L’indépendance des médias : mission impossible ?
Le sociologue Patrick Champagne étudie les rapports de force auxquels sont soumis les médias.
Le sociologue Patrick Champagne étudie les rapports de force auxquels sont soumis les médias.
Comme son sous-titre l’indique, le dernier essai de Patrick Champagne, La double dépendance, porte « sur le journalisme ». La double dépendance, c’est d’une part la dépendance des médias vis-à-vis du champ économique et d’autre part leur dépendance vis-à-vis du champ politique. Ces dépendances, Patrick Champagne en propose une approche sociologique. L’objectif de son livre – basé sur l’analyse détaillée d’un nombre important d’événements et de leur traitement journalistique – est de proposer des outils et une grille de lecture pour mieux comprendre l’actualité. Ce court essai, très agréable à lire et facilement accessible, est organisé en quatre chapitres : « L’événement comme enjeu », « La double dépendance », « La fin d’un magistère », et « Les médias, "la pensée par sondages" et internet ».
Dès l’introduction et dans le premier chapitre, sans doute le plus intéressant du livre, Patrick Champagne réfléchit aux conditions qui font d’un « fait » une « information », puis d’une « information » un « événement ». Cette question essentielle est d’autant plus importante aujourd’hui que le traitement du terrorisme par les médias est interrogé de toutes parts, du fait tout d’abord de ce que l’on appelle communément les « ratés » de la couverture médiatique qui peuvent aller d’ « approximations » ou de nouvelles erronées jusqu’à la mise en danger d’individus, on l’a vu au moment des événements de Charlie. Mais ce traitement est également interrogé du fait du caractère parfois inapproprié de ce qui est diffusé, en particulier à la télévision (dans le cadre de l’attentat de Nice, France Télévisions a dû présenter des excuses à la suite de son traitement de l’événement). Enfin, au-delà des dérapages « évidents » et des atteintes à la déontologie, une véritable réflexion est à mener sur la pertinence pour les médias de diffuser les photos et les noms des terroristes. En leur offrant cette visibilité, les médias ne risquent-il pas d’ériger les terroristes en stars ?
Les journalistes ne se contenteraient plus de rendre compte de faits qui s’imposent à eux mais fabriqueraient l’événementLa question essentielle est ainsi de savoir si « les journalistes se bornent à enregistrer les événements » ou si « ils les co-produisent » (p. 21). Patrick Champagne s’appuie sur l’Histoire pour y répondre et la réponse qu’il apporte est innovante. Selon lui, à l’origine, la presse ne faisait que rendre compte d’événements qui s’imposaient à elle : « la presse, à l’origine, rendait compte d’événements qui n’existaient ni par elle ni pour elle » (p. 29). Aujourd’hui, au contraire, les journalistes ne se contenteraient plus de rendre compte de faits qui s’imposent à eux mais feraient l’événement. Ils le fabriqueraient. Comment expliquer cette évolution de la fonction des journalistes ? On voudrait que Patrick Champagne nous éclaire encore davantage sur cette évolution historique et détaille plus sa compréhension du passage du journaliste « enregistreur » au journaliste « producteur », car l’enjeu est de taille. Mais ce premier chapitre a le mérite de mettre au centre de sa réflexion sur le journalisme cette problématique essentielle. Car si les journalistes font l’événement et sont doublement dépendants, alors c’est la qualité de l’information à laquelle les citoyens ont accès qu’il faut interroger.
Dans le deuxième chapitre de son essai qui en reprend le titre, « La double dépendance », Patrick Champagne explicite ce qu’il entend par dépendance. La dépendance, c’est d’une part selon lui la dépendance vis-à-vis du champ politique, et d’autre part la dépendance vis-à-vis du champ économique. Ce chapitre, peut-être plus attendu et moins original que le premier, pose néanmoins un certain nombre de questions clefs de façon extrêmement claire.
La dépendance économique, c’est également la précarisation de la professionD’autre part, en se concentrant essentiellement sur la question de l’influence publicitaire, Patrick Champagne fait également l’impasse sur les conditions économiques de la production de l’information. Or la dépendance économique, c’est également la baisse du nombre de journalistes (qui les rend plus dépendants de leurs actionnaires car il devient plus difficile de faire jouer la clause de cession dans un contexte où l’ensemble des médias diminuent la taille de leurs rédactions) et la précarisation de la profession.
Si Patrick Champagne insiste autant sur l’influence publicitaire, c’est parce que l’autre dépendance qu’il semble craindre pour le journalisme, même s’il ne le formule pas aussi directement, c’est la dictature de l’audience. (Or une audience suffisante est une condition nécessaire à des revenus publicitaires.)
Dans la conclusion de son livre, « Pour un service public de l’information », Patrick Champagne reprend pour l’essentiel le « Projet pour une presse libre » de Pierre Rimbert.
Dans son livre Il n'y a que moi que ça choque ?, Rachid Laïreche raconte son expérience personnelle dans la « bulle » des journalistes politiques, où il a passé huit ans pour Libération. À travers cet exercice d'autocritique, il dénonce le fonctionnement d'un certain type de journalisme politique marqué par l'entre-soi, un rapport « malsain » aux responsables politiques et déconnecté des préoccupations des lecteurs.