Entre désamour pour le cinéma national et déconnexion des salles obscures
Les structures qui examinent à la loupe la santé des salles obscures en Colombie rendent une image positive, présentant un secteur qui prend du poids en termes de fréquentation et, conséquence liée, de recettes réalisées sur les entrées. L'augmentation du
nombre d'écrans dans le pays –
passé de 147 en 2002 à 749, répartis en quelque 200 sites, au début 2013 – a participé pour une part non négligeable à ces améliorations.
On comptait 147 écrans en 2002, on en compte 749 en 2013.
Selon les chiffres de Proimágenes Colombia, observateur privilégié,
la fréquentation des salles colombiennes a été en hausse constante depuis l'entrée en vigueur de la loi de 2003. Entre 2007 et 2012, le nombre annuel de spectateurs a pour ainsi dire doublé, passant de 20,7 millions de spectateurs en 2007 à près de 41 millions sur 2012. Mais ce n'est pas le cinéma national qui sort grand bénéficiaire de ce mouvement. Les
blockbusters américains noient le cinéma national en occupant de manière inévitable (et quasi sans exception sur la dernière décennie) les cinq premières places (au grand minimum) dans les classements des films les plus vus dans les salles colombiennes. Seule l'année 2008 aura fait figure d'exception, allant jusqu'à l'exploit : le film
Paraíso Travel de Simón Brand s'est distingué comme le deuxième film ayant réalisé
le plus d'entrées dans les salles colombiennes sur cette année, juste derrière
The Dark Knight et devant
Kung-Fu Panda.
Bande-annonce du film Paraíso Travel de Simón Brand
C'est avec des sorties comme celles de Shrek 3 (en 2007), L'Âge de glace 3 (2009), Toy Story 3 (2010), Les Schtroumpfs – Le film (2011), L'Âge de glace 4 (2012) ou Iron Man 3 (2013), en tête des classements, que se réalise le gros des prélèvements qui font les bonnes heures du Fondo para el Desarollo Cinematográfico, parmi une multitude d'autres bulldozers qui jouent la carte du film à suite, comme Spider-Man, Avengers, Madagascar, Batman et Pirates des Caraïbes, entre autres.
L'attention portée par le public colombien à la production nationale n'a, sur les cinq dernières années, montré aucune tendance constante. Quoiqu'il en soit, entre creux évidents et légers pics, la relation public colombien/film colombien est demeurée une réalité bien fébrile. L'augmentation du nombre de films produits en 2011 a eu les conséquences attendues, à savoir plus d'entrées pour les films colombiens en salles. On est passé d'
une fréquentation moyenne de 710 500 spectateurs (colombiens, pour des films colombiens) en 2009 et en 2010 à un pic de 2 177 000 spectateurs en 2011, pour retomber à un chiffre de 1 631 000 l'année suivante. Le regain d'intérêt qui a marqué 2011 n'est sans doute pas étranger à la sortie de films qui ont rompu avec les schémas classiques de narration qui, justement, lassent et repoussent le public colombien, à savoir les prismes répétitifs de la violence, de la drogue et de la misère sociale, sujets-carcans. 2012 aura suivi la bonne lignée du
renouvellement thématique, en proposant des films qui laissent la place à des sujets « nouveaux » – basiques peut-être pour l'observateur extérieur – les relations sentimentalo-matrimoniales ou les affres du monde du travail par exemple, comme dans
Sofía y el terco (avec Carmen Maura),
Sin palabras ou
Gordo, calvo y bajito. Mais, de manière globale, la loi reste inchangée :
les Colombiens ne s'intéressent pas à la production cinématographique nationale.
Au-delà du désamour patent pour le cinéma local, et derrière les chiffres en apparence positifs de la fréquentation en hausse des salles obscures, se dégage un phénomène plus général : les Colombiens n'aiment pas le loisir cinéma.
Les Colombiens n'aiment pas le loisir cinéma. Ils lui préfèrent la télévision, la radio et la presse.
S'ils consomment volontiers les films (y compris, bien entendu, ceux destinés aux salles) via leur télévision ou les ordinateurs, ils ne sont pas des
aficionados de l'expérience sur grand écran, même si la situation a pu s'améliorer sur les dernières années. En effet, l'évolution des chiffres fait pâle figure face à certains marchés hispanophones. En 2011, alors que la Colombie enregistrait 38 millions d’entrées en salle (soit 0,8 par habitant), le Mexique réussissait à vendre 205 millions de billets de cinéma (soit environ 2 par habitant). En Espagne, où la population est à peu de choses près égale à celle de la Colombie (un peu moins de 50 millions d'habitants), ce sont 98 millions d'entrées en salles qui étaient réalisées. Depuis 2010,
la communauté des spectateurs colombiens est moitié moindre que ce qu'elle était en 1998. Et il ne s'agit pas de mettre en cause le prix du billet, qui a suivi une tendance à la baisse sur les dix dernières années. Les Colombiens peuvent aujourd'hui espérer payer la somme plus que raisonnable de 3000 pesos colombiens (soit environ 1,17 euros), dans les salles les plus accessibles, pour s'asseoir dans le noir et devant un grand écran. Mais
une enquête datée de fin 2012 confirmait un problème culturel, les consommateurs colombiens plaçant le cinéma en dernière place de leurs préférences en termes de médias, derrière la télévision, la radio, les magazines, Internet et la presse générale.