Éric Zemmour sur le plateau de "Tout le monde en parle" sur France 2.

Éric Zemmour sur le plateau de « Tout le monde en parle » (France 2), le 18 mars 2006.

© Crédits photo : Capture d'écran archives INA

L’émission qui a changé la carrière médiatique d'Éric Zemmour

Le 18 mars 2006, sur le plateau de « Tout le monde en parle », celui qui était alors journaliste politique au Figaro se fait remarquer par la productrice Catherine Barma. Une soirée qui marque un tournant dans la trajectoire d’Éric Zemmour. 

Temps de lecture : 7 min

C’est l’histoire d’une mue audiovisuelle qui se déroule en direct. Le 18 mars 2006, sur le plateau de Thierry Ardisson, sur France 2, dans l’émission « Tout le monde en parle », Éric Zemmour, alors journaliste au Figaro en promo pour l’un de ses livres, ne porte pas de cravate, ni cette fine paire de lunettes rondes aperçue lors de son premier meeting, dimanche 5 décembre 2021, à Villepinte. Face à Thierry Ardisson, ce samedi de 2006, le journaliste sourit, il a l’air heureux d’être là, et les téléspectateurs de France 2 découvrent un débatteur pugnace, brutal, provocant. Éric Zemmour ne le sait pas encore, mais cette soirée va changer son destin médiatique. Le faire passer de la case « journaliste », à celle de « polémiste ». Avant, plus tard, de rejoindre celle de « politique ». Interrogé par La Revue des médias, Zemmour lui-même valide l’importance de cette soirée chez Ardisson. « Je suis d’accord avec vous », nous dit-il, lorsqu'on lui demande si elle fait, pour lui, partie de ces moments décisifs.

Dans son dernier ouvrage, La France n’a pas dit son dernier mot (Rubempré), Éric Zemmour revient précisément sur cette séquence : « Lors de l’émission du samedi soir de Thierry Ardisson, j’avais affronté l’ire de la féministe Clémentine Autin (sic) et la fureur de l’acteur Francis Huster. Les beaux yeux bleus de la première me lançaient des flammes et le physique avantageux du second me tournait le dos avec une ostentation cabotine. »

Il poursuit, se plaignant du traitement médiatique qui lui avait été réservé à l’époque : « J’avais bataillé vaillamment, argumentant pied à pied, ne lâchant rien, arc-bouté sur mes convictions, ce qui devint sous la plume de la journaliste de Libération une “ténacité de roquet accroché au bas des jupes”, grâce à laquelle j’étais “le client en or des ardissoneries du samedi”. » Zemmour fait ici allusion à un portrait de Libération qui lui avait été consacré en avril 2006, intitulé « Bite Génération ». « Libération m’avait promis, goguenard, un ‘‘éphémère coup médiatique.’’ (…) L’éphémère allait durer. »

Brûlot

À l’époque, on peut, depuis 2003, apercevoir le journaliste du Figaro sur la chaîne iTélé, encore payante. Il y débat chaque semaine de l’actualité politique avec Christophe Barbier dans l’émission « Ça se dispute ». Déjà, il ne passe pas inaperçu, étant l’une des rares figures médiatiques du moment à défendre le « non » au référendum européen. Spécialiste de la droite et auteur d’une biographie remarquée de Jacques Chirac (L’homme qui ne s’aimait pas, Balland, 2002), il demeure cependant un journaliste parmi d’autres qui parle de politique à la télévision. 

Ce soir de mars 2006, donc, Éric Zemmour vient faire la promotion de son nouveau livre, Le premier sexe. Un brûlot au titre provocateur, référence au Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. La quatrième de couverture de cet essai, publié dans la collection Indigne des éditions Denoël, donne le ton : « Les femmes n’inventent pas, elles conservent. Elles ne forcent pas, elles préservent. Elles ne transgressent pas, elles civilisent. Elles ne règnent pas, elles régentent. En se féminisant, les hommes se stérilisent, ils s’interdisent toute audace, toute innovation, toute transgression. » L’idée lui a été soufflée par l’éditrice Clara Dupont-Monod.

Également en plateau : les acteurs Francis Huster et Michèle Bernier. Et pour assurer le spectacle, Ardisson a convié Clémentine Autain, l’une des rares figures féministes de l’époque à la télévision, alors conseillère en charge de la jeunesse auprès du maire de Paris, Bertrand Delanoë. « On essayait toujours de créer des rencontres, d’opposer les gens. Il y avait eu Éric et Ramzy face à Balkany, Juliette Binoche face à Finkielkraut. Là, j’ai Zemmour qui écrit un bouquin sur les femmes, donc j’invite Clémentine Autain », commente l’animateur. L’élue parisienne hésite. « Je lis son livre, je m’interroge, en me demandant s’il faut y aller ou pas. Je me dis finalement qu’on ne peut pas laisser ça sans réplique », explique celle qui est désormais députée de la France Insoumise.

Macho Man

Dès son arrivée sur le plateau de France 2, Clémentine Autain cogne fort contre l’auteur du Premier Sexe. Elle le qualifie de « réac », ne le laisse pas en placer une. Ardisson chambre Zemmour : « Je te prenais pour un macho, et en fait tu es en train de te laisser déborder. » Clémentine Autain finit son propos liminaire en reprochant à Éric Zemmour de « manquer d’imagination » au sujet des relations entre hommes et femmes. « Et vous, de culture », réplique l’essayiste. Huées et applaudissements dans le public. Le match peut commencer.

Il est près de minuit et, pour justifier une phrase écrite dans son livre — « Plus on adule, plus on respecte, moins on bande » — l’essayiste cite Stendhal, puis Freud. Ardisson se tourne vers Huster : « Francis, vous êtes d’accord avec ça ? » « Bien sûr que non, c’est à pisser de rire », répond le comédien. « Je suis un contre deux ou trois », déplore l’essayiste, qui tente de développer sa pensée : « Le capitalisme pousse à la féminisation de la société. Il n’a plus besoin de producteurs en Europe et en France, il a besoin de consommateurs. Et les meilleurs consommateurs sont des femmes. » « Le Figaro est-il anticapitaliste ? », ironise Autain. « Je ne suis pas Le Figaro, je suis Éric Zemmour. Point », répond celui dont la mue en polémiste semble s’opérer sous nos yeux.

Il insiste, prenant à partie son adversaire d’un soir : « La mise en avant des homosexuels, des gays et des femmes est voulue par le capitalisme, parce que ce sont les meilleurs consommateurs. C’est ça que vous ne voulez pas comprendre. Vous-même, vous êtes le jouet du capitalisme. » Sidération en plateau, Ardisson se marre. Trente-six minutes après son arrivée, l’interview se termine, au son de de Macho Man des Village People. Éric Zemmour ne le sait pas encore, mais sa vie vient de changer.

Radicalisation

Au téléphone, ce 3 décembre 2021, Thierry Ardisson raconte ne pas garder de souvenir particulier de cette émission. « C’est terrible à dire, mais j’ai toujours cette façon un peu chirurgicale, froide, d’interviewer les gens. Je les opère, et ils repartent. Je suis désolé, mais je n’ai pas vécu cette émission d’une façon différente ».

Clémentine Autain conserve au contraire un vif souvenir de ce plateau : « Ça avait fait un buzz incroyable à l’époque. Je faisais déjà beaucoup de plateaux, mais tout le monde ne me parlait que de celui-là. Pendant des années, quand on tapait mon nom sur Google, il n’y avait que ça qui sortait. C’est quelque chose qui a marqué les esprits, en dehors même de sa diffusion en direct. »

Pour l’expliquer, elle invoque le contexte politique de l’époque : un débat politique qui « ronronne », une gauche de gouvernement « moulée dans le néolibéralisme » et une droite « moins offensive sur les questions dites ‘‘sociétales’’ ». « Pour retrouver l’attention des téléspectateurs et des citoyens, il faut un choc. [Éric Zemmour] se glisse là-dedans. »

Ce choc sera la radicalisation du discours d’Éric Zemmour, analyse Alexis Lévrier, spécialiste de l’histoire du journalisme : « Sur iTélé, il s’était construit un personnage, plutôt fin, qui se présentait comme un souverainiste très respectable, qui avait voté Chevènement en 2002, et s’opposait à Barbier sur les questions européennes. Là, il est dans la brutalité, dans la provocation. »

Bon client

Présente en coulisses ce soir-là, la productrice de « Tout le monde en parle », Catherine Barma, n’aurait pas loupé une seule miette de son numéro. « Quelques semaines plus tard, Laurent Ruquier me proposait de devenir un chroniqueur de l’émission qu’il présenterait à la rentrée 2006 (...) », écrit l’auteur dans son manifeste de campagne. « Ardisson et lui partageaient la même productrice, Catherine Barma, qui m’avait découvert et apprécié lors de ma défense houleuse du Premier sexe ».

La productrice ne souhaite aujourd'hui plus répondre aux questions sur son ancien chroniqueur. Mais son entourage raconte la même histoire qu’Éric Zemmour. « Catherine l’a vraiment remarqué ce soir-là. Elle l’a trouvé très bon, très fort en termes de répartie notamment. Quelques mois plus tard, quand elle a cherché quelqu'un pour faire la paire avec Michel Polac, elle a pensé à Éric Zemmour. Elle l’avait déjà vu sur iTélé, mais quand elle l’a vu sur le plateau d’Ardisson, elle a eu la confirmation qu’il ferait un très bon sniper. »

Thierry Ardisson, entre deux bouffées de cigarette, confirme au téléphone : « Barma l’a repéré ce soir-là. Mais on savait tous déjà que Zemmour était un bon client. » Il traduit : « C’est un bon fouteur de merde, un type qui dit toujours le contraire des autres, et moi j’aime bien ça. Tu es sûr qu’il va faire le show. Tu es sûr que Huster il va piquer une crise. C’est du pain béni. Quand je le reçois à ce moment-là, c’est comme si j’avais Alain Soral, Marc-Édouard Nabe ou Dieudonné. Ces types qu’on appelait les ‘‘infréquentables’’, mais qu’on fréquentait quand même, parce que ça boostait bien les plateaux. » Il note toutefois, avant de raccrocher, une différence fondamentale entre le Zemmour de 2006 et celui d’aujourd’hui. « À l’époque, il était rigolo. Désormais, il est tragique ».

7e symphonie

En septembre 2006, Éric Zemmour s’installera dans le fauteuil bleu de l’émission « On n’est pas couché », d’abord aux côtés de Michel Polac puis de son ami Éric Naulleau, présent quinze ans plus tard au premier rang du meeting de Villepinte. Depuis 2006, il multiplie les collaborations audiovisuelles, à Paris Première, RTL ou iTélé, dont il sera congédié en décembre 2014 après de nouveaux propos polémiques sur les musulmans.

C’est pourtant en majesté qu’il revient cinq ans plus tard sur CNews, avec la bénédiction de Vincent Bolloré. Le nouveau propriétaire de la chaîne lui offre une heure d’antenne sans contradiction, quatre soirs par semaine. Le 13 septembre 2021, le CSA décide de décompter son temps de parole, contraignant CNews à se séparer de son éditorialiste phare. La suite, sur fond de 7e symphonie de Beethoven, est désormais connue.

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