Montage avec les constitutionnalistes stars des médias

Sur les plateaux télévisés, à la radio et dans la presse écrite, les constitutionnalistes sont les experts tout indiqués en pleine période d’élections législatives.

© Crédits photo : Captures d'écran France Inter / France culture / France 2 / BFM Business

Législatives anticipées : le marathon médiatique des constitutionnalistes

Ils courent les plateaux télévisés, enchaînent les interviews et présentent au public ce que dit la Constitution. Depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin, les constitutionnalistes sont partout.

Temps de lecture : 5 min

Il est le seul autour de la table à pouvoir faire acquiescer tout le monde. Face à Mathilde Panot, députée sortante de La France insoumise et à côté de Jean-Philippe Tanguy, député sortant du Rassemblement national, Benjamin Morel répond aux questions d’Anne-Sophie Lapix et Laurent Delahousse. Invité à la grande soirée électorale de France 2 à l’issue des élections européennes du 9 juin, le constitutionnaliste pose chacun de ses mots dans le calme. Un moment de répit au milieu du brouhaha. Depuis l’annonce des premières estimations à 20 heures, les invités défilent sur le plateau : six candidats aux élections qui expriment haut et fort leurs désaccords.

Mais Benjamin Morel peut mettre tout le monde d’accord, son discours repose sur la Constitution, ce que dit le texte suprême. Alors depuis le 9 juin et l’annonce de dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron (et l’utilisation de l’article 12 de la Constitution), il est invité partout : radio, télé, presse écrite et même au micro de médias internationaux — irlandais, portugais, allemands et bulgares.

Au téléphone, le maître de conférences en droit public à l’université Panthéon-Assas parle tout bas. Il dit manquer de sommeil et entretient sa voix « avec du miel ». Cela fait deux semaines qu’il répond aux questions des journalistes « quasiment de 8 heures à 23 heures tous les jours ». Un exercice « un peu schizophrène » : « c’est épuisant, mais le sujet m’intéresse énormément, cette situation est exaltante intellectuellement ! »

Pour le grand public

Il n’est pas le seul à faire face à de multiples sollicitations. « En ce moment, je suis tous les jours sur un plateau ou dans un média, que ce soit presse écrite ou radio », affirme Anne-Charlène Bezzina.

Éloquente, réfléchie, la politologue répond aussi bien à Yann Barthès dans Quotidien (« La Constitution, elle dit quoi ? »), qu’à David Abiker sur Radio Classique (« Un président qui décide d’une dissolution au lendemain d’élections européennes, […] est-ce conforme à l’esprit de la Vᵉ République ? »)

Chroniqueuse régulière dans l’émission d’Yves Calvi sur BFM TV, l’enseignante-chercheuse à l’université de Rouen et à Sciences Po Paris est présente dans les médias depuis 2021. « C’est très intéressant pour moi, ça demande à la fois de se replonger dans notre passé et de faire de la prospective. » Anne-Charlène Bezzina décrit son rôle comme celui d’une spécialiste qui prend du recul, « donne de la hauteur à un conflit partisan qui, souvent, perd un peu les Français. »

« Ce sont des questions que tout le monde se pose »

Du côté des médias, inviter des spécialistes du droit constitutionnel permet d’apporter de la pédagogie aux émissions. Ils sont interrogés sur l’aspect constitutionnel, mais aussi sur l’histoire et les circonstances des précédentes dissolutions. « Est-ce que la majorité présidentielle va s’effondrer ? » « Est-ce qu’on va avoir une chambre ingouvernable ? » Pour Arnaud Mercier, professeur en information et communication à l’université Panthéon-Assas : « Ce sont des questions que tout le monde se pose, y compris les analystes politiques qui le disent eux-mêmes : ils sont perdus. » Faire appel à des politologues prend donc tout son sens. « L’appel à une expertise juridique et politologique paraît d’autant plus nécessaire qu’il y a une grande incertitude sur le résultat du scrutin. »

Stars des plateaux

Le 24 juin, le constitutionnaliste Dominique Rousseau était au micro de la matinale la plus écoutée de France. « La dissolution a soulevé beaucoup de questions. Il y a plein de choses qui peuvent être incompréhensibles, c’est pour ça qu’on se permet d’inviter ce type d’interlocuteurs », explique Stéphanie Boutonnat, la rédactrice en chef de la matinale de France Inter. À une semaine du premier scrutin, l’inviter avec Anne Levade, sa consœur de l’université Panthéon-Sorbonne, était idéal « pour clarifier différents points sur la dissolution, la cohabitation, etc. ».

Ces politologues sont invités par vagues. Tous s’accordent sur des pics de sollicitation : lors de la réforme des retraites, des élections présidentielles, de la mise en place de l’état d’urgence ou encore des discussions sur l’immigration. « Avec la dissolution, il y a eu un moment de saisissement, d’électrochoc, on ne s’y attendait pas. Tout le monde est pris de court, il y a eu une accélération de la vie politique sans commune mesure », analyse Arnaud Mercier.

Mais le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier ne voit pas d’aspect « exceptionnel » à cette sollicitation. Il se remémore le mois de mars 2020 et les annonces d’Emmanuel Macron pour faire face à la pandémie. Les médias étaient sur le qui-vive, il fallait des experts en plateau pour parler des restrictions de liberté dues à l’état d’urgence sanitaire et des élections municipales à organiser dans ces conditions : « C’est là que mon téléphone a le plus chauffé. »

Dominique Rousseau rigole : « Quand c’est le Covid, les docteurs sont les stars des plateaux, avec la guerre en Ukraine ce sont les généraux. Pour les problèmes constitutionnels et politiques, ce sont les constitutionnalistes. »

Pas de « toutologues »

Le soir du 9 juin, le constitutionnaliste était « tranquillement » chez lui. Il n’aime pas la précipitation, et encore moins la surmédiatisation. Il n’a pas immédiatement répondu aux sollicitations. En jetant un coup d’œil à son agenda, le professeur émérite note sa première interview depuis l’annonce du président au 12 juin. « Je crois qu’il y a un danger pour les constitutionnalistes à être trop présents, partout. Cela peut dévaloriser le savoir que l’on peut éventuellement apporter ».

« Je souhaite être identifié comme quelqu’un qui parle des sujets qu’il maîtrise »

Jean-Philippe Derosier est du même avis. Lui était en direct depuis son canapé aux micros des radios France Inter et France Info ce dimanche-là. Il lui arrive souvent de décliner les demandes d’interview. Parfois, il ne se considère pas comme assez légitime. Il ne veut pas devenir un « toutologue qui s’exprime sur tout, tout le temps. Je souhaite être identifié comme quelqu’un qui parle des sujets qu’il maîtrise. Je suis là pour diffuser un savoir à quiconque serait intéressé. »

Sans vulgarisation ni détour

Selon Arnaud Mercier, « que ce soit les politologues ou les constitutionnalistes, on a la certitude qu’ils sont sur leur terrain de compétence. » Ces invités stars du moment sont une valeur sûre. Mais comment rendre accessible au grand public un domaine aussi complexe que l’analyse de la Constitution ? « On garde un niveau de discours identique à d’habitude, mais on va avoir besoin de parler de concret, répond Anne-Charlène Bezzina. C’est plus une épreuve d’ancrage que de vulgarisation. On doit se projeter par rapport à ce que l’on connaît de la théorie constitutionnelle. » La constitutionnaliste concède une part d’interprétation personnelle des institutions.

Au sein de rédactions, les contacts sont transmis avec la précision « de droite » ou « de gauche ». Jean-Philippe Derosier ne dissimule pas s’interdire d’aller sur CNews ou chez Valeurs actuelles. « Mes propos peuvent être déformés par leur audimat et je ne veux pas alimenter des canaux médiatiques qui ne font pas du journalisme dans le sens où je l’entends et qui est partagé par l’Arcom. »

A contrario, Benjamin Morel tient à garder une forme de neutralité en répondant à tous, sans exclusivité et sans pour autant adapter son discours à l’orientation de la chaîne. « Si on considère qu’une partie du public est composé d’idiots irrécupérables et qu’on préfère laisser les gens dans leur idiotie, je trouve ça fondamentalement méprisant et non démocratique », déclare-t-il.

Tous se rejoignent sur un point : cette médiatisation aussi forte que soudaine ne s’affaiblira pas tout de suite. « J’ai le sentiment que quel que soit le résultat du second tour, il y aura besoin de constitutionnalistes pour expliquer ce qu’est la majorité relative, une cohabitation ou un budget dans ces conditions », anticipe Anne-Charlène Bezzina. Même prévision chez Benjamin Morel, qui attendra le 22 juillet pour partir en vacances.

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