Débat 25 juin 2024 sur TF1

Jordan Bardella pour le Rassemblement national, Gabriel Attal pour le camp présidentiel, et Manuel Bompard pour le Nouveau Front populaire ont débattu sur TF1, le 25 juin 2024, avant le premier tour des législatives. 

© Crédits photo : capture d'écran TF1

Législatives : pour les radios et les chaînes de télévision, le casse-tête des temps de parole

Durant la campagne des élections législatives anticipées, les médias audiovisuels doivent respecter les temps de parole des candidats et des forces politiques. Un vrai défi, dans le contexte actuel.

Temps de lecture : 6 min

Une heure après l’annonce des premières estimations pour les élections européennes, l’allocution du président de la République commence. Dans toutes les rédactions de France, on sort exsangue des huit semaines de campagne européenne. La perspective d’une pente douce vers l’été, avant les Jeux olympiques, séduit. Pas de chance : Emmanuel Macron se saisit du moment pour annoncer la dissolution de l’Assemblée nationale. Nous sommes le dimanche 9 juin 2024, il est 21 heures : les garants de l’équilibrage du temps de parole doivent remettre le couvert. « À ce moment-là, on se dit qu’on repart pour deux tours », plaisante Malcolm Duquesney, responsable pluralisme et engagements sociétaux chez Altice Media (BFM TV-RMC). « Mon premier mot a été de me dire "mince", et encore je suis poli », grince Erik Kervellec, secrétaire général à l’information chez Radio France. Quant à Cyril Guinet, directeur de la Réglementation, déontologie et pluralisme chez France Télévisions, il ne cache pas qu’il aurait « préféré aller à Acapulco ».

L’Arcom (l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) adopte ses règles d’équité du temps de parole, met à jour ses référentiels dans la journée du 10, et les communique aux rédactions des radios et télévisions — les médias écrits et pure player ne sont pas concernés. Les chaînes doivent chronométrer et tenir le compte des déclarations politiques dès le lendemain, mardi 11 juin, à partir de 6 heures du matin.

Zizanie

Comme pour la majorité des scrutins en France, elles doivent accorder un temps de parole équitable à chaque force politique en présence, chaque prétendant. Plusieurs critères sont à prendre en compte : les résultats obtenus lors des derniers scrutins, notamment législatifs ; les enseignements des sondages ; la contribution de chacun des candidates et candidats à l’animation du débat électoral. À Radio France, « les patrons des rédactions et les services politiques estiment le poids de chaque formation a à un instant T, explique Erik Kervellec. L’Arcom peut faire valoir son désaccord sur la répartition. »

Il faut pouvoir rattacher chaque personne prenant la parole à l’une des 25 listes répertoriées en tout, ou à des tendances politiques plus larges. En cas de doute sur le positionnement d’une personnalité, les médias peuvent contacter l’Arcom. Vital dans le contexte actuel, tant ces élections se caractérisent depuis le 9 juin par de multiples alliances, trahisons, tensions et dissensions : Marion Maréchal exclue de Reconquête ! par Éric Zemmour ; des députés sortants LFI candidats à leur réélection, sans l’investiture de leur parti ; rapprochement d’une partie de LR avec le Rassemblement national. Une certaine zizanie. L’Arcom tranche. Marion Maréchal : divers droite. Éric Ciotti et celles et ceux qui le suivent : « Les amis d’Éric Ciotti », nom du micro parti créé pour l’occasion et déclaré au ministère de l’Intérieur. Les candidats LFI rebelles restent LFI.

Un calendrier serré

Autre facteur inédit : le calendrier, serré. Dépôt des candidatures jusqu’au dimanche 16 juin. Début officiel de campagne le 17. Premier tour le 30. Pour une estimation de la nouvelle assemblée le 7 juillet à 20 heures. Court. Intense. Difficile, aussi. Le groupe Altice comprend quatre chaînes de télévision (BFM TV, BFM Business, RMC Story, RMC Découverte) et deux radios nationales (RMC et BFM Business) mais aussi dix chaînes locales. Du côté de France Télévisions : France 2, France 3 (national et les antennes régionales), France 5, France Info (canal 27) et les chaînes ultramarines sont concernées. Problématique similaire à Radio France, quoique d’une dimension encore supérieure : il faut intégrer toutes les chaînes contenant de l’info — elles sont 48 en comptant le réseau France Bleu.

Le diable se cache dans les détails : il ne s’agit pas « juste » de chronométrer le temps de parole de chaque personnalité politique — ce serait trop facile. On parle d’élections législatives, au pluriel, car 577 se tiendront en même temps. Deux décomptes se font en parallèle : le local et le national. La déclaration d’une femme ou d’un homme politique X fait référence à l’état politique du pays, à l’intérêt de favoriser telle ou telle liste ? Les secondes vont dans une case dédiée au national. On évoque un scrutin en particulier ? Décompte local… qui nécessite l’ouverture d’une circonscription.

Ouvrir et fermer des circonscriptions

« Ouvrir une circonscription » : une complexité supplémentaire pour les rédactions. Car il faut alors donner la parole à tous les prétendants de l’élection citée. En tout cas les plus représentatifs. On ne « ferme la circonscription » qu’une fois le temps équilibré entre eux. Parfois, les journalistes ouvrent eux-mêmes les circonscriptions, lors de reportages. Les représentants des partis et candidats tiennent-ils compte, lors de leurs prises de parole, de la difficulté de refermer une circonscription dans un temps aussi court ? « Ils n’en ont rien à faire, mais on ne peut pas leur en vouloir », soupire Erik Kervellec, de Radio France. A contrario, Cyril Guinet de France Télévisions estime que « tous les personnels invités sont sensibilisés à cette question ».

Chez BFM TV, « nous briefons les invités quant à notre volonté de ne pas ouvrir les circonscriptions, explique Malcolm Duquesney, d’Altice Médias. Nous indiquons aux téléspectateurs, lorsque nous interviewons des gens sur les questions nationales, qu’ils ou elles sont candidats ou candidates. » Mais donner la parole à une personne engagée à titre personnel dans une élection, n’est-ce pas, de fait, ouvrir une circonscription ? « Cela s’entend mais alors on ne s’en sort plus, car ça veut dire qu’il y a plein de représentants nationaux qui se sont révélés comme députés et candidats qu’on ne peut plus inviter », ajoute Malcolm Duquesney.

Éviter les équilibrages en catastrophe

Autre niveau de complexité : même pendant le scrutin, il faut suivre le temps de parole « hors élection ». Un ministre se rend sur les lieux d’un désastre naturel pour apporter son soutien aux habitants ? Hors élections. Il évoque ce que feraient ses adversaires ou son camp dans le cadre de cette catastrophe, après les élections ? Décompté pour les élections. Ce temps de parole hors élection doit, lui aussi, être équilibré. Le président de la République a le droit à un temps de parole régalien, tout autant scruté.

Un décompte spécifique se fait aussi pour les personnes en dehors du champ politique. Artistes, scientifiques, célébrités diverses… En fonction de leur déclaration, ils entrent dans les bilans de candidats spécifiques. Pour Malcolm Duquesney, « la personne doit dire "je compte voter pour un tel", ce doit être explicite, il n’y a alors pas de doute sur le décompte. » Ainsi, les critiques jugeant les idées du Rassemblement national xénophobes, le programme économique du Nouveau Front populaire irréalisable, et irresponsable la majorité sortante ne peuvent être comptabilisées d’une manière ou d’une autre. Une des limites des relevés des temps de parole, selon Erik Kervellec. « Cela peut être défavorable à une coalition, à des partis, explique-t-il, mais on ne peut le faire apparaître comme tel nulle part. »

« C’est extrêmement fastidieux et long, on n’est pas staffé pour ça »

Ainsi, une simple phrase, aussi courte soit-elle, peut se retrouver fractionnée, distribuée dans divers décomptes. Et avoir des effets sur les activités des journalistes. Car les médias audiovisuels doivent déclarer les temps de parole deux fois par semaine — soit six transmissions de données pour le premier tour, une seule pour le deuxième. Il faut donc, en permanence, garder un œil sur les chronomètres, prendre en compte les interviews et reportages à venir. Pour éviter à tout prix des équilibrages en catastrophe. Ou pire, si un événement bouscule l’actualité, l’impossibilité d’égaliser.

Mais même sans cataclysme extérieur à la campagne, la tâche s’avère complexe. Du fait, en partie, de l’accélération du temps politique. Chez Altice, deux personnes supplémentaires auraient d’ordinaire été recrutées pour aider au décompte. Pas cette fois. Le temps a manqué. Des stagiaires, présents six mois dans le groupe, s’y collent. D’habitude, Malcolm Dusquesney supervise, mais pour ces scrutins il met les mains dans le cambouis. Y compris les week-ends, « pour éviter les journées à rallonge pour les équipes ».

Dans le groupe France Télévisions, tout est manuel. Sauf à France Info, où une société tierce missionnée (dont nous ne connaîtrons pas le nom) s’en occupe. Radio France fait appel aux services d’une société (Yacast) pour décompter le temps de parole sur les chaînes nationales : des coûts supplémentaires. Quant aux fréquences France Bleu… les rédactions en chef et assistants doivent se débrouiller avec leurs petites mains, et remontent les données vers Paris. « C’est extrêmement fastidieux et long, on n’est pas staffé pour ça. Personne n’avait prévu cette dissolution, déplore Erik Kervellec. La charge de travail repose sur un nombre réduit de personnes. »

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