Emission "Y'a que la vérité qui compte" sur TF1

L'émission de Pascal Bataille (à gauche) et Laurent Fontaine (à droite), « Y'a que la vérité qui compte », a été diffusée sur TF1 de 2002 à 2006, avant que les réseaux sociaux et C8 ne prennent le relais. 

© Illustration : capture d'écran chaîne Youtube "Y'a que la vérité qui compte" / montage La Revue des médias

« Y’a que la vérité qui compte » et l'impossible droit à l'oubli

L'émission, diffusée à l'origine sur TF1, génère des millions de vues sur les réseaux sociaux depuis 2020. Problème : tous les témoins n’ont pas été contactés pour donner leur accord à voir remonter des histoires parfois très douloureuses. Ce succès d'audience a intéressé Cyril Hanouna, qui a aidé à relancer le programme sur C8.

Temps de lecture : 7 min

« Mais c’est pas possible, pourquoi ça se retrouve là ? » Fin 2020, Laetitia scrolle sur Facebook depuis quelques minutes quand l'algorithme de la plateforme lui joue une surprise qu’elle n’a toujours pas digérée aujourd’hui. Au premier coup d'œil, elle a parfaitement identifié la vidéo tournée au tout début des années 2000 qui lui était proposée. L’émission, présentée à l’époque par le duo Bataille et Fontaine, s’appelle « Y’a que la vérité qui compte ». Son concept : une personne invitée sur le plateau découvrait en direct à la fois son hôte et la raison toujours émouvante de sa présence : trahison à réparer, sentiments à révéler, demande en mariage, tragédie familiale à dénouer. De l’émotion et souvent des larmes de celui qui est regardé naît le divertissement de celui qui regarde ; on appelle ça de l’« émotainment ».

Laetitia a reconnu sur la miniature de la vidéo le visage encore jeune et en larmes de son frère, Damien. Problème : Damien est décédé plus de dix ans après le tournage de l’émission, dans des circonstances dramatiques. Empêtrées dans des procédures judiciaires pénibles, douloureuses et incertaines, Laetitia et sa famille font face depuis 2015 à un deuil très compliqué. « Ce qui m’est arrivé ce jour-là, c’est que je suis tombée sans m’y attendre face à face avec mon frère qui n’est plus là mais qui tout d’un coup me parlait. Ça a été un choc énorme. Ça a remué tout le reste », décrit-elle, avant de dénoncer : « J’aurais dû avoir le choix, ou au moins avoir été un peu mise au courant. »

« On a fait un nombre de vues hors du commun »

Marina, l’ex-petite amie de Damien qui l’avait invité sur le plateau dans l’espoir de le reconquérir, est tout à fait opposée à ces rediffusions : « Aujourd’hui, j’ai des enfants, j'aurais aimé que mon passé reste derrière moi. Ce n'est pas normal de repasser ces émissions. Ça fait ressurgir le passé. » Marina comme Laetitia disent avoir tenté en 2020 des démarches — l’une par mail, l’autre par téléphone — pour mettre fin à ces rediffusions. Sans succès. Titrées « J'ai vécu une double vie pendant un an », « Son ex en prison elle revient vers moi » ou encore « Pourra-t-il lui pardonner sa longue infidélité ? », ces différentes publications sur Facebook et Youtube ont rencontré une audience énorme. Des millions de personnes ont vu ou revu Damien refuser d’ouvrir le rideau et de revoir Marina. Des dizaines de milliers d’entre elles ont livré leurs avis en commentaires, souvent de façon très sévère voire violente contre Marina.

Cyril Hanouna se dit fan

Ces vieilles émissions tant regardées aujourd’hui — on compte le nombre de visionnages en milliards depuis 2020 — ont pourtant failli disparaître. Elles ont été sauvées par le producteur Benoît Buia, ami des deux présentateurs et dirigeant de la société de production Studio 120 : « En 2010, j’ai racheté tout le catalogue des émissions à la société de production de Pascal et Laurent qui était en liquidation. Je leur ai dit : “J’adore cette émission, elle fait du bien, elle n’est pas anxiogène, ce n’est pas possible qu’elle disparaisse.” » Après des premières rediffusions sur la chaîne câblée AB1 au début des années 2010, Benoît Buia explique avoir eu l’idée de ressortir ces archives pendant le premier confinement de l’année 2020 : « Je m'ennuyais pendant le Covid. J’ai dit à mon équipe qu’on allait découper tous les primes pour les diffuser histoire par histoire sur le web. Ils m’ont pris pour un fou au début. Mais on a fait un nombre de vues hors du commun, je ne pensais pas compter un jour mon audience en milliards. »

Ce succès a intéressé l’animateur et producteur Cyril Hanouna, qui se dit fan de « Y’a que la vérité ». Après avoir invité les présentateurs à plusieurs reprises en plateau, après avoir lui aussi rediffusé des extraits des « plus belles histoires de “Y’a que la vérité qui compte” », Cyril Hanouna s’est impliqué dans la production de nouveaux épisodes désormais diffusés sur C8. Une décision qui fait la fierté de Benoît Buia : « Pascal et Laurent peuvent à nouveau faire plaisir aux gens. C’est grâce à Cyril Hanouna, il a porté le projet, il y a cru depuis le début. Sans son audace, on ne serait pas là. Il coproduit, il surveille le programme comme le lait sur le feu, il adore, il est très enthousiaste. »

Quatre ans ferme

Cette réussite s’est-elle faite sans le consentement de ceux qui ont nourri le programme de l’époque, à savoir les témoins ? Benoît Buia soutient que non et affirme avoir « fait le tri » dans les émissions, afin de ne pas faire ressurgir des souvenirs douloureux : « On a voulu ne garder que le positif. Cette émission, ce n’est pas “Confessions intimes”, ce n’est pas “Pascal le grand frère”, ce n’est pas montrer la misère des gens. » Quelles émissions ont été retirées des rediffusions ? « Je me souviens d’une émission avec une histoire de coming out, le rideau ne s’est pas ouvert. La personne avait demandé à ne plus diffuser. Bien sûr, je ne rediffuse pas, c’est ma déontologie. Je fais tout pour être clean, je suis là par amour de l’image. »

Tout de même, on peut encore voir sur la page Facebook de « Y’a que la vérité » la reconstitution d’une tentative de suicide d’une certaine Sandy, qui avait choqué à l’époque. On peut surtout voir l’émission la plus problématique de son histoire. Une candidate, Sylvie, avait quitté le plateau précipitamment en découvrant que son hôte était son ex-conjoint, Christophe. Celle-ci assure avoir indiqué explicitement à la production qu’elle ne souhaitait pas revoir son ex. Elle indique aussi avoir exprimé son opposition à la diffusion. La production dément.

L’émission a été diffusée et Christophe, vexé par ce vent reçu devant toute la France, a violé Sylvie. Il a été condamné à quatre ans de prison ferme. À l'audience, le procureur de la République avait accusé le programme et rappelé que Sylvie « n'avait pas voulu être la marchandise manipulée par ces gens de télévision qui, pour faire de l'audimat et de l'argent, doivent exposer le plus crûment la vie des gens et leurs problèmes ».

« Ravis »

À l’époque, le consentement de certains anciens participants semblait donc parfois déjà flou. Les participants signaient un document indiquant : « [J’accepte de céder de façon] irrévocable [...] l'exploitation de mon nom, mon image, ainsi que soient dévoilés certains éléments de ma vie privée [et permets au producteur de] fixer, reproduire, communiquer, adapter et, plus généralement, exploiter par tous moyens ma participation. » Mais dans une interview donnée à Libération, Laurent Fontaine reconnaissait : « Quand on signe pour une émission, on ne se rend pas forcément compte des implications que ça peut avoir. »

Qu’en est-il vingt ans plus tard, alors que les réseaux sociaux permettent une diffusion en continu et plus large encore des contenus ? Benoît Buia est formel : « 95 % des anciens participants ont été ravis de voir ressortir les émissions, la plupart des gens qui nous ont contactés l’ont fait pour nous remercier. » Le producteur affirme aussi avoir « fait bosser deux modérateurs » pour s’assurer que les commentaires restent respectueux mais aussi tenté de contacter les anciens témoins dont les coordonnées ont pu être retrouvées dans les listings de l’émission.

« J’ai l’impression de ne plus être une personne, je suis devenu un contenu »

Nous avons contacté une trentaine d’anciens témoins pour vérifier ces dires. Parmi eux, les sept personnes qui nous ont répondu sont unanimes : aucune n’a été contactée par la production pour s’assurer de leur accord avant la diffusion des émissions. Gaëtan, aujourd’hui âgé de 35 ans, avait été invité par une femme tombée secrètement amoureuse de lui alors qu’elle le voyait chaque matin dans le bus. L’histoire n’a rien donné, mais marque un tournant positif dans sa vie : « Ce qui est fou et amusant, c’est que le jour de l’émission je m'attendais à être invité par une autre personne, que je croisais aussi dans le bus mais avec qui il y avait vraiment un rapprochement. Aujourd'hui, on est mariés. Mes enfants ont vu la vidéo, ça les a fait marrer. »

Lui aussi s’est amusé de sa célébrité sur Facebook et des nombreuses théories élaborées sur son compte dans les commentaires. Jusqu’à cesser de rire quand il a réalisé qu’une personne disant le connaître faisait courir des rumeurs à son sujet, notamment qu’il était devenu le père d’un enfant handicapé au destin tragique. Aujourd’hui, Gaëtan aurait préféré être averti de la republication des émissions, même s’il pense qu’il aurait de prime abord donné son accord.

Des enquêteurs amateurs

Éric et son meilleur ami de l’époque avaient, eux, invité une quasi-inconnue pour lui faire une annonce conjointe : « Nous sommes tous les deux amoureux de toi, lequel vas-tu choisir ? » Cette femme est aujourd’hui la mère des enfants d’Éric. Il a un seul regret : « Quand j’ai vu l’émission, je suis bêtement allé lire les commentaires. C’était parfois très très agressif. Si j’y avais réfléchi, je ne l’aurais sûrement pas fait. » Il assure que la production ne l’avait pas appelé en 2020 pour l’informer, alors qu’elle l’a rappelé ensuite pour lui proposer de passer dans un nouveau projet appelé « Que sont-ils devenus ? ». Est-ce à dire que davantage de moyens ont été mis pour nourrir la nouvelle émission que pour s’assurer du consentement des anciens participants ?

Les cinq autres témoins que nous avons contactés sont en tout cas assez remontés contre la façon dont ces rediffusions ont été organisées. Élodie (pseudo), qui a participé à une émission où elle évoquait son homosexualité, se dit en colère parce que son « droit à l’image » n’a selon elle pas été respecté. Elle a en prime été victime de centaines de messages homophobes, et dit avoir eu à se « justifier » de nombreuses fois sur cette histoire, « en particulier au travail ».

Hervé (prénom modifié), venu participer à l’émission pour une histoire de cœur, s’estime lésé : « Mon histoire ne m’appartient plus, je sais que tous les jours des gens la découvrent en permanence. J’ai l’impression de ne plus être une personne, je suis devenu un contenu. » Il a été victime de tout un tas d’enquêteurs amateurs avides de le joindre pour savoir ce qu’il est devenu depuis vingt ans. Des dizaines de personnes l’ont contacté sur les réseaux sociaux, certaines ont retrouvé ses coordonnées personnelles, d’autres ont même appelé l’un de ses employeurs pour avoir des infos. Des personnes ont de même contacté Laetitia croyant avoir compris en quelques recherches sur le web les circonstances de la mort de son frère, alors qu’une enquête policière et judiciaire n’y est pas parvenue.

« Montrer qu'un témoignage est faux n'a aucun impact sur son succès »

Au moins trois personnes contactées pendant notre enquête ont envisagé ou envisagent de se défendre devant la justice pour faire supprimer ces vidéos. C’est notamment le cas de la journaliste Emmanuelle Anizon, qui avait piégé Bataille et Fontaine (ce n’est pas la seule : au cours de notre enquête, deux autres personnes nous ont avoué avoir menti pour passer dans l’émission) en leur faisant croire qu’elle invitait son ex-meilleure amie dont elle avait conquis le conjoint : « Je voulais montrer que rien n'était vérifié, que c'était un spectacle. Momentanément, le but a été atteint, on a fait la Une de Télérama avec cette histoire. » À l’époque, elle a essuyé des regards agressifs et des remarques : « Des gens ont même arrêté de me parler à la sortie de l’école. J'étais devenu la salope qui avait piqué le copain de son amie. Mais très vite, ils ont entendu parler de mon article. La plupart des personnes autour de moi ont fini par savoir que c'était un coup monté journalistique. » La situation est pire depuis les rediffusions sur le web, qui s’étalent dans le temps et sont totalement détachées de son enquête publiée dans Télérama : « Je me retrouve maintenant à devoir vivre à vie avec ça. Je suis renvoyée et associée en permanence à ce que j'ai voulu dénoncer. J'ai été tellement arrêtée dans la rue, j'en ai assez. Il faut que je fasse quelque chose au niveau juridique. »

A-t-elle été prise à son propre piège ? Fait-elle face à la bourdieusienne réalité, qui veut qu’on ne critique pas la télé à la télé ou via la télé sans s’en mordre les doigts ? La journaliste reste fière de son coup et convaincue du contraire : « Ce qui m’arrive est la preuve de ce que je voulais montrer, à savoir que la vérité ne compte pas dans un témoignage diffusé à la télé. Ce que je n'avais pas compris, c'est que c'est tellement vrai que montrer qu'un témoignage est faux n'a aucun impact sur son succès ou sa diffusion. “Y'a que la vérité qui compte”, c'est faux en tout point, c'est exactement l'inverse, y a que l'image qui compte. »

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