Médias et chaînes satellitaires comme instruments de soft-power
La récente multiplication des chaînes satellitaires au Proche et au Moyen-Orient a prouvé l'importance qu'elles peuvent avoir pour les gouvernements. Pour des pays à faible population ou peu présents sur la scène internationale, elles peuvent être l'occasion de se faire connaître, de se fonder une image et de la valoriser à travers le monde (Qatar)
, tandis qu'elles permettent à d'autres d'asseoir une puissance régionale sur la scène médiatique (Arabie Saoudite, Egypte, Iran). Pour Mamoun Fandy, toutes ces chaînes sont de proches descendantes de la radio Nassérienne Sawt al-Arab, et poursuivent peu ou prou le même objectif
. Mais si dans les années 1950 Sawt al-Arab était unique, ce sont aujourd'hui des dizaines de chaînes financées par autant de pays qui souhaitent s'imposer. Une véritable bataille fait rage, reflétant ainsi, via le prisme médiatique, les conflits interétatiques. Cela est d'autant plus flagrant lorsqu'on regarde les initiatives égyptiennes (Nile News TV) ou saoudienne (Al Arabiya, du groupe MBC), réponses claires à la dérangeante chaîne qatarie. L'Iran et la Turquie, dont l'arabe n'est pas la langue principale, entrent même dans la compétition avec le lancement respectif d'Al-Alam (2003) et de TRT 7 (2010).
A ses débuts, cette guerre satellitaire provoqua quelques conflits d'ordres diplomatiques, en particulier dus à l'ébranlement de la stabilité des relations interétatiques qui s'en est suivi. Une initiative comme Al Jazeera a pris de court de nombreux gouvernements et ministères des Affaires étrangères, autochtones comme occidentaux, qui ne savaient pas s'il fallait la traiter comme une chaîne télévisuelle classique ou comme un organe qatari semi-officiel. Cette ambiguïté
, démentie dès le départ par le Qatar et par la chaîne, a tout d'abord fait porter la riposte sur le plan diplomatique : la Libye et le Maroc rappelèrent par exemple leurs ambassadeurs « à titre définitif », tandis que la Tunisie mit fin à ses relations avec le Qatar
, suite à des reportages ou des talk-shows jugés diffamants. Ces actions restèrent pourtant sans grand effet, le Qatar se défendant de ne pouvoir imposer quoi que ce soit à cette chaîne indépendante qu'il ne contrôlait en rien. L’offensive se fit ensuite sur le plan économique : « la pression saoudienne sur le gouvernement du Qatar était essentiellement commerciale, l'objectif étant de priver Al-Jazeera de l'accès au marché publicitaire du Moyen-Orient largement dominé par les agences saoudiennes et libanaises. » Pour Hugh Miles, « Fin 2002, les pressions diplomatiques et financières à l'encontre de la chaine culminaient donc à un niveau sans précédent. Ses bureaux avaient été fermés dans six pays et le nombre de plaintes officielles qu'elle avait reçues se montait à plus de quatre cent. »
Au final, ayant épuisé toutes les alternatives, la voie choisie fut de mettre en place des chaînes concurrentes basées sur un même modèle, comme nous avons pu le constater.