Un court paragraphe introductif et une liste de huit engagements pour les élections municipales, regroupés au sein d’une « charte des bonnes pratiques ». « Transparence » et « exigence d’équité » sont les valeurs au cœur du message que Centre France a adressé à ses lecteurs le 4 novembre sur les sites internet des huit titres du groupe (La Montagne, L’Écho Républicain, Le Journal du Centre, Le Populaire du Centre, La République du Centre, Le Berry Républicain, L’Yonne Républicaine et L’Éveil de la Haute-Loire). La finalité ? « Donner la parole à nos lecteurs et leur apporter toutes les clefs de compréhension. »
Pas de parti pris, respect de l’équité, aucun sondage local, indépendance vis-à-vis des agendas politiques… L’établissement de ces règles et leur publication a paru indispensable au groupe de presse dans la perspective des prochains scrutins. « À chaque élection, le journal et les journalistes servent de punching-ball : on nous accuse de tous côtés d’être de tous bords politiques. Cette charte est une manière de fixer un cadre et d’annoncer nos règles. De dire : voici ce qu’on va faire, voici ce qu’on ne va pas faire », explique Sandrine Thomas, directrice des rédactions de Centre France et rédactrice en chef de La Montagne.
Chacun des engagements est explicité, détaillé. Pour ne pas subir les agendas politiques, l’engagement n°3 spécifie que les communiqués, les tribunes et « les évènements qui pourraient être surexploités par des élus sortants et des candidats à des fins de campagnes », n’auront pas leur place dans les huit titres du groupe. Le deuxième point, sur l’équité, concerne directement les candidats prête-nom : « Certains partis que nous ne connaissons pas apparaissent subitement lors des élections municipales. Ils ne parlent pas de projets pour la ville, mais profitent de la campagne pour faire de la politique nationale. Nous ne les couvrirons pas, car nous sommes garants des enjeux locaux », assure Sandrine Thomas.
Journalistes et candidats également visés
Cette « charte de bonnes pratiques », qui ne crée pas de difficultés particulières pour les journalistes, permettrait même quelques facilités. Fixer des règles globales est l’occasion d’offrir une plus grande cohérence vis-à-vis des interlocuteurs extérieurs entre les huit titres du groupe Centre France. Et davantage de limpidité pour les rédactions qui savent quelle attitude adopter. « C’est extrêmement bien vécu en interne », se réjouit la directrice des rédactions de Centre France.
Parmi les engagements, on trouve en première place celui d’interdire aux correspondants locaux de presse du groupe de prendre part à la campagne. « Si certains d’entre eux sont engagés, nous nous en séparerons définitivement et nous en recruterons d’autres », prévient Sandrine Thomas.
L’engagement de Centre France revêt toutefois une dimension politique, puisque le dernier point de la charte souligne les « valeurs républicaines » du groupe. « Comme en 2002 et 2017, nous nous réservons le droit de prendre position au lendemain du premier tour pour défendre nos convictions, conformément aux histoires de nos titres et de nos territoires. » Une position tout à fait assumée par Sandrine Thomas, qui assure que « si un candidat du Rassemblement national se retrouve au second tour, nous soutiendrons le parti qui défend les valeurs démocratiques et républicaines ».
« Nous recevons souvent des demandes pressantes de candidats. Désormais, ils savent que nous ne leur répondrons pas »
Afin de « replacer les préoccupations des lecteurs au cœur de leur ligne éditoriale et prendre le pouls de leurs attentes », l’engagement n°4 promet la mise en place d’« outils interactifs » comme des débats, des rencontres et des questionnaires, fait valoir Sandrine Thomas. « Conjointement avec Sud-Ouest, nous préparons des podcasts pour donner la parole à des réalités, aux maires qui ne se représentent pas, à ceux en milieu rural », ajoute la directrice des rédactions du groupe Centre France.
La charte n’est pas seulement destinée aux journalistes et aux lecteurs, mais aussi aux candidats. « Nous recevons souvent des demandes pressantes pour couvrir l’inauguration d’un local de campagne, une cérémonie de vœux, des réunions publiques... Désormais, les candidats savent que nous ne leur répondrons pas. Cela fait gagner du temps et de l'énergie à tout le monde », souffle-t-elle, précisant que, pour l’instant, les partis n’ont pas cherché à contourner la charte.
Une stratégie axée sur la proximité
Pour Centre France, prendre de tels engagements était nécessaire. « Nous voulions descendre de notre piédestal, être davantage à l’écoute de nos lecteurs, avoir plus de proximité pour mieux cerner leurs attentes », confie la directrice des rédactions du groupe. Selon elle, la stratégie porte ses fruits. « Les lecteurs nous font des retours positifs, notamment sur les sondages. Certains nous remercient et nous confirment qu’ils n’attendent pas de nous une influence sur leur vote mais un traitement des sujets de fond pour voter en conscience. »
« Nos journalistes sur le terrain au quotidien et vivant sur nos territoires sont les meilleurs instituts de sondage »
Si Sandrine Thomas se félicite que le groupe Centre France ait adopté un tel engagement, c’est parce que lors des précédentes élections municipales (2001, 2008 et 2014), les huit titres avaient commandé et relayé des sondages (« faits depuis Paris ») annonçant « l’exact opposé » des verdicts venus des urnes quelques semaines plus tard. « Nous étions à côté de la plaque. Depuis, nous avons réalisé que nos journalistes sur le terrain au quotidien et vivant sur nos territoires sont les meilleurs instituts de sondage. »
Au-delà de cette initiative, Centre France s’est lancée dans une démarche globale sur la stratégie éditoriale du groupe qui passe par « le temps de l’écriture, la recherche de la qualité plutôt que l’audience », affirme-t-elle. Dans sa volonté de « s’engager comme acteur du territoire », La Montagne a publié une série d’articles sur la nécessité d’améliorer la ligne ferroviaire qui relie Paris à Clermont-Ferrand. En septembre, le journal a notamment invité Guillaume Pepy à rencontrer les usagers durant plusieurs heures.
Ailleurs aussi, des engagements sur le long terme
Rédacteur en chef d’Ouest-France, principal titre de la presse quotidienne régionale (PQR), François-Xavier Lefranc salue l’initiative de ses confrères. « C’est toujours bien de dire aux lecteurs ce que l’on fait, d’autant plus que notre métier est très interrogé aujourd’hui dans la société. Mais il ne faudrait pas que cela tombe dans la communication facile », souligne-t-il, estimant que « l’on ne convainc pas les lecteurs en proclamant les choses mais en les faisant ». Le rédacteur en chef assure que son journal respecte tous les engagements pris par Centre France. « Depuis très longtemps, nous avons des règles bien définies en interne, valables toute l’année. Par exemple, nous n’avons jamais fait et ne ferons jamais de sondages durant les élections municipales », explique-t-il. Ouest-France s’applique à actualiser régulièrement cette charte. Le dernier ajout concerne notamment le traitement des violences faites aux femmes à propos desquelles le terme de « crime » est désormais préféré à celui de « crime passionnel ».
À La Voix du Nord aussi, le journal s’engage auprès de ses lecteurs, soutient Patrick Jankielewicz, son rédacteur en chef, citant notamment une charte des faits divers créée en 2008 et, plus récemment, « une plateforme participative via laquelle nous communiquons sur nos engagements et expliquons comment nous fonctionnons ». La stratégie de l’engagement de La Voix du Nord dépasse aussi parfois sa mission d’information. Début novembre, et à l’issue d’une campagne contre le harcèlement scolaire, le journal a publié huit propositions à destination des institutions pour faire cesser ce fléau.