L’avenir des festivals de cinéma est-il online ?

L’avenir des festivals de cinéma est-il online ?

Pour la première fois, un des principaux festivals internationaux de cinéma, le Festival de Venise, offre une véritable programmation online ouverte.
Temps de lecture : 3 min

Si un festival de cinéma de rang international promet généralement à son public des projections exclusives et des possibilités de rencontres rares, son véritable objet est de qualifier la réputation d'un film en le sortant de l'anonymat et en le confrontant à un premier public prescripteur. En ce sens, le festival est un outil de communication unique.
 
Mais cet outil doit en même temps gérer la rareté, qui confère aux films l’essentiel de leur valeur. L’enjeu est de préparer la réputation publique des films sélectionnés sans les dévoiler directement au grand public, donc d’attiser le désir par un dévoilement suivi d’un retrait. En réunissant les créateurs et en mettant en scène les stars de l’industrie, le festival créé de l’attention indirecte qui bénéficie au film.
 
Un festival vaut pour sa dimension d’évènement social et économique. On s’y montre, on s’y rencontre, on y fait affaires. Cette valeur ajoutée du festival est indissociable d’une présence in situ, au bon moment et dans les bons lieux.

Festival et Internet : une relation utilitaire

Dès lors, l’alliance du festival et du web se révèle à première vue contre nature, puisque le web est un espace ouvert, illimité et non exclusif. Comme outil de communication, il sert généralement à toucher le public le plus large possible selon différents canaux. Pour l’industrie du cinéma, il est encore largement associé au piratage ou à de faibles revenus (la vidéo à la demande).
 
Pour autant, les festivals commencent à s’appuyer sur le web pour développer une stratégie digitale adaptée à leurs ambitions. Il faut à ce titre rappeler que les enjeux sont bien différents pour les festivals « professionnels » et les festivals ouverts au grand public.
 
 Le web a été rapidement mis à profit par les festivals pour simplifier la relation à leur public cible. 
Le web a été rapidement mis à profit par les festivals pour simplifier la relation à leur public cible : facilitation du processus d’accréditations, billetterie en ligne, informations régulières, ressources et matériel pour la presse. Le site du festival constitue une vitrine plus ou moins riche, avec des espaces à accès restreint pour certaines catégories de visiteurs.
 
Certains services se sont développés autour des opportunités permises par le web, en particulier pour le public professionnel. Le site Festival Scope propose depuis quelques années une partie de la programmation de festivals du monde entier à ses abonnés (nécessairement professionnels du secteur et souscripteurs d’un abonnement). Cette offre, qui ne comprend généralement pas les films et les festivals les plus en vue, remplace d’une certaine manière les screeners que proposent les distributeurs à certains de leurs partenaires pour leur permettre de voir le film chez eux sur DVD.
 
Internet est aussi utilisé par les journalistes comme outil de diffusion de leurs critiques et avis, raccourcissant encore le temps entre la première projection du film et la cristallisation de sa réputation dans l’espace public et critique. Désormais, la réputation du film peut se faire dès la sortie de la première projection : les tweets fusent depuis la salle, qualifiant les films en quelques caractères lapidaires. Les festivals canalisent ces pratiques pour leur donner plus de visibilité, préparant des hashtags officiels et relayant une sélection de messages sur leurs comptes officiels.
 
Dans le même temps, les organisateurs cherchent à éviter la mauvaise presse et les effets contre-productifs du buzz par plusieurs pratiques : il est ainsi interdit aux journalistes non accrédités « photographes » de prendre en photo la montée des marches à Cannes, de peur sans doute que des images peu flatteuses soient relayées hors des médias « officiels ».

La programmation saisie par le web

Le cœur de métier des festivals, la programmation, reste généralement en grande partie écarté des offres Internet. Or, pour la première fois cette année, un des principaux festivals internationaux, le Festival de Venise, offre une véritable programmation online ouverte.
 Pour la première fois cette année, le Festival de Venise offre une programmation online ouverte.  
Constituée de 11 films choisis au sein de la sélection Orizzonti et du College de la Biennale, la programmation en ligne est disponible pour une audience internationale sur achat de tickets disponibles en quantité limitée (l’équivalent d’une salle de 800 places). Les films peuvent être vus une seule fois dans une période de cinq jours suivant leur première projection à Venise.
 
Cette pratique n’est pas nouvelle, mais reste rare à ce niveau de réputation. Seul le Tribeca Film Festival a développé depuis quelques années une offre complète en ligne, avec une compétition officielle de longs métrages, une compétition de courts métrages, ainsi qu’une compétition de très courts métrages (moins de 6 secondes) envoyés par les internautes en partenariat avec la plateforme Vine. Une sélection de films de l’édition précédente est également proposée en vidéo à la demande. Limitée au territoire américain et au Canada et pour une courte période de temps, cette offre en ligne s’inscrit dans une stratégie de développement de la marque Tribeca en permettant à l’ensemble du territoire de participer au Festival à distance par le visionnage de films, le vote ou l’envoi de programmes. En cela, le Tribeca Film Festival correspond aux orientations récentes du marketing cherchant à « engager » le consommateur dans l’univers de la marque.
 
Ces choix éditoriaux découlent aussi de la forte tension qui s’exerce sur le marché du « festival de cinéma ». En effet, les festivals internationaux sont confrontés à un double problème : d’une part une concurrence importante dans la taille et la qualité des sélections, qui les incite à surenchérir en gonflant chaque année leurs programmations ; d’autre part une réduction de l’espace médiatique disponible pour chaque film dans des calendriers logiquement plus chargés. Afin de ménager à la fois leur réputation (ou l’effet de marque) et la visibilité promise aux films, plusieurs stratégies peuvent être choisies, comme réduire le nombre de films, accentuer la ligne éditoriale, ou chercher en ligne un public supplémentaire.
 
Poussée à son maximum, la logique de promotion des films par la visibilité en ligne peut se traduire par l’organisation de festivals exclusivement en ligne, comme My French Film Festival, qui est organisé par Unifrance depuis quelques années afin de promouvoir le cinéma français dans le monde. Ici la logique est de proposer en ligne une plateforme VoD temporaire présentant une sélection de films français emblématiques pour leur succès critique ou public. En 2014, 4 millions de visionnages ont ainsi eu lieu sur la plateforme en ligne, principalement en Chine (3,5 millions de spectateurs).

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Crédits photo :
Francesco / Flickr

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