Un danger pour le débat public
Le point le plus problématique est sans doute l’établissement d’un recours en référé, recours d’urgence dans le cadre duquel le juge statue en 48 heures. Ce recours pourra être effectué en période pré-électorale et électorale, c’est-à-dire dès la publication du décret convoquant les électeurs, en général environ deux mois avant la date de l’élection. Deux écueils dans cette disposition pourraient entraîner de fâcheuses conséquences.
Tout d’abord, le juge devra en très peu de temps déterminer la véracité de l’information. Or, si dans le cadre d’une enquête journalistique la protection du secret des sources protège le journaliste, notamment en application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dans les autres situations, le juge devra effectuer une étude plus approfondie. On peut imaginer que, mettant en balance l’information et la liberté d’expression, il sera peu enclin à avancer qu’une information est fausse.
Comment savoir si une information est de nature à fausser le scrutin avant même qu’il ait eu lieu ?
Par ailleurs, la proposition de loi prévoit que l’information, si elle est fausse, doit être « de nature à altérer la sincérité du scrutin ». Ce n’est pas vraiment nouveau, ce critère existe déjà à l’article L97 du code électoral qui réprime les fausses nouvelles en période électorale. Or, comment savoir si une information est de nature à fausser le scrutin avant même qu’il ait eu lieu ? C’est bien pour cela que l’article L97 ne prévoit pas de référé, et que cette appréciation se fait après le scrutin. Voilà donc un critère qui va rendre encore plus difficile pour le juge de sanctionner la diffusion d’une information, fut-elle fausse.
Ces deux écueils pourraient aboutir à la conséquence que lorsque le juge rejettera le recours car il n’aura pas réussi à déterminer que l’information est fausse – ce qui ne signifie pas qu’elle est vraie – ou qu’elle serait de nature à altérer la sincérité du scrutin – ce qui ne veut pas dire que ce serait le cas, et ce à quelques jours ou semaines du scrutin, on imagine très bien l’exploitation politique qu’en feraient les candidats : « La justice a confirmé que ce dont on accuse mon opposant est vrai ». Alors que ce n’est pas ce qu’aura dit le juge… Si un tel recours avait existé pendant la campagne de 2017, et que François Fillon l’avait utilisé contre les journalistes qui révélaient les différentes « affaires » à son encontre, un rejet du juge l’aurait-il conduit à se retirer de la campagne ?
On peut imaginer aussi que le référé soit instrumentalisé : François Fillon aurait alors pu saisir le juge des référés 48 heures avant le scrutin afin de montrer que, confiant dans la justice de son pays, il sait que le juge considèrera l’information comme fausse. La période de silence imposée aux médias à la veille du scrutin aurait alors rendu impossible la communication large de la décision de rejet du juge, incapable de trancher la question de la véracité de l’info.
Porter atteinte à une liberté de manière préventive est un acte politique.
Enfin, un rôle de gardien de l’ordre public est attribué au Conseil supérieur de l’audiovisuel. Or, le gardien de l’ordre public, c’est le Premier ministre ou encore le maire dans sa commune. Porter atteinte à une liberté de manière préventive est un acte politique qu’il ne faudrait pas confier à une autorité administrative, au risque de déresponsabiliser les élus. Déterminer ce qui porte atteinte à la sécurité publique ou à la moralité publique doit être le fait de l’exécutif, sous le contrôle en référé du juge administratif, comme c’est le cas aujourd’hui.
Sur de nombreux points, cette proposition de loi est non seulement imparfaite et inutile, mais aussi dangereuse pour la sérénité et la diversité du débat public. À l’origine, la proposition devait s’intituler « pour la confiance dans l’information ». On comprend à la lecture du texte pourquoi il n’est finalement nul question de « confiance ».
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