image générée par une intelligence artificielle montrant des journalistes entourant un robot

Nous avons demandé à l'outil Midjourney de générer une image représentant un robot entouré de journalistes dans une salle de rédaction. Le résultat (observez les visages...) n'est pas parfait !

© Crédits photo : Midjourney / La Revue des médias

Intelligence artificielle et médias : cinq utilisations, au-delà de ChatGPT

L’intelligence artificielle promet de révolutionner l’organisation du travail dans de nombreux milieux, y compris dans les médias. Ils s'y sont d'ailleurs déjà adaptés. Exploration de cinq cas de figure, de l’illustration des articles à l’analyse de documents.

 

Temps de lecture : 5 min

Le 30 novembre 2022, Chat GPT, agent conversationnel de son état – un robot présenté sous la forme d’une application de messagerie banale – entre en scène. Une fois les consignes envoyées par l’utilisateur, il est capable de tout écrire : des chansons, des pièces de théâtre, du code. Les performances impressionnent. À tel point que l’intelligence artificielle s’impose dans les débats. Mais dans les faits, les médias n’ont pas forcément attendu Chat GPT pour l’introduire dans leurs pratiques et leurs outils.

1. Illustrer des articles

Pas de bon article sans une image efficace qui donne à voir son contenu. Jusqu’ici, illustrateurs et illustratrices, agences de presse, banques d’images et photographes pouvaient être mobilisés. Les intelligences artificielles aussi, désormais. En mai 2023, le JDD Magazine a utilisé l’outil Midjourney pour illustrer sa couverture — une première en France à notre connaissance — et ses deux articles sur Michel Houellebecq. Leur sujet : la création et la gestion par l’écrivain de sa propre image. Occasion toute trouvée de faire appel à l’intelligence artificielle pour Mathieu Martin Delacroix, directeur artistique du magazine. Deux photos étranges, où l’on reconnaît l’auteur sans le reconnaître, et très fortes. Cependant, le magazine ne renouvellera pas, a priori, l’expérience. « C’était au service du sujet, ça s’y prêtait. Nous créons toutes nos images avec des artistes et des photographes. Nous travaillons avec eux, c’est tout le projet du JDD Magazine », explique le directeur artistique. Par ailleurs, ces outils ne pourront d’après lui pas remplacer les artistes, en tout cas pas pour des productions de très haute qualité.

Une du JDD Magazine du 28 mai 2023 illustrée par une image de l'écrivain Michel Houellebecq générée par l'outil Midjourney.

Le JDD Magazine a choisi de faire sa une du 28 mai 2023 avec une image de l'écrivain Michel Houellebecq générée par l'outil Midjourney.

© Crédits : JDD Magazine

Deux mois avant, c’était Le Figaro qui recourait à une IA pour illustrer un article sur une escroquerie à l’héritage… Avant un retour en arrière très rapide (l’illustration originelle est consultable ici). Il s’agissait d’une « initiative individuelle qui a échappé à notre contrôle, expliquait après coup Adrien Guilloteau, chef du service photo du Figaro, interrogé par Libération. On l’a retirée quand on s’en est aperçus, tout simplement parce que ça ne correspond pas à notre politique. » La position du journal est sensiblement la même que celle du groupe Les Échos – Le Parisien, précurseur sur les réflexions autour de l’utilisation de l’intelligence artificielle par des médias : transparence autour de la source de l’image, pas d’illustration générée automatiquement par des intelligences artificielles, sauf s’il s’agit… d’un article sur l’intelligence artificielle.

2. Écrire des articles

Depuis 2021, le quotidien sportif L’Équipe recourt à l’intelligence artificielle pour produire automatiquement certains contenus, comme des papiers listant les matchs à venir, avec horaires et chaînes où les regarder. Des articles modelés pour le référencement des moteurs de recherche.

L’Équipe n’est pas le premier média français à utiliser l’IA pour écrire des articles : en 2015, Le Monde a utilisé un robot pour couvrir les résultats des élections départementales et rédiger ainsi 36 000 articles.

Le journal s’appuie également sur une IA pour aider à éditer la page d’accueil du site. L’outil de publication  indique — en se basant sur des critères comme la position initiale, le nombre de vues par minute, le nombre d’abonnements souscrits dans les dernières heures – quels articles mériteraient une mise en avant pour maximiser le nombre de vues, ou au contraire lesquels retirer. Il a aussi commencé, en 2023, à expérimenter la production automatisée de résumés de matchs de faible importance, auxquels les journalistes ne peuvent assister, comme ceux de l’ATP 500 en tennis.

3. Présenter de l’information en vidéo

Le média tout vidéo Brut s’est lancé en janvier 2023 dans l’aventure des vidéos générées avec de l’IA. Dans un premier temps, des contenus de quelques minutes avec pour protagoniste un avatar numérique de Rémy Buisine. Le public, c’est un euphémisme, est peu réceptif. À la tête de l’initiative, le journaliste Nicolas Nerrant expérimente (seul) avec les différents outils à sa disposition – HeyGen pour les avatars, Eleven Labs pour les voix de synthèse, Midjourney pour les animations. L’alter ego de Rémy Buisine a ensuite laissé sa place à des avatars aux visages entièrement numériques. Si les performances sur la forme sont époustouflantes, l’IA continue, selon Nicolas Nerrant, de faire trop de fautes sur le fond. Il n’envisage pas, à ce jour, de laisser sa place à un robot.

 

En Corée du Sud, la chaîne MBN propose depuis le 6 novembre 2020 des flashs d’actualité présentés par un clone numérique de la journaliste Kim Ju-ha. Le temps de préparation est bien moins long (trente minutes contre deux à trois heures), les moyens humains nécessaires sont réduits (un journaliste et une machine suffisent). Les coûts s’en trouvent amoindris. En Chine, la start-up Xinhua Zhiyun produit depuis 2018 selon la même méthode des vidéos d’information en quinze secondes.

4. Vérifier les chiffres avancés par les responsables politiques

Comment vérifier les chiffres avancés par les responsables politiques sur les réseaux sociaux ? Statcheck est capable de détecter une statistique évoquée – dans un tweet par exemple – puis de la confronter à la réalité des bases de données – Eurostat et Insee aujourd’hui, potentiellement d’autres dans le futur. Fruit d’une collaboration démarrée en 2022 entre la radio France Info et l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), l’outil est taillé pour et utilisé par le service de fact-checking de la radio. Aujourd’hui, France Info cherche à en étendre l’usage à d’autres branches de sa rédaction. « Il s’agit d’un outil comme les autres », explique Estelle Cognacq, directrice adjointe de France Info en charge de l’agence de presse maison, du numérique et du fact-checking. Dans un futur proche, Ioana Manolescu, chercheuse à l’Inria, aimerait construire un chatbot, reposant sur Statcheck. « On est capable de pointer la case d’un tableur Excel donnant la bonne information », s’enthousiasme la chercheuse.

5. Analyser et comparer des documents

Pandora Papers, Uber Files, Panama Papers… Ces dernières années, l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ, Consortium international des journalistes d’investigation, en français), fondé en 1997, s’est fait un nom grâce à ses enquêtes centrées sur les leaks, ces fuites de données parfois massives. L’intelligence artificielle permet de naviguer dans ces dizaines de milliers de documents. « Nous utilisons du machine learning et des réseaux de neurones », précise Pierre Romera Zhang, à la tête de l’équipe technique du consortium. Concrètement, les journalistes enseignent à leurs machines quels genres de documents ils ou elles cherchent : à quoi ils ressemblent, les types d’informations qu’ils doivent contenir (noms, numéros de téléphone et de société, adresse), etc. Sur la base de ces leçons, puis des retours faits par les journalistes eux-mêmes sur les premiers résultats proposés, le travail des robots s’affine et permet de trouver facilement, dans la masse de documents, les informations recherchées.

Pour Pierre Romera Zhang, on est encore au début de l’utilisation de l’IA à des fins d’investigation. « La seule limite sera notre inventivité » affirme-t-il, et d’ajouter que si de plus en plus de journalistes se forment à ces sujets, c’est surtout d’ingénieurs dont il y aura besoin pour gérer tous ces développements. Sans oublier une problématique éthique, liée à l’entraînement de ces intelligences artificielles : les rédactions passeront-elles par l’emploi de « petites mains » peu qualifiées à l’autre bout du monde, aux conditions de travail loin d’être idéales, pour nourrir ces outils ?

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