Télévision indienne : la révolution des programmes aura-t-elle lieu ?
Les chaînes de télévisions cherchent à diversifier leur offre en Inde mais le téléspectateur ne suit pas toujours.
Les chaînes de télévisions cherchent à diversifier leur offre en Inde mais le téléspectateur ne suit pas toujours.
Sameer Nair, le nouveau PDG de Balaji Telefilms, incontournable maison de production de soap opéras indienne, n’hésite pas à l’affirmer : la chaîne de divertissement généraliste – ou GEC(1), un acronyme aussi spécifique à l’Inde que la chaîne de télévision qu’il désigne – est morte. Le parcours de Sameer Nair lui permet de faire autorité sur le sujet : il a tenu pendant 12 ans les rênes du groupe de télévision Star India, leader incontesté du secteur. Mais il a également piloté le destin de la chaîne Imagine, étoile filante du paysage audiovisuel indien qui disparut trois ans à peine après son lancement, faute de trouver la rentabilité. C’est peut-être ce dernier échec qui le conduit un peu vite à enterrer les GEC. car les indiens restent très fidèles à ces chaînes en hindi ou en langues régionales : elles réalisent à elles seules presque 50 % de l’audimat.
Le téléspectateur a pourtant en Inde l’embarras du choix. Il peut potentiellement accéder à l’aide de sa télécommande à plus de 800 chaînes, généralistes, d’actualité ou spécialisées dans des domaines aussi divers que le sport, la spiritualité, la gastronomie, le voyage, l’histoire, la mode, la musique ... Cette pléthore d’options est relativement récente. Pendant plus de trente ans, Doordarshan, chaîne publique et unique régna sans partage sur le paysage audiovisuel indien. Elle rassemblait les téléspectateurs par dizaines de millions autour de quelques programmes fédérateurs, séries phares, nouvelles exclusives du gouvernement central de Delhi et bien sûr les grandes rencontres de cricket. L’ouverture du secteur en 1991 a changé la donne. Aujourd’hui, la révolution numérique en marche alliée à l’émergence d’une classe moyenne plus internationalisée et mieux dotée économiquement, encourage les chaînes à expérimenter pour trouver leur audience. Cette évolution n’est pas forcément très perceptible à première vue : les indiens regardent finalement toujours les mêmes chaînes (trois chaînes rassemblent à elles seules près de 60 % de l’audience des GEC), les soap- operas continuent de caracoler en tête des palmarès d’audience et quand les indiens suivent le sport à la télévision, il s’agit surtout de cricket. Le sport national continue de faire l’unanimité et représente 90 % des recettes de toutes les retransmissions sportives. Les années de Coupe du monde sont d’ailleurs particulièrement fastes, et la coupe 2015 n’a pas fait exception : sa rediffusion a rassemblé 635 millions de téléspectateurs, en faisant l’événement le plus regardé de toute l’histoire de la télévision indienne.
Les séries se veulent porteuses d’aspirations
Du côté des séries chères au cœur de la ménagère indienne, on s’éloigne de la « politique des fourneaux » et de la relation belle-mère, belle-fille, pourtant encore d’une brûlante actualité dans la société indienne où la cohabitation des générations est la norme. Les séries se veulent aujourd’hui porteuses d’aspirations, leurs héroïnes veulent travailler, conquérir le mont Everest, elles sont même nommées officiers de police.
On voit aussi apparaître – sur le modèle occidental ? – la production de séries organisées en saisons et dont la durée de vie est déterminée à l’avance, une approche nouvelle au pays des soap-opéras fleuve dont la durée de vie élastique s’étire souvent jusqu’à l’épuisement du taux d’audience - et au gré de rebondissements défiant toute logique scénaristique. Cette nouvelle tendance s’accompagne d’une augmentation des coûts de production. Alors qu’un épisode Saas-Bahu(2) à la Ekta Kapoor coûte en moyenne 10 à 15 lakhs de roupies(3) à produire, on a vu récemment l’émergence de nouveaux concepts à hauts budgets, comme la série Yudh qui serait la plus coûteuse réalisation de la télévision indienne à ce jour. Il est vrai que les producteurs n’ont pas hésité à s’offrir le réalisateur Anurag Kashyap et surtout le dieu de Bollywood, l’immensément célèbre et adulé Amitabh Bachchan. Un autre cas qui fera peut-être école est l’adaptation récente de la série 24 heures chrono dont les droits avaient été rachetés en novembre 2011 pour 20 millions de dollars et qui a été saluée par la critique, même si la série a échoué à se hisser dans la liste des 10 séries les plus regardées en 2013. En dépit de ces résultats mitigés, il est indéniable que les chaînes généralistes en hindi - qui représentaient 31, 2 % de l’audience en 2014 - augmentent leurs prises de risque. Ce qui n’est pas forcément le cas des autres chaînes en langues régionales qui continuent à tabler sur une programmation plus traditionnelle.
Même si elles restent très nettement orientées vers la fiction, les GEC cherchent aussi à étoffer leur offre du côté de la téléréalité. Celle-ci reste controversée en Inde. En 2011, le gouvernement avait tenté d’interdire sa diffusion avant 23 heures, craignant des propos et comportements indécents qui pourraient avoir une influence néfaste sur la jeunesse
mais il avait ensuite été débouté par la justice. C’est à 21 heures qu’on retrouvera les très populaires Bigg Boss (inspiré de Big Brother), Comedy Night with Kapil ou encore Kaun Banega Crorepati (« Qui veut gagner des millions ? »). Même si ces émissions réalisent des chiffres d’audience systématiquement inférieurs à ceux des séries (l’émission la plus populaire, Comedy Night with Kapil rassemble 30 % de téléspectateurs en moins comparé à la série la plus populaire du moment) et qu’elles coûtent plus cher à produire, les chaînes généralistes continuent à investir lourdement dans ces produits d’appel, notamment car ils espèrent ainsi diversifier leur audience. La téléréalité attire un public plus masculin et plus jeune que celui des séries, comme l’illustre la différence des spots publicitaires diffusés. Publicité pour voitures et téléphones mobiles pour l’une, produits cosmétiques, alimentaires et d’entretien pour les autres. La téléréalité en Inde n’attire d’ailleurs pas que les téléspectateurs, elle fait également les beaux jours de Bollywood, pas d’émission qui se respecte sans une super star en tant qu’animateur. Amitabh Bachchan, Salman Khan, Shah Rukh Khan – dont la toute nouvelle émission vient de démarrer sur la chaîne &TV ; ils ont tous leur propre émission, contribuant à faire s’envoler les coûts des maisons de production, mais aussi à faire rêver automobilistes et piétons, grâce aux panneaux publicitaires géants qui affichent leurs visages de dieux vivants dominant l’agitation de la ville.
Dessin animé Krishna Balram
La religion influence l’ensemble de la grille des programmes des chaînes indiennes
On voit aussi apparaître de nouvelles chaînes culinaires. Avec la hausse du niveau de vie, le développement de nouvelles chaînes de restaurants et l’apparition d’épiceries haut-de-gamme, les indiens découvrent d’autres cuisines, ont accès à de nouveaux ingrédients et se prennent de passion pour les émissions culinaires auxquelles ils consacreraient 8 minutes par jour
. Restent les chaînes religieuses, qui ont amusé plus d’un touriste occidental de passage dans sa chambre d’hôtel, puisqu’elles consistent essentiellement en images statiques d’un gourou vêtu d’orange récitant des mantras tout en dodelinant de la tête. 0,5 % des indiens regarderaient ces chaînes ce qui ne doit surtout pas présager d’un désintérêt pour la spiritualité, bien au contraire. Loin d’être cantonnée à ces chaînes de niche, elle influence l’ensemble de la grille des programmes des chaînes indiennes. Non seulement les séries mythologiques y font les beaux jours de l’audimat, mais les chaînes n’hésitent désormais plus à mêler télé-réalité et religion, comme dans Bhakti Smarat, la toute nouvelle émission de la chaîne Big Magic Ganga qui a pour ambition de « connecter la jeunesse à Dieu » en organisant une grande chasse au talent … de chanteur de musique dévotionnelle. De l’art de s’attirer la bienveillance des dieux qui, en Inde, président aussi aux destinées des chaines de télévision.
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Crédit photo : capture d'écran de Bigg Boss, émission de téléréalité de la chaîne Colors
Frédéric Sergeur est journaliste pour Newsmonkey, un pure player belge très présent sur les réseaux sociaux et sur l’application de messagerie WhatsApp. Interview.
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