Une consultation des dictionnaires permet de constater que l’utilisation du terme « censure » n’est pas en l’espèce erronée(1). Pour autant, ce terme, lorsqu’on l’utilise au sujet d’une œuvre artistique, revêt une connotation négative particulière qui laisse à penser immédiatement qu’il est porté gravement atteinte à la liberté d’expression. L’utilisation de ce terme connoté semble complètement inadaptée à la situation de Nymphomaniac. Soyons clairs : le film n’a pas été coupé, modifié ou interdit sur le territoire français. En réalité, le juge a tout simplement décidé que certaines tranches d’âge ne pourront pas voir le film de Lars Von Trier en salles. Peut-on réellement dans ces conditions parler de censure et sérieusement comparer cet état de fait aux pratiques iraniennes ou chinoises en la matière ? Rappelons qu’en Iran et en Chine des cinéastes sont emprisonnés ou exilés pour avoir réalisé ce que le pouvoir politique ne veut pas voir. On est loin du simple objectif de protection de la jeunesse ici recherché. N’y a-t-il pas un peu d’excès à comparer l’élévation d’une restriction aux mineurs à ces situations ? En réalité, plus qu’une censure, la pratique du visa d’exploitation constitue une régulation de l’accès aux salles des mineurs comme on la trouve dans l’intégralité des pays démocratiques de la planète. La pratique française en la matière est une des plus souples que l’on puisse trouver. Les États-Unis ou le Royaume-Uni sont beaucoup plus stricts. La première partie du film Nymphomaniac est ainsi interdite aux moins de 16 ans en Allemagne et aux Pays-Bas. Le film est interdit aux moins de 18 ans dans la plupart des autres pays européens. Seule la Suède est plus souple avec une interdiction aux moins de 15 ans. Tous ces pays seraient-ils également d’affreux censeurs qui se fondent sur des éléments « archaïques » ? Pour finir, rappelons que la Cour européenne des droits de l’homme elle-même juge la pratique de ces restrictions parfaitement compatible avec la liberté d’expression (CEDH, 25 novembre 1996, Wingrove c. Royaume-Uni, Rec. 1996-V).
Permettre à la commission et au ministre de la Culture d’attribuer un visa sans contrôle du juge est la proposition la plus attentatoire aux libertés que l’on puisse proposer
Le juge est un spécialiste…du droit et c’est tout ce qu’on lui demande
Il est de la responsabilité d’un juge de rendre une solution de façon neutre et dépassionnée. Depuis quand, dans un État de droit, les juges rendent-ils des décisions au vu du pédigrée du demandeur ? Prendre en compte la personnalité des requérants pour rendre une décision de justice est inenvisageable. Il est beaucoup plus pertinent d’expliquer qu’il est étonnant que les recours visant les sous-classifications de films sortis au cinéma soient quasi-exclusivement effectués par une seule association en France. En d’autres termes, les classifications de films ne semblent pas intéresser ni déranger grand monde en France si ce n’est une ou deux associations. Les distributeurs effectuent parfois des recours pour contester la classification d’un de leurs films mais toujours pour demander aux juges une classification moins restrictive. Doit-on pour autant abandonner la classification des films ? Rien ne le justifie. La protection de la jeunesse reste un objectif louable et nécessaire auquel s’attachent plusieurs autorités publiques (ministre de la Culture, CSA) ou organismes privés (classification PEGI pour les jeux vidéo). Pour ce qui est de l’association Promouvoir, elle n’effectue qu’un à deux recours par an au maximum. La plupart du temps elle n’obtient pas gain de cause (le Tribunal administratif vient par exemple de rejetter ses requêtes concernant le visa d’exploitation de La vie d’Adèle). Lorsqu’il est fait droit à ses requêtes c’est uniquement parce que les juges estiment qu’il y a eu une erreur de classification.
Les décisions Nymphomaniac n’ont rien d’originalEn effet, jusqu’à présent, le Conseil d’État a toujours considéré qu’un film comportant une ou des scènes de sexe non simulées devait être interdit au minimum aux moins de 16 ans. Le contrôle de cet élément permet au ministre (et au juge) d’évaluer ce qui est porté à l’écran c’est-à-dire ce qui est visible pour les mineurs. Au vu de la teneur des images le ministre peut moduler sa décision de restriction sous contrôle du juge en cas de recours juridictionnel. Le visa doit donc correspondre à ce qui est vu à l’écran. Le visionnage de la première partie du film Nymphomaniac permet de comprendre qu’une restriction aux moins de 12 ans était incompatible avec le contenu du film. Soyons sérieux : est-ce si scandaleux et inadmissible de considérer qu’il est excessif pour un enfant de 12 ans de voir Nymphomaniac ? Le juge ne fait en la matière que reprendre l’état du droit positif. Si Nymphomaniac vol. 1 mérite une classification moins de 12 ans, quel film mérite alors une classification « moins de 16 ans » ou « moins de 18 ans » ?
Les décisions rendues par le Tribunal administratif de Paris permettent la suspension des visas attribués aux deux parties du film. La suspension intervient en théorie jusqu’à ce que le juge statue sur l’affaire au fond. Les premières décisions sont des décisions rendues en urgence en raison d’un doute sérieux sur la légalité des visas. Les décisions au fond seront des décisions définitives (sauf appel et cassation) rendues sans urgence de façon plus détaillée. Les visas étant suspendus, les deux parties de Nymphomaniac ne pouvaient plus être exploitées en salles. Cela explique que la ministre ait réagi rapidement en attribuant deux nouveaux visas conformes aux indications du Tribunal administratif de Paris. Si la ministre ne l’avait pas fait, les deux films de Lars Van Trier n’auraient plus pu être exploités en salles.
Si la ministre n'avait pas agi rapidement, les deux films de Lars Van Trier n’auraient plus pu être exploités en sallesL’exploitation en salles n’a donc été perturbée qu’en ce qu’elle n’a empêché un certain nombre de mineurs de voir le film pendant les dernières semaines d’exploitation en salles (les décisions du juge ont été rendues alors que le film était déjà exploité depuis plusieurs semaines). Les effets sur la diffusion télévisuelle du film sont également assez limités. La première partie du film, qui passe d’un visa moins de 12 ans à un visa moins de 16 ans, ne pourra être diffusée qu’après 22h30 sur les chaînes traditionnelles (hors chaînes cinéma et Canal+). Une interdiction aux moins de 12 ans lui imposait déjà d’être diffusée après 22h. Pour la deuxième partie, la restriction aux moins de 18 ans empêche une diffusion du film sur les chaînes traditionnelles. En effet, le CSA interdit aux chaînes de télévision de passer des films interdits aux moins de 18 ans. Les seules chaînes habilitées à passer ce type de films sont Canal+, Ciné+Frisson et OCS. De façon critiquable, la télévision ne peut pas distinguer parmi les interdictions aux moins de 18 ans comme cela se pratique au cinéma avec la restriction moins de 18 ans et la classification X. Que le film soit interdit aux moins de 18 ans en salles ou reçoive un visa X, il sera de toute façon insusceptible d’être diffusé sur les chaînes traditionnelles. Les chaînes doivent reprendre les visas attribués au cinéma pour classifier les films et doivent même sur-classifier le film si la diffusion à la télévision le justifie. Il fait peu de doute que les deux parties de Nymphomaniac auraient été de toute façon sur-classifiées à « moins de 18 ans » par les chaînes lors de leur diffusion quand bien même leurs visas n’auraient pas été modifiés. On peut tout de même affirmer que les nouveaux visas du film le pénalisent financièrement dans la mesure où la diffusion à la télévision sera particulièrement limitée et donc peu rétributrice pour les producteurs. Gageons que ces derniers avaient vraisemblablement pris en compte le fait que la diffusion télévisée de ce film serait, au vu du sujet et de son traitement, très limitée.
Avec le succès de la série « Drive to survive » sur Netflix et des diffusions de Grand Prix sur Canal+, la F1 a élargi, rajeuni et féminisé son public. Le retour en grâce de ce sport, considéré comme l’un des plus polluants, s’explique largement par la stratégie du groupe Liberty Media, qui a racheté le championnat du monde de F1 fin 2016.