Élections législatives : moment de gloire pour les télés locales
Certains débats télévisés ont massivement été diffusés sur les réseaux sociaux avec des interventions surprenantes de candidats RN. De gauche à droite : BFM Alsace, TVR, 8 Mont-Blanc et France 3 Bourgogne.
Élections législatives : moment de gloire pour les télés locales
Lors des récentes élections législatives, des séquences vidéo de débats entre candidats ont cumulé des millions de vues sur les réseaux sociaux. Une visibilité inédite pour les chaînes régionales.
Il a eu l’impression d’un silence qui s’étend pendant de longues minutes. Journaliste pour la chaîne de télévision 8 Mont-Blanc, Sébastien Germain se souviendra encore longtemps du débat qu’il animait en direct le 4 juillet. Face à lui, deux candidats de la deuxième circonscription de Haute-Savoie, le député sortant Antoine Armand (Ensemble !) et Anis Bouvard (Rassemblement national). Alors que l’échange porte sur la hausse des salaires, Antoine Armand demande à son adversaire : « Quelles taxes voulez-vous baisser ? » Anis Bouvard bégaie, regarde le sol. S’ensuit plusieurs secondes de silence, avant que Sébastien Germain reprenne la main. « Je me suis rendu compte que ça allait être compliqué. J’ai préféré enchaîner. »
Publié sur la chaîne YouTube de 8 Mont-Blanc, ce débat a battu des records : plus de 78 000 visionnages en une semaine. En temps normal, les vidéos postées par la chaîne des Pays de Savoie ne dépassent que rarement le millier de vues.
Des extraits qui font le buzz
Des extraits comme celui-ci, ils sont nombreux à avoir été partagés sur les réseaux sociaux. Leurs points communs : ils montrent des candidats du Rassemblement national en difficulté et tous proviennent de télévisions et radios locales. Dès l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier, les chaînes régionales se sont mobilisées pour organiser des débats entre les candidats de chaque circonscription.
« Ce n’est que sur nos chaînes qu’on a pu voir chacun d’entre eux », sourit Aurélie Rousseau, co-présidente de Locales.tv, la fédération des télévisions locales de France qui regroupe cinquante canaux. « Ces candidats n’ont pas spécialement le même discours que leurs chefs de file, mais ils représentent la réalité : qui sont ces élus de nos territoires. »
Stéphane Besnier est un habitué de ces débats. Directeur de l’information de TVR depuis plusieurs dizaines d’années, il a, lui aussi, été confronté à un moment de gêne lors d’un échange de cet entre-deux-tours. Sur son plateau, le 1ᵉʳ juillet, Dylan Lemoine, candidat RN, pointe du doigt « l'insécurité » à Dol-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine) qui résulterait d’un « centre pour faux mineurs, [et qui] ne cesse d’augmenter. » Problème : ce centre n’est pas encore ouvert.
« Cette campagne a été marquée par l’impréparation de certains candidats du Rassemblement national », souligne le journaliste. Repris sur les réseaux sociaux, cet extrait a été visionné « des millions de fois » selon Aurélie Rousseau, également directrice générale de la chaîne — 2,4 millions de vues par exemple sur ce tweet.
S’il est compliqué de chiffrer précisément le nombre de vues, c’est aussi parce que ces images sont reprises dans des montages difficiles à tracer. Ce que regrette Sébastien Germain, de 8 Mont-Blanc. De nombreux posts ne créditent pas la chaîne, mais il reconnaît que ces montages ont aussi du bon : « Ils font parler de nous, ça nous fait une bonne petite publicité. »
Autre vidéo marquante, sur le plateau de BFM Alsace, le 3 juillet. Ce jour-là, le candidat RN Laurent Gnaedig affirmait avoir « encore des doutes » sur l’antisémitisme des propos tenus en 1987 par Jean-Marie Le Pen, et pour lesquels il a été condamné, sur les chambres à gaz, qu’il qualifiait de « détail de l'histoire ». Dans la soirée, Laurent Gnaedig avait finalement envoyé un communiqué d’excuses. De son côté, SOS Racisme déposait plainte le lendemain pour « contestation de crime contre l'humanité ». Sur le compte X de la chaîne locale, cet extrait a dépassé les 307 000 vues.
La séquence a aussi été reprise par la chaîne nationale de BFM TV lors de l’interview de Jordan Bardella le 3 juillet dernier. Dans un extrait largement partagé, le journaliste Maxime Switek confronte le président du Rassemblement national aux propos de Laurent Gnaedig. Pour Philippe Antoine, la diffusion nationale de cet échange tenu sur BFM Alsace « est la reconnaissance d’un travail bien fait. Ce passage a même été repris par France 3 et d’autres extraits par France Bleu qui sont normalement nos concurrents. »
Quelques minutes plus tôt, Benjamin Duhamel faisait de même en diffusant un enregistrement audio, fourni par L’Yonne républicaine, d’une interview d’un candidat RN, Daniel Grenon, réalisée par ce journal local. On l’y entendait affirmer que « les Maghrébins arrivés au pouvoir en France n'ont pas leur place en hauts lieux ».
Tous les candidats n’ont pas accepté de participer à ces confrontations. « On a eu une quarantaine de refus du côté du Rassemblement national », déplore Philippe Antoine, directeur général de BFM Régions. Mais ces refus, parfois de dernière minute, n’ont pas empêché le succès des soirées électorales. « Sur les 20 émissions diffusées de 19 h 30 à 23 h 30 sur les dix chaînes, on a fait trois fois plus d’audience qu’un dimanche normal, hors soirée électorale. » Avec l’actualité autour d’Éric Ciotti, BFM Nice Côte d’Azur a même fait la deuxième meilleure audience de l’année.
« Il y a une dramatisation des enjeux qui impacte forcément les audiences et crée une appétence pour nos offres », décrypte Jacques Paté, directeur proximité en charge du numérique pour France 3. Lors des dernières élections législatives de 2022, « la situation était quand même plus paisible ».
Avec ses 24 chaînes locales, France 3 a organisé 200 débats. Et le public était au rendez-vous, particulièrement sur le numérique. « Le dimanche du premier tour, on était à plus de 8 millions de visites sur nos sites et au second à plus de 6 millions. » Des chiffres qui ont surpris le réseau local qui tablait plutôt sur « environ 5 millions de visites ».
Effet révélateur
Cette visibilité hors-norme résulte d’abord de l’attitude des candidats eux-mêmes. Pour Stéphane Besnier, de TVR, « les audiences sont souvent assujetties à l’énormité de ce qui peut être énoncé. Et le buzz est généralement provoqué par quelqu’un sur le plateau. Dieu merci, ce n’était pas un journaliste dans notre cas ! »
Hors de question pour autant d’humilier les candidats venus débattre. Pas de « buzz pour faire du buzz », détaille le directeur de l’information. « Si un candidat sort une énormité et que c’est diffusé… C’était à lui de bien se préparer. » Stéphane Besnier compare cela à l’entraînement d’un sportif avant une compétition. « Mais nous ne sommes pas là pour faire de la politique spectacle, ni du sensationnel, on doit juste faire notre travail de chaîne du territoire. »
Il y a aussi eu un effet de longue traîne : en diffusant en direct des débats en ligne puis les résultats, « on a été repéré par Google comme un média de référence pour ces législatives, donc on a bien été mis en avant. » Le lendemain, puis le surlendemain, les sites ont continué de performer. Pour Isabelle Staes, la directrice du réseau régional France 3, « on peut parler de record historique, c’est une visibilité inédite pour nos offres numériques ».
Les chaînes du groupe France Télévisions ont aussi massivement investi les réseaux sociaux. Pas question de ne toucher que le public du linéaire, « qui a en moyenne 64 ans et plus ». « Notre objectif est désormais d’aller chercher le public là où il se trouve », explique Olivier Couvreur, coordinateur numérique central de France 3.
Remerciements
À la suite des résultats du second tour, de nombreux utilisateurs ont publié sur X des messages de félicitations aux chaînes locales et particulièrement celles de France Télévisions et France Bleu. « La mission du service public a été reconnue, ce n’est pas souvent donc ça a motivé les équipes et ça a été apprécié par le réseau. »
Pour ces élections, les consignes avaient été revues. Pour les reprises de courts extraits sur les réseaux sociaux, il y a eu moins de vidéos « strikées », c’est-à-dire supprimées par France Télévisions car utilisées sans l’accord du groupe. « On a une politique de tolérance d’utilisation de nos images, ça fait partie du rayonnement de notre contenu. »
En sortant du débat qu’il animait en direct avec le candidat RN Anis Bouvard, Sébastien Germain de 8 Mont-Blanc s’est dit qu’il venait de vivre un moment particulier. Mais il ne pensait pas que l’extrait serait massivement repris. Lui qui ne se dit pas journaliste politique — « je n’ai pas cette prétention » — a reçu beaucoup de messages, et surtout des remerciements. « On m’a dit : “grâce à toi, on voit le vrai visage du Rassemblement national”, mais je pense qu’il ne faut pas généraliser. »
Les journalistes des chaînes interrogés parlent tous de l’effet « révélateur » des médias locaux. Le constat est là : en n’interrogeant pas les porte-paroles ou les candidats phares de la campagne, ces chaînes ont mis en lumière des candidats moins bien entraînés, qui n’étaient pour certains pas prêts et « moins à l’aise face à des questions pertinentes », précise Philippe Antoine, du réseau régional de BFM TV.
Selon ces chaînes locales, leur succès est le fruit de débats concrets sur les programmes. « Les gens savent que les chaînes locales sont en prise directe avec la réalité du quotidien des Français, explique Aurélie Rousseau, co-présidente de Locales.tv. C’est une forme de reconnaissance que tout ça ait été repris. » Une illustration, selon elle, de leur « utilité sociale », et de la confiance du public. « On a montré les choses telles qu’elles sont. On a montré les candidats des territoires, ceux qui représentent la réalité. »