Des titres de presse régionale annoncent l'ouverture de cabinets de thérapies alternatives

Des titres de presse régionale annoncent l'ouverture de cabinets de thérapies alternatives.

L'installation d'un naturopathe est-elle une info locale ?

Les correspondants de la presse régionale couvrent régulièrement l'ouverture de cabinets de thérapies alternatives. L'installation d'un praticien aux méthodes non reconnues par l'État est-elle une information ? Face à l'explosion du nombre de ces thérapeutes, qui inquiète la Miviludes,  des rédactions prennent leurs distances.

Temps de lecture : 5 min

À Sigy-en-Bray (Seine-Maritime), une naturopathe se dit capable d’intervenir contre le diabète, et déclare : « Les pathologies lourdes comme la sclérose en plaque ou Parkinson font partie de mon champ d’action. »  À Mamers (Sarthe), une énergéticienne prétend pouvoir « aider à traiter les brûlures d’estomac, les brûlures sur le corps, différentes douleurs, les traumatismes, les addictions… » à l’aide de ses mains. À Condé-en-Normandie (Calvados), un prétendu magnétiseur-guérisseur se vante de « soigner et apaiser n’importe quelle douleur », tandis qu’à Virandeville (Cotentin), une lithothérapeute assure être en mesure de soulager les zonas ou de faire arrêter de fumer.

Si vous lisez la presse régionale, vous êtes forcément déjà tombés sur l’un de ces articles. Depuis une dizaine d’années, le nombre de cabinets spécialisés dans des méthodes non reconnues par l’État, mais considérées comme des thérapies alternatives, se multiplie, porté par une explosion de reconversions professionnelles. Et le nombre de ces méthodes est lui-même en augmentation : la Miviludes dénombrait « plus de 300 pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique » jusqu’en 2020, mais a réévalué son estimation à « plus de 400 »

On trouve donc de plus en plus d’annonces d’installation de naturopathes, kinésiologues et autres rebouteux. C’est ce qu’a constaté Nicolas Rebière, rédacteur en chef depuis 2017 du quotidien départemental la République des Pyrénées. Au téléphone, il décrit : « Les thérapeutes contactent nos correspondants pour qu’ils annoncent leur installation. Avec les secrétaires de rédaction, on a toujours été vigilants en se renseignant sur les intitulés, sur la façon dont ces gens ont été formés, sur ce qu’ils prétendent traiter ». Selon lui, et comme le confirment de nombreux indices, la situation s’est accélérée depuis la crise sanitaire : « Depuis le premier confinement, il y a une vraie profusion. On voit parfois plusieurs installations par semaine. On ne va pas remplir le journal avec ça, en sachant en plus qu’à l’inverse évoquer les médecins et les pharmaciens est très réglementé. Si je fais un papier sur la pharmacie qui ouvre ou qui déménage, c’est une info énorme pour les gens. Mais le Conseil de l’ordre va me contacter pour me dire que c’est de la publicité illégale. » 

« Ça intéresse des gens qui cherchent une reconversion rapide »

Au sein même de ces professions alternatives, la profusion de nouveaux cabinets en agace plus d’un. La porte-parole de l’APHN (Association pour la promotion de l’hygiène vitale et de la naturopathie) Maïté Demoulin, explique : « Pour devenir naturopathe, j’ai suivi deux formations de plusieurs années. Je vois passer sur Instagram des pubs pour des formations à distance de trente à soixante heures, c’est aberrant. Mais ça intéresse des gens qui cherchent une reconversion rapide. Ils sont très nombreux à s’installer comme ça, c'est en train de discréditer toute la naturopathie» 

D’autant que les prétentions avancées dans la presse par bon nombre de néo-thérapeutes ne sont pas, selon elle, déontologiques : « Un naturopathe n’est pas médecin. Il ne fait pas de diagnostic, il ne soigne pas, il n’utilise même pas le mot “soigner”, il ne s’occupe en fait pas de la maladie. Il fait de la prévention chez des gens en bonne santé, c’est tout. Ceux qui laissent croire autre chose le font pour avoir plus de clients, notamment chez les malades. Ils sont dangereux. »

Traitements non éprouvés

Partageant ce même constat, Nicolas Rebière, le rédacteur en chef de la République des Pyrénées, a d’abord tenté de fixer des règles. Par exemple, en ne citant que les méthodes dont l’efficacité est reconnue. Mais sa rédaction a rapidement été confrontée à des cas complexes, comme celui de l’hypnose. C’est une pratique réglementée, considérée comme un geste médical uniquement lorsqu’elle est pratiquée par des professionnels de santé. Son efficacité n’est démontrée que dans quelques cas précis, comme lors d’anesthésies. Dans le même temps, des thérapies basées sur l’hypnose et qui portent des noms dérivés de l’hypnose - comme l’hypnothérapie ou l’hypnose transpersonnelle - se développent. Il faut se pencher sur les textes pour comprendre que ministère de la Santé a refusé d’accorder une certification professionnelle à ces formations. Alors, un hypnothérapeute autoproclamé qui s’installe, c’est une info ou pas ?

Ce n’est pas le seul problème. Après avoir lu plusieurs dizaines d’articles sur les installations de thérapeutes alternatifs, on a aussi pu repérer certains arguments très utilisés, d’apparence peu dangereux, mais qui sont à la fois faux et problématiques. On lit ainsi très régulièrement que les pseudo-thérapeutes s'intéressent aux causes des maladies alors que la médecine ne s’intéresserait qu’au traitement des symptômes. Ou qu’ils ont une approche « holistique », qui prend en charge l’individu tout entier et pas seulement ses organes malades. Deux arguments commerciaux très percutants, dont le succès auprès du public semble illustrer certains manquements dans la prise en charge de la médecine conventionnelle. Sauf que ces deux affirmations sont précisément réfutées par le professeur d’oncologie Jacques Robert dans une contribution consacrée aux discours qui abusent de la confiance des malades du cancer et les fait adhérer à des traitements non éprouvés, publiée  dans le dernier rapport de la Miviludes.

Dans ce contexte, Nicolas Rebière a fini, en octobre dernier, par annoncer dans un e-mail sa décision à ses équipes : « Nous ne passerons plus les publications annonçant l'installation de thérapeutes (...) qui n'appartiennent à aucun ordre de santé officiel et reconnu par le gouvernement (kinés, sages-femmes, dentistes, généralistes, pharmaciens et pédicures-podologues, NDLR). » Sa décision n’est pas définitive, et doit lui permettre de travailler avec son comité de rédaction à la meilleure façon d’évoquer ou non ces installations de thérapeutes alternatifs. 

« Un journaliste qui fait bien son travail peut contribuer à la diffusion d’une croyance »

Pour Romy Sauvayre, sociologue des sciences et des croyances et spécialiste des pseudo-médecines, ne plus publier ces articles reste la meilleure décision à prendre. Cette enseignante-chercheuse à l'université Clermont-Auvergne a justement étudié la responsabilité et l’influence des médias dans la diffusion des croyances au sujet des pseudo-médecines. Elle explique : « Ce qu’on constate, c’est qu’un journaliste qui fait bien son travail peut contribuer à la diffusion d’une croyance. Dans ce cas précis, le simple fait de lire dans un titre des mots comme “magnétiseur” ou “lithothérapeute” va contribuer à légitimer ces pratiques, même si dans le corps de l’article toutes les précautions sont prises. En voyant ensuite un panneau “naturopathe” dans la rue, le lecteur adhérera plus facilement. » Selon elle, cette prudence s’applique d’autant plus au cas particulier de la presse régionale, souvent présentée comme le média dans lequel les Français ont le plus confiance. 

Ces publications, très nombreuses, ont toutefois un grand intérêt : ensemble, elles permettent de documenter ce phénomène encore mal connu et semble-t-il tout à fait massif. Sans l’avoir étudié en entier, loin de là, le corpus que forme ces articles semble déjà nous montrer que les femmes sont bien plus nombreuses à s’installer que les hommes. Ou encore que la plupart d’entre elles le font dans le cadre d’une reconversion professionnelle. Par ailleurs, la quasi-totalité de ces articles concernent des villages ou des zones rurales. Peut-être parce que les journalistes urbains estiment que les installations de thérapeutes alternatifs sur leur territoire ne sont pas une information utile. Peut-être aussi parce que ces thérapeutes répondent à un besoin dans des déserts médicaux. Nicolas Rebière estime que c’est le cas dans son coin. L’une des journalistes de sa rédaction travaille actuellement sur une enquête pour le vérifier.

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