Fabriquer des clusters a-t-il du sens ?
La Silicon Valley et la Tech City londonienne font rêver et inspirent les projets de « quartiers numériques ». Mais est-ce si simple de fabriquer un cluster et, au fond, cela a-t-il du sens ?
© Crédits photo : DR.
La Silicon Valley et la Tech City londonienne font rêver et inspirent les projets de « quartiers numériques ». Mais est-ce si simple de fabriquer un cluster et, au fond, cela a-t-il du sens ?
Au mois d’avril 2013, Fleur Pellerin, ministre en charge de l’Économie numérique, lance un chantier. Il s’agit de réfléchir à l’implantation de quartiers numériques à Paris, en proche banlieue et sur les territoires. Précisément, il s’agit de « fédérer l’ensemble des acteurs du secteur pour stimuler, mais également mettre en valeur au niveau international, le dynamisme de l’économie numérique française et les talents d’envergure mondiale qui en font partie. L'enjeu du projet quartiers numériques est […] d'accroître la visibilité internationale du secteur numérique français à travers le regroupement des acteurs et des structures aujourd'hui dispersés […]. » Une fois de plus, hélas, l’on redécouvre les vertus du cluster. Mais est-ce si simple de fabriquer un cluster et, au fond, cela a-t-il du sens ?
De l’urbain, des bars, des restaurants, de la diversité, une centralité, voilà des atouts qui ont favorisé l’éclosion de ce type de cluster.les tailles d’entreprise et les ambitions sont des freins puissants à l’engagement dans un collectif et les comportements opportunistes sont toujours présents. Les entrepreneurs se sont installés au Sentier car l’environnement correspondait parfaitement à leur besoin, à leur âge, à leur mode de vie. De l’urbain, des bars, des restaurants, de la diversité, une centralité, voilà des atouts qui ont favorisé l’éclosion de ce type de cluster.
Faire en sorte que, lorsque l’on réunit tout le monde au même endroit, le tout soit bien supérieur à la somme des compétences individuelles.Fondée sur la subvention publique de la recherche et développement collaborative, la politique des pôles de compétitivité est essentiellement une politique qui vise à densifier les relations entre les acteurs. Cependant, peu nombreux sont les clusters à maîtriser et à se doter d’une méthodologie « réseau » afin d’analyser la réelle performance, le décloisonnement ou le renforcement des pratiques et, in fine, la capacité collective du territoire à innover du mieux qu’il le peut. Car il s’agit bien de cela : faire en sorte que, lorsque l’on réunit tout le monde au même endroit, le tout soit bien supérieur à la somme des compétences individuelles.
Les acteurs sont dans East London parce que le territoire présente les attributs recherchés par les talents qui composent l'économie numérique.C’est un territoire riche de ses cultures, tolérant, anglophone, curieux, encore bon marché où de nombreuses (toutes les ?) expérimentations sont possibles. Presque « cool » en un mot. Et c’est bien d’une hybridation dont il s’agit au départ. Celle d’une scène musicale indie et vibrante et de son pendant numérique qui cherche à la promouvoir. Last.fm, Songkick, LiveMusic ou encore 7digital sont, parmi d’autres, des entreprises pionnières du Silicon Roundabout. Et comme pour le Silicon Sentier en son temps, les dynamiques d’agglomération sont particulièrement auto-renforçantes. En janvier 2013, on dénombrait près de 1 300 compagnies. Il est logique que, par souci de réputation et de visibilité, les plus gros suivent : Google, Amazon, Microsoft, Cisco… Ils viennent installer des centres de recherche qui vont se nourrir de la créativité, de l’innovation et des dynamiques locales incubées dans les 9 dispositifs de ce type que l’on trouve aujourd’hui à Londres. Mais ceci pourrait également permettre en retour aux start-up londoniennes d’accéder à des interactions et à une visibilité mondiale. Un couplage local-global qui est là encore un principe bien connu du cycle de vie des clusters(3) .
Raphaël SUIRE, « Stratégie de localisation des firmes du secteur TIC : du cyber-district au district lisière », Géographie, Économie, Société, 5, 2003, p.379-397 ; Yan DALLA PRIA, Jérôme VICENTE, « Processus mimétiques et identité collective : gloire et déclin du Silicon Sentier », Revue Française de Sociologie, 47, 2006, p.293-317.