En France, c’est au Monde que le premier médiateur apparaît, en 1994C’est en 1922, au Japon, qu’apparaît pour la première fois ce rôle dans une entreprise de presse. Un comité composé de plusieurs personnes est formé au sein du quotidien japonais Asahi Shinbun pour faire le relais entre les publics et la rédaction. Aux États-Unis le premier médiateur est embauché pour le journal local de Louiseville, dans le Kentucky, en juin 1967 tandis que le New York Times crée le poste en 2003, après l’affaire Jason Blayr (ce journaliste du quotidien avait falsifié un grand nombre d’articles, inventant des témoins, des sources ainsi que de nombreux détails). Six personnes ont occupé cette fonction avant sa suppression le 31 mai dernier. En France, c’est au Monde que le premier médiateur apparaît, en 1994, lorsque Jean-Marie Colombani, directeur du journal, confie cette mission à André Laurence (directeur de la publication du journal entre 1982 et 1985). Lui ont depuis succédé Robet Solé, Thomas Ferenczi et Franck Nouchi.
La disparité des méthodes de médiation peut s’expliquer par les spécificités culturelles de chaque paysSi la mission de connecter le public aux rédactions reste une constante, il existe des particularités nationales. « Par exemple dans les pays anglo-saxons, notamment au Canada, explique Marie-Laure Augry, les médiateurs instruisent des plaintes. Ce n’est pas une fonction qui m'aurait intéressée. Ils enquêtent à partir des réclamations du public et ils déterminent si le plaignant a raison ou non. Tout ça revêt un certain côté juridique ».
On ne peut pas être médiateur avant 50 ans Patrick EvenoLa culture de la médiation est une chose, la personnalité et le parcours des personnes qui l’exercent en est une autre, même si les deux sujets sont intimement liés. Marie Laure Augry, Franck Nouchi et Bruno Denaes ont au moins un point commun : ils sont tous très expérimentés. L’actuel médiateur du Monde travaille au journal depuis près de trente-trois ans. Il y a notamment publié des articles sur l’affaire du sang contaminé ou la découverte du virus du sida et fut aussi directeur adjoint de la rédaction du journal. Bruno Denaes est à Radio France depuis les années 1980. Ancien rédacteur en chef de plusieurs antennes régionales du groupe, désormais rattachées au cœur de l’offre de France Bleu, il a occupé plusieurs postes importants au sein de France Info. Marie-Laure Augry évolue quant à elle dans l’audiovisuel public et privé depuis les années 1970.
Margaret Sullivan est souvent montée au créneau pour critiquer le New York TimesDaniel Okrent, le premier à occuper le poste de public editor au New York Times entre 2003 et 2005, est un auteur et avait auparavant été éditeur dans plusieurs magazines, tandis que Margaret Sullivan, public editor entre 2012 et 2016, venait du Buffalo News. Durant ses treize années d’existence, le poste a toujours été attribué dans le journal new-yorkais à des personnes qui ne venaient pas de ses salles de rédaction. L’objectif ? Montrer que la personne qui allait porter la voix des lecteurs au sein de la rédaction du New York Times n’était pas acquise au journal, n’allait pas retenir ses coups et se situait en dehors de toute hiérarchie. Interviewé sur le poste de médiateur, Bill Keller, le rédacteur en chef du New York Times qui a choisi de recruter Daniel Okrent indiquait à l’époque qu’il avait pensé à recruter quelqu’un du journal, avant de faire marche arrière : « Si cette personne va être un représentant des lecteurs, le fait qu’elle ait travaillé ici ne compliquerait-il pas les choses ? ». Arthur Ochs Sulzberger Jr., alors éditeur du New York Times, expliquait dans le même article que ce public editor aiderait « à mieux comprendre ce que nos lecteurs et nos critiques […] disent. Et ça nous aidera à leur expliquer. Au maximum de son efficacité, c'est une autoroute à quatre voies ».
Le reader center du New York Times a aussi mis en place une page intitulée « nous voulons avoir de vos nouvelles »L’auteure, Elen Pollock, cheffe de la rubrique business, tient à s’excuser : « Certains lecteurs ont eu l’impression, en lisant l'article, que nous venions de découvrir le bubble tea, explique-t-elle. D'autres ont trouvé que nous décrivions la boisson, créée à Taïwan, comme étrange et étrangère […] ». Le reader center a aussi mis en place une page intitulée « We Want to Hear From You » (« nous voulons avoir de vos nouvelles ») où les lecteurs peuvent proposer des sujets, envoyer leur feedback, des questions sur les méthodes des journalistes… ou évoquer des problèmes avec leur abonnement. Le service s’engage à donner une réponse rapide, ce qui donne l’impression d’avoir affaire à un service après-vente chargé de répondre aux clients mécontents, à juste titre. Ce qui s’éloigne de ce que proposent les public editors et les médiateurs, qui prennent parfois beaucoup plus de temps pour rédiger une réponse, enquêter, poser des questions à leurs collègues et offrir une analyse critique du travail journalistique.
Dans certains médias, les équipes de social media management assument, dans les faits, des missions qui reviendraient normalement à un médiateurCe changement d’attitude du New York Times n’est finalement que le résultat d’un changement plus profond des façons de communiquer. « Ce qui a fait évoluer les choses, explique Patrick Eveno, c'est Internet et les réseaux sociaux - en 1994 quand le médiateur du Monde est nommé, internet n'existe quasiment pas ; Il y a quelques mails mais l'essentiel c'est du courrier papier et du journalisme « à l'ancienne ». C’est pour ça que le New York Times supprime son médiateur. C'est de plus en plus les community managers qui servent de médiateurs. Ce sont eux – ou les rubriques type Décodeurs ou LibéDésintox – qui, sur les réseaux sociaux, répondent, argumentent, expliquent. Le médiateur existe encore mais on peut considérer qu'il est amené à disparaître si le community management s’amplifie. » Dans un memo interne, Arthur Sulzberger Jr, actuel éditeur du New York Times n’expliquait pas autre chose : « Aujourd'hui, nos lecteurs sur internet et ceux qui nous suivent sur les réseaux sociaux se sont rassemblés pour servir collectivement de chien de garde modernes, plus vigilants et plus énergiques qu'une seule personne ne pourrait jamais l'être. Notre responsabilité est de les habiliter et de les écouter, plutôt que de canaliser leur voix par le biais d'un bureau unique ».
Le futur du médiateur semble bien incertainLes difficultés économiques que connaissent les médias actuellement ne sont pas étrangères aux débats en cours. « La fonction de médiateur n’est pas en voie d'expansion en raison de la conjoncture, rappelle Marie-Laure Augry. Si l’on se réfère aux USA, un certain nombre de postes ont été supprimés. Les patrons de presse auraient intérêt au contraire à maintenir et à développer la place de médiateur, pas forcément à temps plein, d’ailleurs. Il y a plein de formules qui peuvent exister. Mais il faut que cette instance-là existe. Elle est importante et je dirais presque encore plus importante dans le contexte d'Internet, des réseaux sociaux, à condition d'être en effet des outils d'échange et de réflexion sur le traitement de l'actualité, pas d’être des juges de paix. »