Google Play, App Store : comment se forment les succès du jeu mobile ?

Google Play, App Store : comment se forment les succès du jeu mobile ?

Les jeux mobiles représentent les applications les plus téléchargées sur le Google Play Store et l’Apple App Store : quels sont les mécanismes qui rendent les jeux rentables ?

Temps de lecture : 8 min

Entre la mainmise de quelque gros éditeurs internationaux et le succès fulgurant d’amateurs devenus millionnaires, qui sont ceux qui profitent le plus de la prospérité du marché des mobiles ? L’évolution de la vente d’applications montre une prédominance évident des jeux mobiles, articles les plus téléchargés. C'est en s'intéressant aux tops des applis les plus populaires sur le Google Play Store et l’Apple App Store, à ceux qui les produisent et aux revenus qu’ils en tirent, qu'on comprend comment le téléchargement d’un jeu mobile permet de générer des revenus.

Google et Apple, un règne sans partage ?

Répartition des principaux systèmes d'exploitations mobiles dans le monde (Chiffres 2014, source gs.statcounter.com).


L’évolution du marché des smartphones et des ventes d’applis mobiles a dressé un constat sans appel : le marché est désormais ultra-dominé par les géants Google et Apple. Avec des marchés qui se composent différemment selon les zones géographiques (la percée de Windows Phone en Europe de l’Est et la persistance de Nokia en Afrique en sont autant de caractéristiques particulières), il reste néanmoins raisonnable d’envisager le marché global sous l’angle des deux acteurs majeurs qui le composent pour le moment.
 

L’étude de la répartition des systèmes d’exploitation n’est cependant qu’un préalable à l’étude des marchés d’applications, qui forment l’essentiel des bénéfices liés à l’explosion des smartphones. Il est désormais établi que les deux principaux magasins d’applications (le Google Play Store et l’Apple App Store) possèdent des caractéristiques différentes : alors que la plateforme de Google générait en 2012 75 % des téléchargements d’applications dans le monde(1) , l’Apple App Store reste plus rentable, avec des revenus par utilisateur nettement plus élevés.
 
La prédominance de ces deux acteurs comme plateforme de distribution ne doit cependant pas faire oublier qu’ils sont également impliqués dans la distribution de leurs propres applications. Un négoce dont Google sort gagnant, puisque contrairement à son concurrent Apple qui préfère réserver ses applications propriétaires aux appareils de la marque, Google distribue largement et gratuitement ses applications sur tous les appareils. Il n’est donc pas surprenant d’apprendre que Google est le plus gros éditeur d’applications (hormis les jeux) sur l’Apple App Store ! Et même si les applications Google sont habituellement gratuites et n’obligent pas l’utilisateur à effectuer de micro-transactions, la firme californienne a malgré tout intérêt à assurer la portée maximum de ses produits, garants de l’abondance de ses services comme de son image de marque.
Les dix éditeurs générant le plus de téléchargements sur l’Apple App Store au troisième trimestre 2014 (source distimo)

 

Les jeux et applications mobiles, des outils commerciaux de première importance

Les grandes marques globalisées n’ont pas tardé à investir le vaste marché des applications mobiles. Les marques du top 100 Interbrand global sont ainsi présentes à 92 % sur l’Appstore d’Apple, allant même jusqu’à proposer des centaines d’applications liées à tous leurs produits comme c’est le cas pour Sony et Disney(2) .
 
Il faut cependant garder à l’esprit que la quantité d’applications proposées ne garantit pas le succès et la rentabilité. Il est même raisonnable de supposer que les quelques 250 applications proposées par Disney sur les stores mobiles doivent être pour la plupart loin du seuil de rentabilité. Mais il ne faut pas ignorer tous les enjeux qui reposent sur la disponibilité massive d’applications, en termes d’image de marque, auprès des utilisateurs de mobiles. Tout comme Google et ses applications (et à la manière du géant Facebook, dont le rachat de Whatsapp ne dégage pour le moment aucun profit), les grandes marques se doivent de soutenir leur image et leurs différents produits par le biais privilégié que sont devenus les magasins d’applications.
 
Impossible cependant de considérer Disney, Sony et consorts comme les acteurs dominants du marché des applications mobiles. Si l’importance de leur production et leur notoriété leur permettent une bonne pénétration du marché (en touchant un grand nombre d’utilisateurs), le grand enjeu du marché des applications mobiles reste la capacité à concilier pénétration et rentabilité.
Top 10 des applications les plus téléchargées sur le Google Play Store au 3ème trimestre 2014, mis en relation avec leur position sur le classement des revenus (source Distimo).

La stratégie du gratuit au service de la pénétration du marché

Avec un développement historique très lié à celui d’Internet et du tout gratuit, les magasins d’applications mobiles ont institué le règne de la stratégie de pénétration du marché. L’ère des jeux et programmes pour ordinateurs vendus quelques dizaines d’euros a clairement démontré son inadaptabilité aux supports mobiles. La globalisation, ainsi que l’ouverture de la vente de jeux et applications à de nouveaux publics, a poussé les développeurs à réinventer des formes de commercialisation inédites.
 
Le modèle des applications gratuites est désormais la norme sur les magasins d’applications (même si l’App Store d’Apple est traditionnellement plus fourni en applications payantes que son homologue). Les micro-transactions optionnelles (achats in-app) représentaient ainsi 81 % des revenus de l’appstore américain en 2013.
 

Le premier enjeu des développeurs d’applications consiste aujourd’hui à proposer un produit attrayant avec le moins possible de barrières à l’entrée (d’où la domination du gratuit). Une fois le marché pénétré avec une application, vient ensuite la complexe phase de la rentabilisation. Car entre pénétration du marché et pérennisation d’un produit rentable, un gouffre se creuse, que de nombreux développeurs peinent aujourd’hui à franchir.

Acquisition d’utilisateurs et rentabilité

Le paradigme initial des magasins d’applications était avant tout basé sur le nombre de téléchargements que pouvait atteindre une appli (on se souviendra de la façon dont Angry Birds avait défrayé la chronique en 2012 en dépassant le milliard de téléchargements). Les applications gratuites financées par les revenus publicitaires ont fait les beaux jours des magasins d’applications dans un premier temps, pour laisser aujourd’hui place à une plus grande diversité.
 
Les revenus de la publicité restent un choix de qualité pour rentabiliser certaines applications gratuites (c’est ainsi que Dong Nguyen, créateur du jeu Flappy Birds, a déclaré atteindre des gains de 50 000 $ par jour uniquement grâce à la publicité). La vente directe des applications reste également une source de rentabilité pour certains développeurs (surtout sur les périphériques Apple), qui a l’avantage de ne pas nécessiter une pénétration aussi importante sur le marché, et donne ainsi la possibilité à certains éditeurs (comme le Japonais Squaresoft, qui parvient à des revenus mobiles honorables malgré des jeux vendus à 20 € ou plus) de se ménager une niche confortable. Une telle possibilité est cependant restreinte à de gros acteurs bénéficiant d’une notoriété suffisante pour convaincre un nombre conséquent d’utilisateurs d’acheter leurs produits.
 
Comme mentionné précédemment, le modèle des micro-transactions s’est imposé comme la norme pour rentabiliser les applications (en particulier les jeux qui forment l’essentiel des magasins virtuels). Mais la prédominance d’un tel modèle (dit « de la longue traîne »), qui nécessite un très grand nombre d’utilisateurs pour être rentable, n’a fait qu’augmenter les barrières à l’entrée pour les développeurs modestes. Pas de profits sans pénétration, et pas de pénétration sans puissance commerciale : c’est ainsi que le modèle de la longue traîne a peu à peu abandonné le marché des applications mobiles, qui semble aujourd’hui de plus en plus oligopolistique.
Composition du top 1 000 des téléchargements d’applications et du top 1 000 des applications les plus rentables, par catégories agrégées (source distimo)

La formation d’un marché oligopolistique

Les success-stories comme celle de Flappy Birds pourraient difficilement faire oublier la situation d’un marché où la puissance commerciale devient de plus en plus nécessaire au succès d’un produit. Les chiffres racontent de façon implacable comment les développeurs de petite taille ont peu d’espoir de percer sur le marché des applications mobiles.Plus de 50 % des développeurs d’applications généreraient moins de 500 $ de revenus par mois, tandis que seul 5 % d’entre eux dégagent des revenus supérieurs à 20 000 dollars par mois.
 
Si les barrières visibles à l’entrée du marché des applications restent faibles, la chance de réussite d’une application développée sans un puissant soutien marketing est quant à elle infime. Un simple coup d’œil à la liste des développeurs générant le plus de revenus sur le Play Store et l’App Store est suffisant pour voir qu’aucun développeur indépendant n’y figure, tandis que les Gameloft, Supercell et autres LINE s’y taillent la part du lion.
Nombre d’applications figurant dans le top 100 des revenus du Google Play Store nord-américain, par éditeur (source distimo.com).

Si le modèle de la longue traîne continue de profiter aux propriétaires des magasins d’applications qui peuvent proposer un ample catalogue, il est clair que les développeurs n’y trouvent pas leur compte. Un éditeur qui propose une application ne figurant pas dans les tops a peu de chances de réussir à rentabiliser son produit. Le règne de la gratuité ou des applications a moins de 5 € élève les seuils de rentabilité de façon vertigineuse, tandis que la nécessité de fournir de constantes mises à jours pour pérenniser la base des utilisateurs augmente le prix de maintien des jeux-service(3)
La principale barrière à l’entrée du marché des applications est actuellement l’obligation pour les développeurs de faire connaître leurs produits, la voie royale pour ce faire étant de figurer dans les listes top et featured des magasins d’applications.

Les tops et les recommandations sont le principal mode de découverte d’applications pour l’utilisateur du Google Play Store

Les magasins d’applications comme catalyseurs encore incontournables

Avec plus d’1,5 millions d’applications sur le Google Play Store, la visibilité est une donnée essentielle pour les développeurs qui souhaitent toucher leur public. C’est là que Google et Apple entrent à nouveau en jeu, avec les pratiques des listes et tops qui permettent aux utilisateurs de faire le tri.
 

C’est ainsi que les tops se sont imposés comme le lien privilégié entre l’utilisateur et la myriade d’applications qui composent les magasins virtuels. Les utilisateurs désireux d’essayer de nouvelles applications se rendent ainsi sur les listes hebdomadaires regroupant les applications les plus téléchargées (top free), les plus achetées (top paid) ou les plus rentables (top grossing). Un mode de communication paradoxal, puisque figurer parmi les tops implique d’avoir fait suffisamment connaître son produit pour enclencher un cercle de croissance vertueux. Peu de moyens existent pour forcer la chance et figurer dans les tops de magasins d’applications, à moins de se résoudre à l’utilisation de spambots, des programmes qui iront télécharger massivement les applications afin de faire grimper leur classement de manière artificielle.
 
L’ultime recours des développeurs reste les catégories featured. Google et Apple mettent régulièrement des applications en avant sur leurs magasins virtuels. Il s’agit de populariser, à intervalles réguliers, différentes catégories d’applications selon une sélection éditoriale faite par les magasins eux-mêmes. « Jeux d’aventure », « applications de fitness » sont autant de catégories qui servent à mettre en avant des applications (qui obtiennent une exposition salutaire, avec des performances de téléchargement pouvant augmenter de 500 %). Mais si la puissance commerciale d’un développeur n’est pas un critère pour être retenu dans les applications featured, le choix ne s’effectue qu’à la discrétion de Google et Apple, augmentant une dépendance déjà avérée.

Les 10 éditeurs générant le plus de revenus sur le Google Play Store au troisième trimestre 2014 (source distimo)

Qui tire son épingle du jeu ?

Qui est sorti gagnant de l’explosion des magasins d’applications mobiles ? Le discours médiatique fait la part belle au rêve d’ascension pour les petits développeurs, qui y trouveraient un espace libre et dénué de barrières à l’entrée, où seuls triompheraient ceux qui sauraient le mieux s’adapter aux attentes de leur public. Si bien des exemples semblent corroborer cette image d’Épinal (comme le succès fulgurant de Flappy Birds du jeune développeur vietnamien Dong Nguyen), force est de constater que les barrières à l’entrée semblent s’élever toujours plus hautes pour qui voudrait percer sur le marché des applications mobiles. Le rejet du public pour les applications payantes, la nécessité de s’imposer auprès d’une très large audience pour rentabiliser une application gratuite (qu’elle se finance sur les revenus publicitaires ou sur les micro-transactions) contribuent à la normalisation d’une taille critique minimale pour les développeurs.
 

Les quelques éditeurs de jeux qui ont su s’adapter avec brio aux règles du marché (Gameloft, Supercell, LINE, etc.) se partagent aujourd’hui le haut du podium de la rentabilité. Il serait cependant trompeur de résumer l’ascension permise par le marché florissant des applications mobiles à ces quelques éditeurs devenus imposants. Car pour intégrer l’Apple App Store ou le Google Play Store, encore faut-il s’acquitter des droits d’entrée – certes modestes - exigés par ces derniers (respectivement 25 $ et 99 $ par an), et surtout garder à l’esprit la commission de 30 % retenue par Google et Apple sur tous les revenus perçus par les développeurs grâce à leurs applications. Si l’on y ajoute l’immense bénéfice retiré par Google et Apple en matière de vente de matériel ou de système d’exploitation, ainsi que l’éradication systématique des circuits de distribution alternatifs sur leurs systèmes d’exploitation, l’on peut peut-être nommer les grands vainqueurs de cette nouvelle donne, de cetteterre promise du mobile qui, après avoir redistribué les cartes un temps, semble revenir à la normalité d’un marché oligopolistique où seuls les plus puissants peuvent tirer leur épingle du jeu.


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Crédit photo
Jon Russel / Flickr.

    (1)

    Novembre 2012.

    (2)

    Anne HEZEMANS, « Global Brands in the Mobile Landscape », Distimo, octobre 2013.

    (3)

    On parle de jeu-service lorsque l’éditeur ne commercialise pas un produit fini, mais un jeu qui évolue avec le temps ">(3).
     

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