorité de l'État ne cesse de se déliter, l'universalisme républicain est menacé, les coupables se font passer pour des victimes. Lamento éternellement recommencé : « On ne peut plus rien dire », sous peine d'être taxé d'extrême droite — « Le bon sens est devenu facho », martèle Éric Naulleau.  

« Pourquoi t'oses pas ? »

En 2017, affolant les audiences dès les premiers mois de son « Heure des pros », Pascal Praud pouvait poser une fesse sur le bureau de Laurence Ferrari et lancer : « Lâche-toi, Laurence, fais comme moi, donne ton avis ! » Longtemps, cette perspective lui a semblé incongrue. « Mon ADN, c'est journaliste, donc retrait, neutralité, les faits, rien que les faits. » Elle avait « une barrière psychologique ». Et puis, à force de regarder les éditos de l'ex-journaliste sportif, elle s'est dit : « Pourquoi t'oses pas ? Les mots, tu les as… » Elle s'est convaincue qu'il était bon de livrer au public ce qu'il attendait : un point de vue.  

Elle livre le sien à 18 heures dans un édito qu'elle qualifie de « mesuré ». Elle s'y montre volontiers sentencieuse : « Il y a ceux qui trouvent que la richesse est un scandale et ceux, dont je fais partie, qui trouvent que c'est la pauvreté qui est un scandale », assène-t-elle un soir ; « Le combat contre les violences faites aux enfants est un combat de civilisation, il est le mien, il est le nôtre », scande-t-elle le lendemain. Chaque fait divers est l'occasion de dépeindre une « France Orange mécanique » dans laquelle « les gangs et les caïds » font la loi et où « la barbarie » a supplanté « l'ordre républicain ». Et d'appeler de ses vœux « un choc d'autorité » pour « que notre État de droit ne soit pas bafoué » et « que nos frontières soient respectées »

Petite-fille de maçons italiens, fille d'enseignants savoyards, Laurence Ferrari, 57 ans, brocarde tour à tour « les intellectuels de Saint-Germain-des-Prés », les « Pieds nickelés du gouvernement » et, surtout, « les chiens de garde du mélenchonisme » dont elle dénonce « les hauts cris » et « les vociférations ». L'extrême gauche est la cible favorite de ses débatteurs. Leur chouchou du moment est Gabriel Attal, le ministre de l'Éducation, félicité dans la foulée de l'interdiction de l'abaya à l'école (« La République a repris son souffle ! ») puis pour sa mobilisation contre le harcèlement scolaire. La petite bande de « Punchline » ne perd jamais une occasion de souligner le contraste avec son prédécesseur, Pap Ndiaye, qui avait jugé que CNews était « très clairement d'extrême droite » et décrit Vincent Bolloré comme « un personnage manifestement très proche de l’extrême droite la plus radicale ». 

C'est Laurence Ferrari qui, au nom de CNews, avait répondu à Pap Ndiaye. Soldat dans l’âme et corporate jusqu’au bout des ongles, elle défend sa chaîne et ses collègues dès qu’ils sont mis en cause dans l’espace public. « Mon image, ce que le métier pense de moi, ça n’a plus d’importance, dit-elle. Depuis quatre ou cinq ans, je suis très libérée de tout ça. »

« La télé, c’est moi, c’est dans mes veines »

Sa plus grande fierté est d’avoir « toujours choisi [son] chemin ». Le choisit-elle encore ? Ses confrères du monde extérieur la jugent « cramée » et « démonétisée ». Plus personne ne l’approche au moment des mercatos. Elle, bravache : « Tout le monde sait que je suis très bien ici. » De toute façon, insiste-t-elle, rien ne lui fait plus envie que « Punchline » dans le paysage audiovisuel. « J'ai regardé l'émission de Léa Salamé [« Quelle époque ! », sur France 2], c'est très intéressant, c’est proche de ce que je faisais dans "Le Grand 8", mais moi, ce que j’aime, c’est le direct. »

À l’antenne, elle continue à éprouver « un plaisir fou ». « C’est de l’adrénaline pure, et une dépense d’énergie incroyable », décrit-elle. Lorsque son émission s’achève, elle est « vidée » et « heureuse » : « Quand mon époux [le violoniste Renaud Capuçon] sort de scène, il est dans le même état. »

Parfois, elle s’imagine un avenir hors de la télé. Désormais déchargée de l'interview matinale qu'elle cumulait jusqu'en juin dernier avec son émission, elle se fantasme en femme qui écrit. Ses premiers mois à Paris Match l’ont « rassurée » sur ce point. Le jour de son arrivée comme rédactrice en chef des pages politiques, en septembre 2022, les locaux du magazine — un étage sous ceux de CNews —  étaient en travaux. Des gouttelettes noires tombées du plafond ont maculé son chemisier blanc. La rédaction a constaté qu’elle était dépourvue de carnet d’adresses et des compétences particulières qu’exige la presse écrite. « Il faut encore que je progresse, mais la technique, je pense que je l’ai », estime-t-elle à présent. Plus tard, espère-t-elle, il y aura un livre, mais elle n’est pas encore prête au « retrait du monde » que cette forme d’écriture implique. Pas encore prête à quitter l’écran. « La télé, c’est moi, c’est dans mes veines. » Tous ceux qui ont observé son ascension témoignent de cette évidence.

Mère Teresa ou chirurgienne

Enfant, elle voulait être Mère Teresa ou chirurgienne. Au terme d’une première année catastrophique en fac de médecine, elle s’est inscrite à l’École française des attachés de presse, à Lyon. Un stage au Téléphone rouge d’Europe 1 — une ligne que les auditeurs pouvaient appeler pour signaler un évènement dont ils étaient témoins — lui donne le goût du journalisme. « Elle était toute timide, elle ne connaissait rien du métier, on aurait dit la poupée de Peynet », se souvient la journaliste Catherine Nay, qui l'avait prise sous son aile. Débutante besogneuse, Laurence Ferrari reprend ses études à la demande de son patron. Vingt ans après, toujours en quête de légitimité, elle accrochera son diplôme — un DESS de Communication politique et sociale — dans son bureau de présentatrice du « 20 heures » de TF1, entre un portrait de Baudelaire et une photo de Marilyn Monroe.

Elle est à la radio lorsqu'elle apprend le suicide de sa mère, en 1989. Elle se dit : « Si je résiste à ça, je vais pouvoir résister à tout. » Et aussi : « Si tu n’avances pas, tu es morte. Donc, n’arrête jamais d’avancer. » Elle puise dans sa colère un culot monstre. Elle frappe aux portes, court les castings et, le soir, apprend par cœur le plan de Paris, cette ville qu'elle entend conquérir. Elle fait sa première télé chez Michel Drucker à 28 ans, participe à « Combien ça coûte ? » et entre à LCI.

Le 5 septembre 1994, sur France 2, première télé de Laurence Ferrari

Devant la caméra, elle n’a jamais le trac. La lumière la comble. Son père, devenu député et maire (UDF) d’Aix-les-Bains, aimait raconter cette histoire : le jour du mariage d’Emmanuelle, une de ses trois filles, « Laurence était tellement apprêtée que c’est elle qui avait l’air de la mariée. Du coup, elles sont allées dans les buissons et elles ont échangé leurs tenues. » 

« Elle va le bouffer » : c'est ce que se disent les reporters attablés pour le dîner de lancement de « Sept à Huit », à la fin de l'été 2000. Peu de temps auparavant, Laurence Ferrari a été choisie pour accompagner son premier mari, Thomas Hugues, star montante de TF1, à la présentation de cette nouvelle émission. « Ken et Barbie » se font photographier à domicile, joue contre joue, journaux en pagaille et golden retrievers aux pieds. Sur le plateau, la parité du temps de parole est chronométrée. La notoriété de Laurence Ferrari explose. Tenaillée par un désir d'émancipation, elle en veut plus. Elle obtient « Vis ma vie », produite par Jean-Luc Delarue, et le poste de joker de Claire Chazal. Elle s'adresse alors à huit millions de téléspectateurs. 

À cette époque, les photos d’elle qui paraissent dans la presse sont presque toutes réalisées ou supervisées par son ami Stéphane Ruet. Une « stratégie » est pensée pour « épaissir la légitimité et la crédibilité » de celle qui traîne encore l’image d’une « blonde qui fait de la télé ». Sur Canal+, où elle débarque en 2006, « on a réussi à la montrer telle qu’elle est : pugnace et sexy », se réjouit Lorraine Willems, la grande amie avec qui Laurence Ferrari monte sa première société de production. Sa pugnacité est toute relative. En coulisses, elle partage l'enthousiasme des reporters qui lui racontent leurs enquêtes ; mais en direct, elle omet de poser les questions qui fâchent vraiment. « Manque de temps », élude-t-elle alors. 

« Il y a une seule personne à qui je dois mon parcours : c’est moi »

À l’automne 2007, pendant plusieurs semaines, elle est un courant d’air. Les équipes de « Dimanche+ » la croient happée par ses activités à RTL, où elle présente « Le Journal inattendu » — et réciproquement. Des paparazzis l’attendent au pied de ses bureaux. Le microcosme n'a que son nom à la bouche. Et puis, le samedi 1er décembre, son visage s’affiche en une de Closer : sous le titre « La folle rumeur », le magazine people évoque une liaison entre la présentatrice et Nicolas Sarkozy, élu président de la République six mois plus tôt. À RTL, Laurence Ferrari pleure sans pouvoir s’arrêter. Son assistante lui écrit ses textes. On rappelle un présentateur pour la remplacer. Les journalistes entendent son désespoir : « Je vais faire comme Maman. » À 12 h 30, pourtant, elle prend l’antenne, comme si de rien n’était, sous les regards hallucinés des témoins de cette matinée.

Plus tard, Cécilia Sarkozy accréditera la rumeur et la journaliste Anne Fulda dira : « En restant dix-huit mois aux côtés de Nicolas Sarkozy, j’ai gagné un billet d’humeur dans les colonnes du Figaro, quand d’autres, qui l’ont fréquenté deux mois, ont hérité d’un JT. » Laurence Ferrari, elle, a toujours démenti. Reste que cette histoire a la puissance d’un mythe, à l’aune duquel son parcours reste lu dans le petit monde médiatique, jusqu’à ce poste à Paris Match, magazine dont Nicolas Sarkozy, qui siège au conseil d’administration du groupe Lagardère, parle en disant : « Mon journal »

Laurence Ferrari prévient : « Il y a une seule personne à qui je dois mon parcours : c’est moi. » À Match, son service a été décimé et les pages qu'elle est censée diriger sont réalisées sous le contrôle étroit de la direction du journal. Poker face : « Je suis tombée en amour avec ce magazine. »

Dés de gruyère 

Partout où elle passe, elle séduit par sa simplicité, sa décontraction, son côté bonne copine, qui retient les prénoms, sait se moquer d’elle-même et découper des dés de gruyère pour les apéros. « Elle est aimable avec tout le monde, pas du tout capricieuse », souligne Bertrand Dermoncourt, le patron de Radio Classique. « Laurence, c’est une chouette fille », abonde le producteur Emmanuel Chain. Mais la « chouette fille » peut aussi couper des têtes et ne plus répondre à des collaborateurs subitement devenus inutiles. 

Elle séduit surtout en manifestant un inextinguible désir d'apprendre. Ses patrons successifs sont flattés par l'application scolaire avec laquelle elle suit leurs conseils. Elle fait toujours ce qu'on attend d'elle. Face à sa biographe, Anne Eveillard, elle lâche un jour : « L'une de mes qualités professionnelles est de toujours savoir pour qui je travaille. » Sa conception de la loyauté exclut la possibilité d’une grève. Quand, en 2016, la rédaction d'i-Télé se mobilise contre l'arrivée de l'animateur Jean-Marc Morandini, mis en examen pour corruption de mineur, et l'interventionnisme de Vincent Bolloré, Laurence Ferrari se dit « solidaire » de ses collègues mais juge de son « devoir » de rester à l'antenne, car « les droits à informer et à être informé sont inaliénables ». 

Elle dément toute proximité personnelle avec le milliardaire breton (« Je n’ai jamais dîné ni déjeuné avec Vincent Bolloré »). Dans la famille Bolloré, Laurence Ferrari fréquente plutôt Yannick (« C’est quelqu’un que j’aime beaucoup »). Il préside le conseil de surveillance de Vivendi, maison mère du Groupe Canal+. « Que voulez-vous, philosophe Catherine Nay. De toutes les filles de sa génération, beaucoup étaient plus brillantes ou matures qu'elle à leurs débuts. Mais c'est la seule qui reste. L'enjeu, dans ce métier, c'est de durer. »

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