Pologne : une OPA hostile du gouvernement sur les médias publics et après ?

Pologne : une OPA hostile du gouvernement sur les médias publics et après ?

Le parti Droit et Justice au pouvoir en Pologne vient de voter une loi lui donnant tout pouvoir sur les médias publics. C’était sans compter sur la réaction de la société civile polonaise.
Temps de lecture : 6 min

Le gouvernement polonais, mené par le parti de droite ultraconservatrice et souverainiste Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis octobre 2015, se donne à présent tous les moyens en sa possession pour transformer le pays selon sa vision fondée sur des valeurs nationales, en commençant par mettre au pas la justice et en s’emparant des médias publics. Cependant, les inquiétudes des institutions européennes au sujet de l’État de droit en Pologne sont peut-être prématurées compte-tenu de la mobilisation des Polonais eux-mêmes en faveur de la liberté de parole et des institutions démocratiques menacées et contre les tentatives autoritaires de leur gouvernement.

Des médias publics aux médias nationaux

« Réformer » les médias publics a été l’une des premières mesures prises par le gouvernement ultraconservateur polonais formé par le parti Droit et Justice (PiS), arrivé largement en tête des élections législatives d’octobre 2015 et qui considère qu’actuellement, ces médias ne remplissent pas correctement le rôle de service public qui leur est confié. La réforme prévoit notamment de transformer les médias publics, qui sont actuellement des sociétés de droit commercial contrôlées par l’État, en institutions culturelles « nationales » parrainées par un Conseil des médias nationaux. Pour gérer la période transitoire, une loi dite « petite loi sur les médias » a été adoptée par le Parlement fin décembre dernier et entrée en vigueur presque aussitôt. Elle place les médias publics sous la tutelle du ministre du Trésor qui a désormais le pouvoir de nommer et de révoquer à sa guise les membres des directions et des conseils de surveillance de la télévision et de la radio publiques tout en abrogeant, avec effet immédiat, les mandats des directions actuelles.

Sans tarder, l’opposition a dénoncé la mainmise du parti au pouvoir sur les médias publics voués à devenir les médias d’État pour servir les intérêts du PiS au pouvoir. « Les médias publics [polonais] ont toujours été plus ou moins politisés, de même que la KRRiT(1), dont les membres ont été proposés par le Parlement. Mais ils n’ont jamais été sous la tutelle d’un ministère », constate Agnieszka Kublik,une éditorialiste de Gazeta Wyborcza.

Les médias publics sous contrôle, les médias privés d’opposition menacés

 Le journal télévisé est désormais dédié avant tout à la communication gouvernementale  
La « petite loi  sur les médias » a déjà permis de placer des gens proches du PiS à la tête des médias publics. Certains journalistes critiques envers cette formation politique ont été également renvoyés. Et maintenant, c’est aux programmes d’information d’être remodelés selon des règles dignes de la Pologne communiste. En tout cas, à en croire Gazeta Wyborcza. En effet, le principal quotidien du pays - et aussi le principal média d’opposition - a constaté, en analysant le contenu du journal télévisé diffusé durant la semaine du 18 janvier 2016 sur TVP1(2), que celui-ci est désormais dédié avant tout à la communication gouvernementale, rappelant ainsi les pratiques en règle sous le régime communiste.
 
Les mesures mentionnées ne concernent, pour l’instant, que les médias publics. Les médias privés ne sont pas pour autant à l’abri, d’autant plus que certains d’entre eux sont farouchement opposés à la vision de la Pologne proposée par le parti de Jaroslaw Kaczynski(3), et la combattent sans ambages, surtout depuis que le gouvernement en place a commencé à limiter l’indépendance des institutions-clé de l’État démocratique, comme le Tribunal constitutionnel et à mettre en œuvre son projet concernant la radio et la télévision publiques. Mais ils feront certainement l’objet de la nouvelle « grande » loi sur les médias, attendue pour le printemps prochain, et dont le projet prévoit la « polonisation » des médias du pays. Il est probable que les médias qui sont détenus par les propriétaires étrangers (c’est le cas, entre autres, de la chaîne de télévision TVN, contrôlée depuis mars 2015 par la société de médias américaine Scripps Networks Interactive et aussi celui de l’hebdomadaire Newsweek, détenu par le groupe Axel Springer, tous deux avec une ligne éditoriale libérale et qui comptent, au sein de leurs rédactions, de nombreuses voix discordantes honnies par les partisans du PiS) feront les frais des mesures contre les capitaux étrangers, puisque ces derniers sont déjà dans le viseur du gouvernement dirigé par Beata Szydlo, une Première ministre considérée par les médias comme « un pantin obéissant à l’Église » et téléguidée par le chef du PiS Jaroslaw Kaczynski.
 
Les principaux journaux d’opposition, à savoir le quotidien Gazeta Wyborcza ainsi que les newsmagazines hebdomadaires Polityka et Newsweek ont cependant déjà fait l’objet d’une première mesure de rétorsion qui consiste à interdire aux tribunaux de s’y abonner.

La Pologne, une nouvelle brebis galeuse en Europe

La fièvre réformatrice du gouvernement ayant pour objectif une sorte de révolution conservatrice, qui passe, entre autres, par la prise de contrôle des principales institutions du pays, a suscité de vives inquiétudes au sein des institutions européennes ainsi que des protestations des organisations internationales de médias (l’Union européenne de radio – télévision), des journalistes (la Fédération européenne des journalistes) et la chaîne franco-allemande Arte a même décidé de suspendre ses collaborations avec la Pologne.

Si bien que – chose inédite - une procédure de sauvegarde de l’État de droit a été lancée contre la Pologne, dont les nouvelles autorités ont été invitées à s’expliquer récemment devant la Commission européenne. Les mesures de rétorsion annoncées par la Commission au cas où la Pologne ne rentrerait pas dans les rangs ont immédiatement suscité une réaction indignée de la part du gouvernement polonais ainsi qu’une réponse par voie de presse. Ainsi, dans une tribune publiée par le journal Le Monde le 22 janvier dernier, le ministre des affaires étrangères de Pologne Witold Waszczykowski dénonce l’ingérence des institutions européennes dans les affaires intérieures de son pays, tout en affirmant que la démocratie en Pologne n’est pas menacée, que le nouveau gouvernement tire sa légitimité des urnes et que la nouvelle loi sur les médias publics ne fait que « rétablir le sens de la mission au sein des médias publics ».
Cependant, les sanctions européennes sont généralement jugées peu efficaces, comme le montre le cas de la Hongrie de Victor Orban et dont la Pologne est en train de suivre l’exemple à la trace. Il est donc peu probable que ces sanctions fassent plier à elles seules le gouvernement polonais actuel, déterminé à transformer la Pologne selon ses vues coûte que coûte, sans un concours conséquent de la société civile polonaise. Et les protestations de cette société civile ne se sont pas fait attendre, même si le parti Droit et Justice est arrivé au pouvoir grâce à la volonté de la majorité des votants.

La solution viendra-t-elle de la rue ?

Site du KODLes actions de protestation ont été d’abord initiées au sein même des médias publics polonais, les premiers concernés. Ainsi, le 7 janvier dernier, le jour de l’entrée en vigueur de la « petite » loi sur les médias, les directeurs de toutes les antennes de la télévision publique polonaise ont démissionné en guise de protestation alors que Jedynka, la première – et principale - chaîne de la radio publique polonaise a fait retentir toutes les heures sur son antenne les notes de l’hymne polonais en alternance avec l’Ode à la joie. Quant au directeur de la première chaîne de la radio publique polonaise Kamil Dabrowa, celui-ci, avant de quitter ses fonctions, a admis publiquement que la prise de contrôle ouverte des médias publics polonais par un parti au pouvoir résulte de négligences persistantes depuis la chute du régime communiste puisque, durant 26 ans, la société polonaise a toléré, sans broncher, que les médias publics fassent constamment l’objet d’une instrumentalisation politique par le partis de gouvernement successifs.
 
Mais les agissements du gouvernement actuel ont aussi fait réagir de nombreux Polonais, toutes générations confondues, qui se disent choqués et abasourdis, osant à peine croire leurs propres yeux devant les réformes de l’État réalisées par le nouveau gouvernement en un temps record.
Un certain sentiment de culpabilité est même perceptible au sein de la classe moyenne urbaine, qui compte le plus d’opposants du PiS, surtout parmi ceux qui, déçus par le gouvernement des libéraux précédemment au pouvoir, et qui avait laissé de pans entiers de la population polonaise au bord du chemin de la croissance économique, ne sont pas allés voter aux dernières élections législatives(4). Ce sont eux qui, en premier lieu, participent aux marches publiques organisées à travers tout le pays depuis le 9 janvier dernier pour protester contre l’ingérence du gouvernement dans le fonctionnement de la justice et l’étatisation programmée des médias publics. Ces manifestations, organisées par le KOD, Comité de défense de la démocratie, un mouvement civique(5) constitué à l’occasion et qui se réclame du KOR, Comité de défense des ouvriers, à l’origine de l’opposition démocratique en Pologne sous le régime communiste, ont eu lieu dans différentes villes du pays avec des slogans ridiculisant le parti du gouvernement tels que « Seigneur, rendez-nous les médias libres ».
 
 Les marches de protestations dénonçent la « poutinisation » de la Pologne  
Les marches de protestations dénonçant la « poutinisation » de la Pologne tout en appelant au boycott des médias publics(6) et organisées, cette fois-ci, contre la surveillance renforcée des citoyens sur Internet, prévue dans la modification de la loi sur la police, ont rassemblé quelques milliers de personnes dans une quarantaine de villes du pays mais aussi à l’étranger : à Paris, Londres, Berlin ou encore Melbourne, le samedi 23 janvier. À Varsovie, on a comptabilisé environ 10 000 manifestants, parmi lesquels des Hongrois venus mettre en garde les Polonais contre les effets néfastes de « l’orbanisation » de la vie publique. Ces manifestations, qui permettent de mesurer l’attachement des Polonais aux principes du fonctionnement de l’État de droit ont fait réagir, entre autres, le réalisateur Andrzej Wajda. Celui qui a accompagné par ses films la lutte des Polonais pour la démocratie et la liberté de parole dans les années 80, a constaté qu’aujourd’hui, c’est le bon sens qui fait sortir les gens dans la rue.

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Crédits photos :
Polish Prime Minister Beata Szydlo in plenary debating the situation in Poland. European Parliament / Flickr. Licence CC BY-NC-ND 2-0
Page d'accueil du site du KOD

(1)

Le KRRiT, Conseil national de la radio et de la télévision est un organe de régulation des médias audiovisuels polonais dont le fonctionnement est calqué sur le CSA.

(2)

La première chaîne de la télévision publique polonaise.

(3)

Jaroslaw Kaczynski est le frère jumeau de l’ancien président de la République de Pologne Lech Kaczynski qui avait péri dans un accident d’avion à Smolensk, en Russie, en avril 2010. 

(4)

La participation aux élections législatives en Pologne en octobre 2015 s’élevait à 50,92 % d’électeurs. 

(5)

La page Facebook du KOD est suivie actuellement par plus de 140 000 personnes. (Consulté le 24 janvier 2015.) 

(6)

Le même jour, le quotidien Rzeczpospolita, pourtant conservateur, a publié un article disant que de plus en plus de Polonais n’ont pas de poste de télé. Serait-ce un hasard ? 

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