bagarre de Jean-Marie Le Pen mai 1997 à Mantes-la-Jolie

Le 30 mai 1997, Jean-Marie Le Pen, alors président du Front national, s'en prend à des manifestants anti-FN et à la candidate socialiste à la législature, Annette Peulvast-Bergeal, à Mantes-la-Jolie. 

© Crédits photo : JACK GUEZ / AFP

« Rouquin ! Pédé ! » : les conséquences inattendues de la bagarre de Jean-Marie Le Pen filmée en 1997

En mai 1997, à Mantes-la-Jolie, France 2 enregistrait Jean-Marie Le Pen et ses gardes du corps en train de se battre contre des militants anti-FN. Vingt-sept ans après, trois témoins racontent les conséquences politiques et personnelles de ce « moment de réalité politique hors du commun ».

Temps de lecture : 5 min

À Mantes-la-Jolie (Yvelines), la rumeur courait depuis plusieurs jours : Jean-Marie Le Pen allait venir soutenir sa fille Marie-Caroline, candidate aux élections législatives dans la 8e circonscription des Yvelines. La dissolution de l’Assemblée nationale, décidée par Jacques Chirac quelques semaines auparavant, lui laissait une occasion inespérée : si aujourd’hui le parti dirigé par Marine Le Pen compte 89 députés, à l’époque, le FN n’est pas représenté dans l’Hémicycle.

Mais ce 30 mai 1997, Jean-Marie Le Pen vient à peine de claquer la porte de sa 605 noire devant l’église Notre-Dame de Mantes-la-Jolie qu’il se jette, avec ses gardes du corps, dans l’affrontement physique. Leur cible, des militants anti-FN adeptes du « harcèlement démocratique » qui l’accueillent avec banderoles et slogans hostiles.

Trois jours d’ITT

« On en a marre de vous, on en a marre ! », hurle-t-il en réponse au visage d’Annette Peulvast-Bergeal, maire socialiste de la commune voisine de Mantes-la-Ville, également candidate à la députation. L’élue, pourtant identifiable grâce à l’écharpe bleu-blanc-rouge, est molestée par le leader du FN malgré la présence policière. Bilan : trois jours d’ITT. « Dans la mesure où l’on m’agresse, je n’ai jamais eu peur d’un autre homme. Ni même de plusieurs ! », parade-t-il ensuite devant l’une des seules caméras présentes ce jour-là. Qui enregistrera également ce qu’il lance à un militant pourchassé par ses sbires : « J'vais te faire courir, moi, tu vas voir, le rouquin, là-bas. Hein ? Pédé ! »

 

Malgré le chaos qui règne, les journalistes de France 2 Michaël Darmon, rédacteur, et Patrick Desmulie, reporter d’images, arrivent à capter l’intégralité de la scène. Celle-ci sera diffusée quasiment sans montage lors du 13 heures et du 20 heures de la chaîne publique. « C’était un moment de réalité politique hors du commun », assure le premier. Chargé à l’époque de suivre le Front national, Michaël Darmon tient là une confirmation du principe journalistique qui l’animait : « Il ne faut jamais lâcher son personnage car il peut toujours se passer quelque chose. » 

Trublion

Auteur de deux livres sur le sujet avec le journaliste Romain Rosso, L'Après Le Pen : enquête dans les coulisses du Front national (Seuil, 1998) et Front contre Front (Seuil, 1999), il raconte les répercussions internes de la bagarre : « Dans l’entourage de Jean-Marie Le Pen, tout le monde était atterré et estimait que l’aspect trublion de leur chef les desservait. » Si Jean-Marie Le Pen exulte (« Ah, ça me rajeunit ! »), sa fille Marie-Caroline semble plus crispée. « Elle se serait passée d’une telle publicité », interprète-t-il.

La séquence vaudra au président du FN un nouveau passage devant la justice. Qui réclame les images à France 2 pour juger. « Lors du premier procès, la séquence a été décortiquée pour établir ce qui s’était passé », explique Michaël Darmon. En première instance, Jean-Marie Le Pen est condamné pour violences sur personne dépositaire de l'ordre public dans l'exercice de ses fonctions par le tribunal correctionnel de Versailles et écope de trois mois de prison avec sursis, 200 000 francs d'amende (environ 44 000 euros) et deux ans d'inéligibilité. Une décision qui compromet ses chances d’être élu aux élections européennes de 1999. Tant pis, sa femme Jany, novice en politique, sera tête de liste, propose-t-il alors, refusant de laisser sa place à son numéro 2, Bruno Mégret (1) . Cette humiliation sera une nouvelle étape de leur affrontement. Début 1999, le délégué général du FN lance le Mouvement national républicain avec, parmi ses soutiens, Marie-Caroline Le Pen. « Cet épisode l’a aidé à déclencher une fronde et un putsch en interne », abonde Michael Darmon. 

« J'ai été accueilli par ce cri de guerre pendant des années »

La médiatisation de cet événement a aussi eu des conséquences pour Annette Peulvast-Bergeal, la maire de Mantes-la-Ville, en portant atteinte à son intimité : « Ces procédures ont pourri mon mandat, notamment à cause du temps que j’ai dû consacrer à me défendre », regrette celle qui sera finalement élue députée en 1997. « Je recevais des lettres anonymes, des cercueils ou des polaroïds de ma fille sur lesquels était écrit : “Elle sera beaucoup moins jolie quand on se sera occupés d’elle.” » Une violence qu’elle a particulièrement mal vécue : « Je suis née ici, j’y ai fait mes études primaires et secondaires et mon père était le sénateur-maire. Tout le monde connaissait la fille Bergeal et l’aimait bien. Je n’avais jamais été insultée ni menacée. »

Aujourd’hui vice-présidente de la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise, elle reste poursuivie par cette journée. « Récemment encore, dans une réunion avec des universitaires, qui n’avait rien à voir avec la politique, quelqu’un m’a rappelé cet événement », illustre-t-elle. À tel point qu’elle appréhende la mort de Jean-Marie Le Pen, 95 ans : « Ce sera un événement quand il partira. Et à nouveau, ces images seront rediffusées à la télévision. Je n’aime pas me voir dans cette situation. C’est pénible, douloureux et humiliant. »

Est-ce également pour cette raison que « le rouquin » insulté par Le Pen n’a jamais donné suite à notre demande d’interview ? : « Je sais que beaucoup ont cru qu'il s'agissait de moi, et j'ai été accueilli par ce cri de guerre pendant des années », fait remarquer Dominique Bouillaud, manifestant « anarcho-trotskyste » des Yvelines, présent sur place ce jour-là, et… roux. « Je l'ai toujours démenti, mais on m'a peu cru. » 

    (1)

    Ce scénario restera à l’état d’ébauche : en 1998, l’inéligibilité de Jean-Marie Le Pen sera réduite à une seule année par la cour d’appel de Versailles. Le fondateur du FN choisit de contester le jugement devant la Cour de cassation. L’appel étant suspensif, il lui permet de se présenter aux élections européennes de 1999 où il sera élu. Finalement, la Cour de cassation rejette sa demande et la peine de la cour d’appel peut s’appliquer. Après un énième recours devant une juridiction européenne (le tribunal de première instance de la Cour de justice des Communautés européennes), Le Pen est déchu de son mandat en avril 2003.

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris