Le juge n’est-il pas incompétent en matière artistique ?
Une interview récente de Virginie Despentes résume bien les
critiques émises à l’encontre de l’intervention de la justice dans le domaine artistique : « Le problème, avec le Conseil d’État, par exemple pour
Baise-moi, c’est que tu retrouves sept septuagénaires qui regardent ce film en noir et blanc parce qu’ils ne savent pas régler leur magnétoscope, et ces malheureux sept papys n’ont jamais vu un film de William Friedkin ou de John Waters de toute leur vie… Ils ne comprennent pas grand chose. Passer du
Magicien d’Oz au dernier Lars Von Trier sans aucun élément d’explication d’image contemporaine, c’est un choc… »
Le juge est un spécialiste…du droit et c’est tout ce qu’on lui demande
Ainsi, la juridiction administrative serait exclusivement constituée de vieux schnocks complètement ignares quand on en vient à parler d’art… Inutile de s’attarder sur ces clichés caricaturaux. L’idée serait donc qu’un juge n’a pas à intervenir dans le domaine artistique faute d’être compétent. Avec ce type de raisonnement on se demande comment un juge peut intervenir sur des questions de bioéthique, de médecine, d’urbanisme ou dans toute autre matière s’il n’est pas démontré qu’il est un spécialiste. En réalité le juge est un spécialiste…du droit et c’est tout ce qu’on lui demande. En matière de visas d’exploitation, le juge applique les textes préalablement édictés par les chambres législatives et le pouvoir réglementaire. Le rôle d’un juge est d’appliquer le droit de façon neutre et dépassionnée. Le juge ne prend à aucun moment en compte les qualités artistiques du film, il se contente de déterminer s’il contient des images nuisibles pour la jeunesse. Les décisions rendues par le juge des référés du Tribunal administratif de Paris sont tout à fait en phase avec la jurisprudence constante du Conseil d’État en matière de visa. Ces décisions ne sont pas particulièrement originales et ne changent rien à la jurisprudence. On peut même noter que le juge a été un peu plus souple qu’à son habitude sur la première partie de Nymphomaniac.
Les textes ne sont pas précis sur les justifications entrainant les restrictions d’âge. Seules les classifications X (tombée en désuétude au cinéma) et la classification moins de 18 ans sont un minimum détaillées par les textes qui ne disent par contre rien sur les différences entre une interdiction aux moins de 12 ans et de 16 ans. L’absence de précision permet aux juges d’être plus souples sur l’interprétation des textes. La jurisprudence établie par la juridiction administrative permet par contre d’avoir une grille de lecture assez précise sur les différentes restrictions. À la lecture de cette grille, la sous-classification de la première partie de
Nymphomaniac apparaissait manifeste. Pour ce qui est de la seconde partie, quoique moins manifeste, la sous-classification apparaissait également logique quand on connait la jurisprudence en la matière.
Nymphomaniac n’a pas subi un régime spécial mais le même régime que tous les autres films.