Alice Coffin et Lucas Armati, cérémonie des OUT d'or 2017

Alice Coffin et Lucas Armati, alors co-présidents de l'AJL, lors de la première cérémonie des OUT d'or en 2017, et Philippe Mourrat directeur de la Maison des métallos.

© Crédits photo : AJL / Simon Lambert

Dix ans de sensibilisation aux questions LGBT dans les médias

Créée en réaction au traitement médiatique de La Manif pour tous, l'Association des journalistes lesbiennes, gays, bi-e-s, trans et intersexes (AJL) a dix ans cette année. Elle s'était donnée comme mission de veiller à un traitement plus respectueux des personnes et de sensibiliser les publics aux questions LGBTQIA+. Bilan.

Temps de lecture : 5 min

2013. Le débat fait rage, en France, autour du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. « Atterrés » par la couverture de cette actualité et, plus globalement, des sujets LGBT dans les médias, une bande d’amis se réunit chez l’une d’entre eux, Alice Coffin, dans le XXe arrondissement de Paris. Ils et elles sont journalistes ou photographes, lesbiennes, gays, bi ou trans, et travaillent chez 20 minutes, Alternatives économiques, Arte, Mediapart, Yagg.com… Leurs expériences se rejoignent. Dans leurs rédactions, disent-ils, on évite de leur confier des sujets sur ces questions, craignant de leur part une approche militante. C’est pourtant eux que leurs collègues sollicitent pour obtenir contacts et informations.

Ils se constituent en association et publient dans la foulée, le 16 mai, une tribune dans Libération. Avec une source d’inspiration : la National Lesbian and Gay Journalists Association (NLGJA), née aux États-Unis en 1990. Les objectifs de l’Association des Journalistes Lesbiennes, Gay, Bi-e-s, Trans (AJL) : dénoncer les « propos injurieux et discriminatoires à l’encontre des homosexuel(les) et des transsexuel(les) […] publiés dans un média sous couvert de "débat" », aider confrères et consœurs à éviter « l’écueil des préjugés et des clichés » sans pour autant devenir « des sortes de censeurs LGBT [leur] faisant la leçon ». Et « contribuer à la visibilité des personnes LGBT dans l’espace public ».

Dix ans plus tard, l’association compte 150 membres. La plupart de ses fondateurs n’occupent plus une place active dans l’association. Avec le recul, la demi-douzaine de membres fondateurs que nous avons pu joindre se montrent satisfaits des actions de l’association : signalements à l’Arcom de propos jugés problématiques, interpellations de médias sur les réseaux sociaux. Mais aussi promotion de « bonnes pratiques » : kit à destination des rédactions, charte contre les LGBTIphobies (signée par une cinquantaine de médias), cérémonie des « Out d’or », qui récompense des sujets consacrés aux problématiques LGBT et a permis, nous dit-on, de soutenir les journalistes isolés dans des rédactions, notamment en presse quotidienne régionale (PQR), pour faire exister ces sujets dans leurs médias.

Le tabou de transidentité

Le traitement des questions LGBT leur apparaît globalement meilleur qu’il y a dix ans, mais la satisfaction se veut discrète : il ne faudrait pas laisser penser que tout est réglé. L’enjeu désormais ? Le traitement médiatique de la transidentité, à laquelle l’association a consacré une étude en février 2023, selon laquelle « la moitié des articles n'ont pas un traitement respectueux des personnes trans ». L’étude relève dans le même temps « une nette amélioration du traitement médiatique des transidentités, enfin perçues comme un sujet d’actualité à part entière ».

Si l’association scrute la façon de parler des sujets LGBT dans les médias, elle a aussi fait évoluer son vocabulaire. Exit le terme « transexuel(le)s »de la tribune de 2013, remplacé par celui de « transgenres ». Idem pour « homophobie » qui a cédé sa place à « LGBTphobie » — « plus fidèle à la réalité tout en n’invisibilisant personne », explique Yasmina Cardoze, co-présidente actuelle de l’association.

« Lorsque j’assiste à ma première assemblée générale, souci : on s’aperçoit collectivement de la sous-représentation des lesbiennes — alors qu’elles sont les plus actives, raconte Rachel Garrat-Valcarcel, ancienne co-présidente, aujourd’hui journaliste politique à 20 Minutes. On a agi pour régler le problème et obtenu un conseil d’administration paritaire ». Charles Roncier, co-président, avait accepté de libérer son poste pour ne pas « rejouer un mécanisme d’invisibilisation des lesbiennes », appuie Clémence Allezard, journaliste documentariste à France Culture.

 « Défendre les singularités »

« Nous utilisons des outils différents pour toucher des publics différents ». David Belliard, ancien journaliste et cofondateur de l’association aujourd’hui maire-adjoint EELV à Paris, salue la réactivité de l’AJL, qui actualise sur ce champ le vocabulaire de son kit. « Garder et défendre les singularités de tous est un choix militant essentiel pour une communauté qu’on cherche à invisibiliser », défend-il. « Il faut correctement désigner, nommer les personnes pour les faire exister ». De même, le « i » de « intersexes » a été ajouté au nom de l’association en 2019.

En s’étoffant, l’association a pu développer des formations dans les collèges, lycées, et surtout dans plusieurs écoles de journalisme reconnues par la profession (IPJ , IFP, ESJ, etc.). Un indicateur de la légitimité reconnue à l’association. Pensées par groupes de 5 à 15 personnes, celles-ci sont réactualisées chaque année.

Directeur de publication de Komitid, président de Paris sans sida et ancien membre de l’association, Christophe Martet juge l’AJL toujours utile au journalisme, même dix ans après : « Nous ne sommes pas à l’abri d’un retour de balancier, comme cela s’est vu sur la PMA, l’interdiction des spectacles de drag queens ou Bilal Hassani »

Pour l’heure, l’association en inspire d’autres. Comme la jeune « Association de journalistes antiracistes et racisé.e.s » (AJAR). « Enfin ! Je me disais que ça manquait », remarque Marie Labory, journaliste à Arte et « rare lesbienne out de l’audiovisuel ». « L'AJAR est une association sœur, il est essentiel d’en finir avec l’idée qu’on ne voit pas les couleurs, les genres et les orientations sexuelles chez les individus, comme si nous avions tous la même expérience. Oui, les rédactions sont blanches et bourgeoises, et c’est un problème : on ne peut pas prétendre parler du monde en étant aussi homogènes ». Les deux associations se sont rencontrées un après-midi pour échanger. Du haut de ses dix ans d’expérience, l’AJL a pu fournir quelques conseils sur les statuts de l’association, la non-divulgation des noms des membres (pour ne pas les mettre en difficulté) ou encore les actions de plaidoyer auprès des médias.

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