Capture d'écran de l'émission spéciale après le combat de MMA opposant Roman Dolidze à Nassourdine Imavov

Selon le journaliste sportif Thomas Desson (troisième en partant de la gauche), le succès du MMA en France vient aussi de l’aspect « show à l’américaine ».

© Crédits photo : Capture d’écran YouTube RMC Sport Combat

« Le but, c'est que les gens pensent à RMC Sport quand tu leur parles de MMA »

La chaîne payante RMC Sport se détourne du foot et change de cap pour consacrer la quasi-totalité de ses programmes aux sports de combat et plus particulièrement aux arts martiaux mixtes, couramment appelés MMA. Pourquoi ce nouveau plan de bataille ?

Temps de lecture : 7 min

Interdit en France jusqu’en 2020, le MMA fait désormais la joie de son diffuseur numéro 1 en France : la chaîne RMC Sport. Cette discipline mixant différents sports dont la boxe, le jiu-jitsu ou encore la lutte est aujourd’hui omniprésente sur le canal payant.

Et le public est, lui aussi, au rendez-vous. À titre d’exemple, lors du combat opposant les Français Francis Ngannou et Ciryl Gane le 22 janvier 2022, RMC Sport a été la première chaîne de France sur les 25-49 ans. Selon les chiffres de Médiamétrie, le canal payant a réuni plus de 26 % de part d’audience de cette tranche d’âge. « Si on regarde les raisons des abonnements à la chaîne, le MMA gagne du terrain tous les jours depuis deux ans », constate Laurent Salvaudon, directeur de RMC Sport.

Pour l’équipe du canal payant, le projet est clair : « Le but, c'est que les gens pensent à RMC Sport quand tu leur parles de MMA. » Et pour ça, la chaîne du groupe Altice ne lésine pas en termes de droits de diffusion. Diffuseur francophone de l’UFC depuis 2014 et au moins jusqu’en 2027, RMC Sport a signé un accord exclusif qui couvre la France métropolitaine et l’outre-mer, mais aussi Monaco. Avec plus de quarante événements par an à travers le monde, cette ligue est la principale organisation de MMA.

Parmi les Français de l’UFC, on trouve par exemple Benoît Saint-Denis ou encore Manon Fiorot. Au MMA, chaque combattant choisit sa ligue et chaque fight se fait au sein de cette organisation, hormis lors d’événements exceptionnels.

« On a aussi décidé de diffuser d'autres ligues que la principale, parce qu’avant de briller à l’UFC, les talents démarrent dans d’autres ligues [moins connues]. Ça nous permet de raconter l'histoire en partant de plus loin », explique Laurent Salvaudon. Ainsi, la chaîne diffuse aussi les combats de la ligue européenne Oktagon MMA, la polonaise KSW ou encore ceux de l’organisation Hexagone MMA, basée en France.

Du storytelling

Et le pari, « qui pouvait paraître osé lorsqu’on a eu cette réflexion courant 2022 », porte aujourd’hui ses fruits. « Dans ma carrière, je n’avais jamais vu une telle montée en puissance d’un sport en si peu de temps », se réjouit le directeur de la chaîne.

En suivant les athlètes lors de leurs sessions d'entraînements, dans les coulisses de leurs préparations puis dans la « cage », la chaîne compte devenir le média numéro un dans l’esprit des combattants. Tout est mis en place avec des interviews et des films portraits pour qu’ils aient RMC en tête si plusieurs demandes de presse s’offrent à eux.

« Dans le MMA, il y a des personnages hyper truculents et provocateurs »

Grâce aux réseaux sociaux, les combattants ont toujours plus de visibilité. Hors des combats, les sportifs se clashent via X (ex-Twitter). En postant des messages provocateurs, ils créent une attente chez le public qui se demande qui finira par gagner, qui aura eu raison en affirmant qu’il était le plus fort.

« Le MMA, ça marche aussi bien parce que ça correspond à l'évolution de notre monde, détaille Laurent Salvaudon. On est dans une société de la punchline et de l'immédiateté. Les gens sont en demande d'histoires de plus en plus fortes. Avec le MMA, il y a quand même des personnages hyper truculents, hyper provocateurs. »

La chaîne ne se contente donc pas du temps passé dans l’octogone — quelques secondes ou 25 minutes maximum —, « on montre aussi ce qu’il se passe en semaine, plusieurs jours avant le combat. » Et contrairement à la plupart des sports, avec ses différentes ligues, le MMA ne connaît pas de période de pause entre deux saisons.

Comme dans une série, les combattants sont des personnages à suivre. Ce sont aussi « des garçons hyper attachants et plutôt accessibles, là où avec des footballeurs par exemple, c’est plus compliqué d’organiser des choses parce qu’il faut souvent passer par différents agents », note Thomas Desson. Journaliste sportif chez RMC Sport, il a commencé à couvrir le MMA en 2008 pour la chaîne luxembourgeoise RTL9, qui diffusait alors les combats depuis le pays frontalier. « Il y avait une forte demande en France, pays où la culture du kick-boxing est déjà présente. On voit avec les événements liés au MMA qu’il y a une attente à chaque fois. »

Selon le présentateur, l’attrait pour ce sport vient aussi du « show à l’américaine », « avec une musique très forte à l'entrée des combattants et tout un show, ça prend aux tripes, c'est très fort en émotion ! » Parmi les raisons du succès, le directeur de la rédaction note aussi l’aspect patriotique : « Les Français supportent les Français, même quand ils ne connaissent pas les règles du sport ! » Et RMC Sport l’a bien compris. La chaîne essaie donc de « capter l'intérêt des gens via des personnages français ».

Sur tous les canaux

Avec la légalisation entrée en vigueur en France en 2020, le MMA a vu sa diffusion encadrée par des règles imposées par le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel). Pour protéger le jeune public, l’avertissement « déconseillé aux moins de 16 ans » doit être visible et la diffusion ne peut se faire qu’à partir de 22 h 30 sur les chaînes gratuites et dès 20 h 30 pour les chaînes payantes. Alors pour que le public ne rate pas les débuts des combats, RMC Sport a trouvé le bon filon : diffuser le début des combats en direct sur Twitch puis demander aux viewers (public sur Twitch) de passer sur la chaîne payante pour voir la suite. Ainsi, les cartes dites « préliminaires », c’est-à-dire les combats qui n’ont pas (encore) trop d’écho, sont diffusées lors d’un live sur la plateforme en ligne, puis le combat principal, dit « numéroté », est visible plus tard, via la chaîne payante.

Pour appuyer sa couverture des sports de combat sur différents supports, RMC Sport a lancé en octobre 2022 son compte TikTok dédié puis début janvier 2024 sa chaîne YouTube avec du MMA, de la boxe et du kick-boxing. En un mois d’existence, la chaîne était déjà suivie par plus de 4 000 abonnés avec plus de 37 millions de vues accumulées sur 363 vidéos. En diffusant des extraits de combats de quelques secondes, ou en produisant des films de parfois une heure, mis en ligne gratuitement sur la chaîne YouTube, RMC Sport fait du contenu, « pour tous les goûts », note Laurent Salvaudon.

La création d’un site Internet dédié aux sports de combat, « qui sera une partie du site d’actualités de RMC Sport », est aussi prévue. « On a des spécialistes des sports de combat donc en développant l’offre de MMA, on a recentré les talents dans une cellule. »

Selon le directeur de la chaîne, les équipes sont particulièrement douées pour le storytelling. Les films mis en ligne sur YouTube dépassent pour certains le million de vues. « Si le sportif est là et que la narration suit, n'importe quel sport peut décoller. En ce moment, ce qui fait l’audience, c'est aussi cet aspect narratif grand public. »

Le foot en berne

Qu’en sera-t-il des droits de diffusion des matchs de football ? La chaîne annonce encore que « le meilleur du foot européen est à vivre sur RMC Sport. » Le canal payant possédait en effet les droits sur la Ligue Europa Conférence, la Ligue Europe ainsi que la Ligue des champions. Mais à la mi-2022, l’annonce était faite : « Canal + diffusera dès 2024 l’intégralité des Coupes d’Europe de football. »

En interne, s’il n’y a « pas d’ambiguïté sur le fait que l’orientation combat devient une priorité », aucune annonce d’achats de nouveaux droits de football n’a encore été effectuée. Alors « par logique », certains en déduisent que c’est la fin du ballon rond sur RMC Sport. À compter de la demi-finale de la Ligue des Champions, « on n’aura plus rien », confie l’un des salariés. « Sauf surprise, bien sûr ! On espère qu’il y aura l’acquisition de droits, même secondaires, avec des compétitions moins médiatisées. »

« Si ça permet de faire perdurer la chaîne sur un nouveau modèle, on comprend la décision »

Selon divers témoignages recueillis par La Revue des médias, ce changement de cap est compris et accepté : « Si ça permet de faire perdurer la chaîne sur un nouveau modèle, on comprend la décision. » Mais certains, « peu dans ce cas-là, une minorité », envisagent de quitter leur poste.

« C’est une discipline qui ne me plaît pas, c’est une question de sensibilité. Chacun à son appréciation sur les valeurs qui peuvent être véhiculées à la promotion d’un sport dans lequel des hommes se battent dans une cage », confie l’un d’eux qui souhaite rester anonyme. S’ils jugent que RMC traite cette discipline de la bonne manière, et la rédaction « de grande qualité », le hic vient plutôt du sport lui-même : « Ça me pose un problème éthique et humain, donc je n’aime pas le fait que notre chaîne ne devienne plus que cela. »

Du 100 % combat, 100 % assumé

Cette stratégie 100 % combat est totalement assumée par Laurent Salvaudon. Fini le projet de ses débuts chez RMC en 2016 avec l’idée de création d’une chaîne omnisports. « Aujourd’hui, l’évidence, c'est de se spécialiser dans un domaine. [...] Comme on va s’arrêter sur les droits du football en fin de saison, on va miser à fond sur le combat. Ça va nous permettre de nous centraliser et de devenir encore plus fort et efficace. »

« C'est un peu le revers de la médaille, [...] ça devient un droit challengé »

Mais à la mi-janvier 2024, la chaîne a perdu les droits de diffusion de la PFL (Professional Fighters League). Cette ligue américaine de MMA a signé un accord annoncé comme exclusif pour trois ans avec la plateforme de streaming DAZN. « On a la ligue majeure, l’UFC, et on a toutes les autres meilleures ligues avec de nouvelles [possibles acquisitions] qui sont au cœur des discussions, réagit Laurent Salvaudon. C'est un peu le revers de la médaille d'avoir participé à la montée du MMA : ça devient un droit qui est de plus en plus challengé et c'est le signe que le travail a été fait [de la part de RMC]. Cette ligue a pris la décision d’aller avec DAZN, on en a pris acte. »

Parmi les combattants de la PFL : le champion du monde de kickboxing Cédric Doumbè. Un combat très attendu l’opposera à Baysangur Chamsoudinov, dit « Baki », le 7 mars 2024 à l’Accor Arena de Paris. Les 20 000 places ont été vendues en moins d’une heure. Si le combat ne sera donc pas diffusé sur la chaîne du groupe Altice, le directeur y voit quand même du positif : « Plus vous avez de monde et d'engouement sur le combat de Cédric Doumbè et plus vous avez d'engouement pour le MMA. Ça continue de faire monter le mouvement, donc c’est bénéfique. »

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