Cédric Doumbé, invité sur le plateau de l'émission "Quelle époque"

Le combattant de MMA Cédric Doumbé était l'invité de Léa Salamé dans l'émission grand public « Quelle époque ! » sur France 2, début octobre, après une victoire remarquée. 

© Crédits photo : capture d'écran France télévisions

Comment le MMA s'est imposé dans les médias français

Autrefois nain médiatique en France, le Mixed Martial Arts (MMA) est aujourd’hui largement couvert par la presse à chaque événement. Comment expliquer ce revirement ? Analyse d’une stratégie qui a porté ses fruits.

Temps de lecture : 8 min

Plus d’une centaine de pays retransmettent ses combats à la télé, ses fans se comptent en centaines de millions à l’échelle de la planète et sa valeur estimée dépasse le milliard au début des années 2010. Le MMA (Mixed Martial Arts) n’a alors pas vingt ans mais s’est déjà imposé comme un sport de combat majeur tandis que son principal promoteur, la ligue mondiale UFC (Ultimate Fighting Championship), est une multinationale enviée. Elle reste pourtant un nain médiatique en France. Les rares articles publiés à l’époque sur cette discipline qui voit s’affronter de combattants formés à des arts martiaux différents racontent moins son actualité qu’ils ne questionnent sa légitimité voire s'interrogent : est-ce un sport ou une boucherie ? La réponse penche souvent pour le commerce de viande : trop peu de règles (l’ancien nom du MMA est le free-fight), trop de sang (certains combattants finissent vermeilles) et trop de gestes choquants comme ces coups de coude au visage ou ces frappes qui pleuvent sur des hommes à terre et proche des vapes.

La presse française semble alors sur la même longueur d’onde que les élus et que les dirigeants du sport, telle l’ancienne karatéka Chantal Jouanno, alors ministre des Sports, justifiant en 2011 l’interdiction des combats de MMA en France : « Pour moi, ce n’est que du jeu de paris d’argent et c’est cela qui détruit parfois le sport. On ne va pas légaliser les combats de chiens ou les combats de coqs. C’est la même logique. » Pour faire valoir ses arguments auprès de la presse et de l’opinion française, l’UFC doit mettre les moyens. Par exemple en organisant en avril 2011 un coûteux voyage de presse : la ligue contacte des rédactions françaises pour leur offrir l’avion jusqu’à Toronto et les nuits dans un très bel hôtel, un taxi sera même réservé matin et soir pour déplacer les journalistes tandis qu’une attachée de presse dédiée les accompagnera une bonne partie de la journée. Le but : faire découvrir la discipline au cours d’un combat très important pour l’Amérique du Nord et mettre en avant les arguments de ses promoteurs (ce sport n’est pas plus violent ni dangereux que d’autres, un coup de poing porté au sol a moins de puissance que s’il est donné debout…). Avec quel succès ? Seuls un tout jeune journaliste du service des sports de 20 Minutes et un pigiste pas plus âgé du magazine aujourd’hui disparu L'Optimum sont finalement envoyés par leur rédaction en chef couvrir l’événement. 

« La narration et le story-telling font partie de ce sport »

Une décennie plus tard, ces scènes semblent préhistoriques. Le MMA a obtenu en 2020, entre autres grâce à des relais médiatiques, la légalisation des combats en France tandis que le CSA a validé leur diffusion à la télé (après 22 h 30 sur les chaînes gratuites et après 20 h 30 sur les services de télévision payants). Chacun de ses événements est largement couvert par la presse. En 2022, à l’occasion du premier événement organisé par l’UFC en France, le coach et star alors intouchable du milieu, Fernand Lopez, se réjouissait dans Le Monde : « Il y a quelque temps, je me faisais interviewer par [les magazines] Karaté Bushido ou FightSport, et là je parle à GQ, Le Monde, Konbini, Brut… »

Début octobre, la victoire de Cédric Doumbé après neuf secondes de combat contre Jordan Zébo — coaché par Lopez — au Zénith de Paris a valu au gagnant une tournée médiatique dont peu de sportifs toutes disciplines confondues peuvent se vanter : le « 7/10 » de France Inter avec Léa Salamé le 2 octobre, « Clique » avec Mouloud Achour et « C à vous » avec Mohamed Bouhafsi le même jour, « RTL Bonsoir » avec Julien Sellier le 4 octobre, et « Quelle époque ! » sur France 2 de nouveau avec Léa Salamé le 7 octobre. 

Cédric Doumbé était l'invité de « RTL Bonsoir » le 4 octobre

Sur ses réseaux, RMC Sport se félicitait alors de « participer à l’explosion du MMA en France » et mettait en avant les très grosses audiences (près de 1,8 million de téléspectateurs cumulés sur RMC Découverte, Twitch et RMC Sport) de ce combat dont elle avait acheté l’exclusivité des droits de retransmission

Pour comprendre ce revirement de la presse française, nous avons essayé de retracer la façon dont le MMA y a été traité au fil des années. En commençant en 2014, avec l’un des premiers reportages écrit par un journaliste positivement surpris par ce sport. Dans Télérama, magazine pas vraiment prédestiné, le journaliste Nicolas Delesalle décrivait un combat auquel il avait assisté à Londres : « Ce n'est pas de la pêche en rivière, mais pas la guerre non plus. » Aujourd’hui grand reporter à Paris Match, il se souvient d’être arrivé dans l’immense O2 Arena « avec des idées de vieux con » du genre « certains arts martiaux sont pour les seigneurs, le MMA est pour les brutes »

Deux choses l’ont séduit. D’abord, la complexité du combat et l’incertitude de son issue. Sous ses yeux, un Anglais tatoué avec « des bûches dans les bras » s’est incliné sans être parvenu à faire mal à un Suédois longiligne maître de l’esquive. Ensuite, les histoires : « C’est le seul sport créé par nos contemporains. Ils ont compris qu’il faut créer une dramaturgie. Chaque combattant est l’occasion de créer un personnage. Pendant des années, le duel qui passionnait le plus opposait un Irlandais sympathique [Conor McGregor] mais capable de tous les excès, qui mettait en scène sa consommation d’alcool face à un combattant musulman du Caucase [Khabib Nurmagomedov] plein de calme et de piété. »

Le journaliste, d’ordinaire plus branché par les échecs que par les rings, s’est retrouvé là « sur les conseils d’un ami » mais certainement pas à l’invitation de l’UFC : « Les gens de l’UFC avec qui j’étais en contact n’étaient pas cons, ils connaissaient la presse. Ils savaient qu’ils ne devaient pas essayer de dérouler le tapis rouge à un journaliste de Télérama. » N’empêche, il dit avoir conscience que la com’ de l’UFC a fait mouche : « Ils ont été subtils dans leur communication et il faut reconnaître que ce que j’ai perçu là-bas correspondait à leurs arguments. La com’ et le business, d’ailleurs, ce sont des trucs qu’ils assument. On peut trouver ça sale mais c’est sûrement le vieux monde qui pense comme ça. »

« Forts en com’ »

Auteur de plusieurs articles sur le MMA en France depuis 2015, le journaliste de Libération Guillaume Gendron décrit les mêmes ingrédients derrière le succès du MMA version bleu blanc rouge. Son premier constat : « Ils ont toujours été très très forts en com’. » Le journaliste se souvient d’indices marquants, chez le coach Fernand Lopez par exemple : ce dernier imposait à ses athlètes des cours d’anglais et « savait se poser pour réfléchir avec beaucoup d’intelligence au storytelling dans la préparation de ses combats. » Guillaume Gendron a aussi croisé la route de « trentenaires très parisiens en cravate », les « juniors d’une grosse boîte de relation presse qui faisait la com' de l'UFC » : « Ils ont été malins avec moi. Ils savaient comment on fonctionne. Par exemple, ils ne m’ont pas invité à Dubaï pour voir un combat, pas du tout. En revanche, à l’époque de la bataille pour la légalisation en France, ils m’ont proposé au bon moment de me faire rencontrer leur lobbyiste, un ancien de chez Nike. » La rencontre donnera lieu à une interview publiée dans le quotidien

Ce lobbyiste n’est pas le seul à mettre son entremise au service du MMA. C’est aussi le cas d’un journaliste et entrepreneur habitué des unes de TV Mag : Cyril Viguier. Au téléphone, ce passionné d’arts martiaux nous a raconté sa découverte aux États-Unis de la discipline, où il s’est amusé à grimper dans l’octogone pour des combats amateurs et où il a rencontré les grands noms de cette discipline. À son retour en France, il dit avoir interviewé ces combattants stars — « dont certains sont devenus des amis » et ce « sur LCP, sur TV5 Monde, sur toutes les chaînes » pour lesquelles il a travaillé. Il militera dans le même temps pour la législation de ce sport, en échangeant avec des parlementaires et en intégrant des collectifs défendant les intérêts de ce sport. Jusqu’à la légalisation en 2020, donc. 

Capital sympathie

Un autre personnage très fort en com’ a depuis lors émergé dans le milieu. Il s’agit de David Foucher, l’actuel manager de Cédric Doumbé. Avant d’accompagner la nouvelle star française du MMA, Foucher a piloté la communication de Michel et Augustin notamment au cours de sa success story américaine. Son boulot avec Doumbé n’est d’ailleurs pas si différent de celui mené pour la marque de cookies, estime-t-il. Celui qui maîtrise aussi bien les codes du Youtube game catégorie baston que des posts inspirants couleur entrepreneur sur Linkedin dit être parti d’un constat : Doumbé a gagné onze titres de champions du monde de kick-boxing, sans que sa notoriété ne grandisse vraiment à chaque victoire supplémentaire. Il lui fallait rejoindre une discipline plus porteuse, le MMA. Et comme « la narration et le story-telling font partie de ce sport », Foucher et Doumbé ont mis le paquet sur leur stratégie de communication. « On a construit son personnage, sans rien inventer, bien sûr, mais en se basant sur ses forces qui sont faciles à identifier. On a décidé de cultiver l'image du combattant qui a énormément confiance à lui, qui est un fanfaron et chambre tout en restant marrant, mais on a aussi misé sur l'homme pieux et sur l'homme engagé contre les violences faites aux femmes. » Ils ont aussi parié sur la production de contenus « maison » : « Cédric a toujours beaucoup communiqué et il est très fort pour ça, on l’a simplement industrialisé avec des productions de qualité. »

Ça marche, Foucher parle de « product-market fit » (adéquation produit-marché) pour décrire le succès de leur stratégie. Ensemble, les deux hommes poussent le marketing toujours plus loin. Un exemple : Doumbé a beaucoup fait parler de lui avant son dernier combat en faisant livrer un matelas à son adversaire Jordan Zébo pour l'avertir qu'il allait l’« endormir » en le mettant K.-O. L’opération était sponsorisée par une célèbre marque de matelas, qui a créé un code promo pour l'occasion : BONNENUITJORDAN. 

Guillaume Gendron applaudit le succès du duo : « Cédric Doumbé était déjà dans une recherche d'audience. Il a trouvé quelqu'un qui lui permet de rayonner. Ce tandem qu'il forme avec David Foucher est inédit et très fructueux. » Mais il ne veut pas être dupe des astuces médiatiques dans son traitement du MMA. Il a par exemple questionné dans un récent papier la façon dont la lutte sûrement sincère de Doumbé contre les violences faites aux femmes lui a servi à nourrir son capital sympathie : le combattant a dévoilé petit à petit avant et après son combat contre Zébo que le coach Fernand Lopez a été condamné pour des coups sur sa conjointe. À ce sujet, beaucoup d’observateurs dont Nicolas Delesalle tranchent pour voir le bon côté de la com’ : « Un bon personnage doit avoir une cause. La femme battue par son aversaire, c’est de l’ordre de la princesse enfermée dans les donjons des contes de fée, c’est forcément un élément de récit. D’un point de vue de l’ancien monde — il y revient — c’est du fake. Mais ça ringardise la violence faite aux femmes, c’est sûrement une bonne idée. »

Point final du retournement de situation médiatique : Foucher se félicite de recevoir toujours plus de demandes de journalistes « en dehors du scope de la MMA ». Mais la demande est si forte qu’il assure devoir limiter les interviews. Pas toutes, heureusement : au lendemain de notre appel, Cédric Doumbé avait rendez-vous avec les Youtubeurs McFLy et Carlito.

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