Qu’est-ce que la e-réputation ?

Qu’est-ce que la e-réputation ?

L’ouvrage de Camille Alloing clarifie une notion dont les contours sont difficiles à cerner.

Temps de lecture : 3 min

Cet ouvrage est à mi-chemin entre le journal de bord d’un chercheur enthousiaste, la thèse d’un universitaire accompli, le manuel pour les étudiants et le guide destiné aux professionnels de la communication des organisations aspirants ou chevronnés. Camille Alloing, maître de conférences à l’Université de Poitiers, nous convie à le suivre pas à pas pour comprendre ce qu’est, ce qu’implique et ce que fait la e-réputation d’une organisation.

Fort d’une érudition dont on sent qu’elle est le résultat de plusieurs années de travail et d’une posture consistant à ne se priver des apports d’aucun champ disciplinaire, armé d’une plume légère, qui rend la compréhension simple sans simplifier quoi que ce soit, l’auteur confronte « une vision cybernétique, voire médiologique de ce concept (l’e-réputation dépendante des supports et des systèmes), à une vision phénoménologique où l’e-réputation est perçue comme un ensemble d’indicateurs venant donner du sens au discours et actions d’une entité » (p. 230). Il forge un cadre d’analyse extrêmement précieux pour les universitaires, intéressés par l’étude des tenants des phénomènes de réputation, comme pour les professionnels pour qui il s’agit d’en maîtriser les aboutissants.

 
Camille Alloing ouvre la boîte noire de la e-réputation en considérant qu’il s’agit d’une notion instrumentale, polyphonique, protéiforme, en nous montrant comment elle est co-construite dans le cas des organisations et en expliquant pourquoi elle dépend du média web, lequel « peut être autant abordé par la question des usages et des pratiques de ses utilisateurs, que par les technologies et dispositifs qui lui sont associés » (p. 16). Il s’agit donc de bâtir une épistémologie de la réputation. Sans surprise, la méthode convoquée est interdisciplinaire, nourrie par les sciences de l’information et de la communication, la sociologie, l’économie et les sciences de gestion. En fait, comme l’explique l’auteur, l’e-réputation est un « point de vue » plutôt qu’une « réponse », ce qui en fait un problème, au sens épistémologique, dont la vocation est d’être renouvelé plutôt que résolu et d’être utilisé pour aborder un terrain de recherche plutôt que pour s’en extraire une fois l’enquête achevée.
 
L’e-réputation d’une organisation, « ce n’est pas ce qu’elle dit d’elle, mais ce qu’elle veut bien construire par son appropriation du regard des autres » (p. 240). Autrement dit, c’est une donnée qui ne peut pas être considérée indépendamment de sa mesure. On pense au chat de Schrödinger, qui n’est ni vivant ni mort tant que l’observateur n’a pas ouvert la boîte pour le savoir. La réputation existe-t-elle indépendamment de sa mesure, ou bien est-elle performée (i.e. créée) par l’outil de mesure lui-même ? En lisant Camille Alloing, on pense à d’autres travaux intéressés par la mesure (et la construction donc) du succès, de l’image, de l’opinion, de la notoriété ­— par exemple aux travaux sur la mesure d’audience de la radio et de la télévision effectués par Cécile Méadel (Quantifier le public, Economica, 2010).
 
Il apparaît en lisant cet ouvrage que, dès lors que l’on souhaite rationnaliser un concept aussi flou que la réputation, et que l’on a besoin d’une norme commune pour qu’un marché puisse s’instaurer, on retrouve une tension épistémologique classique depuis au moins le paradoxe sorite (formulé au IVe siècle avant notre ère, lorsque le philosophe Eubulide se demandait combien de grains de sable il faudrait exactement pour faire un tas de sable) et causée par la volonté d’établir une qualité (la « bonne » réputation) à partir d’une quantité (le nombre de « Like », de « Tweets », de visiteurs, etc.).
 
On regrettera peut-être que Camille Alloing n’ait pas poussé plus loin la posture épistémologique. On s’étonne par exemple de ne pas trouver de référence à la théorie de l’acteur-réseau, dont l’objectif est précisément d’ouvrir les boîtes noires pour comprendre comment sont « fabriqués » la science, la technique, le droit, l’audimat — la réputation ? Si l’on joue au jeu des regrets, on peut également mentionner une présentation du marché relativement succincte (p. 138-146). Une analyse socioéconomique approfondie des modèles d’affaires dans lesquels et par lesquels l’e-réputation advient aurait été la bienvenue. Mais Camille Alloing le dit lui-même, son ouvrage est programmatique. Il ouvre de nombreuses pistes, c’est ce qui en rend la lecture si enthousiasmante. L’auteur nous fait des propositions et lance des perches aux chercheurs qui voudront le rejoindre sur sa branche, si bien qu’après l’avoir lu, on a l’impression d’y être déjà perché à ses côtés. Seule une grande intelligence combinée à une grande humilité permet de donner au lecteur une telle impression.

On terminera ce compte rendu par quelques remarques concernant l’auteur. En plus d’être un enseignant-chercheur à Poitiers, Camille Alloing a travaillé en agence puis effectué une thèse sous contrat avec La Poste. Il tient également depuis huit ans un blog consacré à l’e-réputation (Cadde-Réputation – La réputation est-elle soluble dans le numérique(1) ). Ces différents éléments en font un cas d’école de la recherche-action, c’est-à-dire un chercheur capable d’envahir son terrain autant qu’il se laisse envahir par lui, et effectuant des allers-retours patients et riches entre le général et le particulier, les concepts et les acteurs, la technologie et la technique. Cet ouvrage est le substrat de ce parcours. Il clarifie une notion jusqu’à lui non conceptualisée en s’appuyant sur des concepts originaux (l’écume, les agents-facilitateurs…), donne des outils concrets aux professionnels et prouve les vertus heuristiques de l’interdisciplinarité. Pour ces raisons et pour d’autres que les lecteurs découvriront, [E]réputation. Médiation, calcul, émotion était un ouvrage nécessaire

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris