Le sujet de la fin de vie à la télévision - illustration Camille Deschiens

Le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie est débattu par les députés à partir du 27 mai 2024. Le sujet connaît épisodiquement des pics de médiatisation. 

© Illustration : Camille Deschiens

La fin de vie : quelle place sur nos écrans depuis trente ans ?

INFOGRAPHIES. La France ouvre un nouveau chapitre législatif sur la fin de vie, à partir de ce 27 mai. Quelle place accordent les médias à ce sujet sensible ? Décryptage en données et en archives de trois temps forts médiatiques.

Temps de lecture : 8 min

« Euthanasie », « soins palliatifs », « suicide assisté »… Comment parle-t-on de la fin de vie à la télévision, et avec quelle fréquence ? Depuis 1995, les journaux télévisés du soir de TF1, France 2, France 3, Canal+, Arte et M6 ont abordé cette thématique 1 076 fois (voir méthodologie en bas de l’article). Autrement dit, chaque chaîne s’est penchée sur cette question dans ses journaux du soir en moyenne six fois par an.

Trois années sont marquées par une couverture plus forte que toutes les autres : 2003 (132 éléments cumulés dans les JT des différentes chaînes), 2014 (113 éléments) et 2008 (89 éléments). À elles seules, ces années représentent 31 % de la médiatisation de la fin de vie. Philippe Bataille, sociologue et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, estime que « ces pics d’attention médiatique traduisent l’expression collective, solidaire, attentive qui s’exprime autour de situations très spécifiques mettant en cause la dimension transgressive qui est posée à tout le monde : l’interdiction de tuer et de se tuer ».

Parmi les mois où la thématique de la fin de vie a particulièrement été médiatisée, on retrouve janvier 2003 (42 éléments), mars 2008 (48 éléments) et juin 2014 (46 éléments). Mois au premier rang desquels on retrouve la couverture de grands procès.

En janvier 2003, sur les chaînes étudiées, 79 % des éléments traitant de la fin de vie étaient consacrés au procès de Christine Malèvre. Surnommée à l’époque « la madone de l’euthanasie », cette infirmière était soupçonnée d’avoir mis fin à la vie d’une trentaine de patients en phase terminale.

Le 31 janvier 2003, elle avait été condamnée à dix ans de réclusion criminelle pour l’assassinat de six patients. « Peut-être peut-on commencer enfin le débat de l’euthanasie », estimait Benoit Chabert, avocat des parties civiles, à la suite de ce verdict. Lors de son procès en appel, en octobre 2003, la peine de Christine Malèvre sera alourdie.

Juin 2014 est le deuxième mois médiatisant le plus le sujet de la fin de vie. À l’époque, l’acquittement du docteur Bonnemaison par la cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques occupe 46 % de l’antenne consacrée à cette thématique. Jugé pour avoir abrégé la vie de sept de ses patients, le médecin urgentiste avait assumé ses actes. Il risquait la réclusion criminelle à perpétuité. Son avocat souhaitait que l’affaire de son client incarne la « justice qui montre le chemin à la loi ». Il est acquitté en première instance. Cette décision avait donné lieu à une ovation dans la salle des pas perdus du tribunal, comme le montre cette archive.

En 2015, le docteur Bonnemaison est finalement condamné en appel à deux ans de prison avec sursis pour avoir donné la mort à une patiente incurable et dans le coma.

Depuis 1995, 28 % des éléments de JT sur la fin de vie étaient traités dans les six premiers éléments du journal. Dans un peu plus de la moitié de ces cas traités en début de journal, il était question d’un enjeu judiciaire. Pour Philippe Bataille, ce chiffre montre l’intérêt pour la « dramaturgie » et la dimension « spectaculaire » inhérentes aux affaires qui se jouent devant les tribunaux.

Des drames personnels et familiaux ont aussi joué un rôle important dans la médiatisation de la fin de vie. En mars 2008, 73 % des éléments sur la fin de vie diffusés dans les JT sont ainsi consacrés à Chantal Sébire, une enseignante retraitée qui a mis fin à ses jours à son domicile après le refus de sa demande d’euthanasie par le tribunal d’instance de Dijon. Elle souffrait d’une forme rare et incurable de tumeur au visage et avait médiatisé son histoire pour servir la cause de l’aide à mourir. Elle témoignait sur France 2 un mois avant son décès.

Autre figure du combat pour l’évolution de la loi : Vincent Lambert. En juin 2014, la question de l’arrêt de ses soins occupe 43 % des éléments consacrés à la fin de vie. Victime d’un grave accident de la route en 2008, ce jeune infirmier de 32 ans reste dans un état végétatif jusqu’à sa mort le 11 juillet 2019.

Pour Philippe Bataille, qui a fréquenté des comités d’éthique à la suite de saisines d’hôpitaux, de familles ou de patients eux-mêmes, ces dates correspondant aux pics médiatiques sont « très incarnées autour de figures spécifiques ». Il observe ainsi que « les religieux, les soignants, les associations ou les proches, comme dans l’affaire Vincent Lambert par exemple, interviennent tous au même titre : celui d’acteurs du débat sur la fin de vie ».

Pour le sociologue, ces sujets exercent une tension sur « l’arc entre l’individu et la société qui lui donne ou pas l’autorisation de mourir, de se tuer ou d’être aidé à mourir ». Mais il considère que « les médias n’apportent rien à ceux qui mènent un combat pour être aidés à mourir ou aider l’un des leurs. Ils ne servent pas forcément la cause des plus désespérés, car le contexte de ces affaires est loin de nourrir une position radicale : pour ou contre. »

La convention citoyenne, bien placée dans les JT

Plus récemment, le débat sur la fin de vie s’est incarné dans le travail de 184 Français tirés au sort pour participer à la convention citoyenne sur la fin de vie à la demande d’Emmanuel Macron. Le 2 avril 2023, après plusieurs mois de débats et d’auditions de chercheurs, de soignants et de religieux, elle a rendu son rapport en se prononçant à plus de 75 % en faveur d'une aide active à mourir sous conditions.

Pour Claire Thoury, présidente de la convention citoyenne, spécialiste des questions d’engagement et présidente du Mouvement associatif, ce moment a été « une leçon de démocratie ». Au-delà de la production d’une « réponse exigeante de manière extrêmement apaisée », elle salue la position défendue par la convention citoyenne « qui impose la nuance et n’alimente pas les polarisations. »

Alors qu’il ne s’étale que sur cinq mois (décembre 2022 à avril 2023), le travail de la convention citoyenne est diffusé en bonne place dans les JT. Entre 2022 et 2023, il représente plus d’un tiers des éléments de JT sur la fin de vie. 36 % étaient dans les six premiers éléments diffusés à l’antenne.

Bien que Claire Thoury ne pense pas que la médiatisation du sujet de la fin de vie ait influencé la qualité des débats en interne de la convention citoyenne, elle concède que ses membres « ont parfois trouvé que le sujet n’était pas assez traité ou que les médias n’étaient pas assez fidèles à ce qu’ils étaient en train de dire, ou qu’ils ne rendaient pas suffisamment visible ce que les lois permettent déjà, comme les directives anticipées, par exemple ». Elle regrette aussi que les termes du débat sur la fin de vie n’aient pas été suffisamment expliqués par les médias : « On parle d’euthanasie, de suicide assisté comme si c’était une évidence, sauf qu’il y a plein de gens qui ne font pas la différence. »

« Laisser le temps au public »

Cet attachement au traitement médiatique de la fin de vie se retrouve également chez les téléspectateurs. Jérôme Cathala, médiateur de France Télévisions, est régulièrement saisi à propos de sujets de JT empathiques ou de sujets comparatifs qui abordent ce qui existe en la matière ailleurs dans le monde. « Ce qui est reproché, c’est que ce genre de reportage serait une façon d’occulter le débat et d’avoir un parti pris en faveur d’une loi sur l’euthanasie », explique-t-il.

Mais c’est concernant les programmes qu’il reçoit le plus de réactions. Il se souvient surtout de courriers reçus en octobre 2023, à la suite d’une soirée continue sur la fin de vie qui diffusait le téléfilm « Le Prochain Voyage », un débat et le documentaire « Fin de vie : pour que tu aies le choix » de Magali Cotard et Marina Carrère d’Encausse. Face aux réactions parfois épidermiques de ceux qui lui écrivent, il adopte toujours la même position : « Objectiver les choses en expliquant que l’on ne fait pas de matraquage en termes de quantité d’éléments diffusés dans un sens ou dans un autre. »

Philippe Bataille abonde en ce sens en rappelant que ces sujets sont également des « objets de pédagogie » et que le public est « extrêmement attentif et réflexif concernant les sujets sur la fin de vie ». Une identification qui est aussi selon lui l’une des raisons pour lesquelles « le sujet n’est pas médiatisé de façon si répétitive que ça, pour laisser le temps au public de s’approprier le sujet et de réfléchir sur le temps long ».

Méthodologie

Avec l’aide de la direction des Patrimoines de l’INA, nous avons rassemblé un corpus de 1 076 sujets entre 1995 (date du début du dépôt légal) et 2023 pour les JT du soir des chaînes TF1, France 2, France 3, M6, Arte et Canal+. Il est à noter que la chaîne Canal+ réalise son dernier JT le 22 juin 2018. France 3 a quant à elle cessé son édition nationale à partir du 3 septembre 2023.

Ce corpus a été constitué en interrogeant nos bases sur les mots-clés suivants : « euthanasie », « soins palliatifs », « acharnement thérapeutique », « suicide assisté », « fin de vie », « sédation », « accompagnement fin de vie », « directive anticipée », « aide active à mourir » et « aide à mourir ». Sans se limiter au strict sujet sur l’euthanasie, ce corpus permet de donner une idée de la couverture médiatique des sujets autour de la thématique de la fin de vie. Les chiffres présentés ici sont donc à prendre comme des indicateurs de tendance.

Ces mots-clés ont permis de réaliser une étude des thématiques abordées dans les notices des reportages, des brèves et des plateaux dans les limites du vocabulaire normé, employé par les documentalistes de l’INA, pour renseigner le contenu de ces matériaux. La thématique justice et affaires judiciaires (460 éléments) a ainsi été considérée comme ayant été abordée dans tous les éléments contenant au moins un des termes suivants : « justice », « procès », « avocat », « jugement », « judiciaire », « mise en examen », « tribunal », « juge », « condamnation », « non-lieu », « acquittement »…

Nous avons fait le choix de nous concentrer sur les mois médiatisant le plus la thématique. Mais à l’échelle du corpus total, la couverture de l’affaire Vincent Lambert représente 12 % des éléments, l’affaire Vincent Humbert 9 %, celle du docteur Bonnemaison 7 %, celle de Christine Malèvre 5 %, Chantal Sébire 4 % et Chantal Chanel 0,4 %.

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