La K-pop, phénomène musical coréen

La K-pop, phénomène musical coréen

La K-pop déborde aujourd'hui largement les frontières de la Corée du Sud. Retour sur ce genre musical au service du soft power coréen.

Temps de lecture : 19 min

Début 2012, aux États-Unis, le groupe sud-coréen Girls' Generation était l’invité des talk-shows Late Show with David Letterman et Live! with Kelly. Venu présenter sa nouvelle chanson « The Boys », Girls Generation est ainsi devenu le tout premier groupe sud-coréen à se produire sur un talk-show télévisé américain.


 

Quelques jours plus tard, un téléfilm sur le groupe coréen Wonder Girls était diffusé sur la chaîne TeenNick. L’engouement pour la K-pop ne se limite pas à l’Amérique du Nord : en 2010, des groupes du label SM Entertainment se sont lancés dans une tournée mondiale de la Chine aux États-Unis en passant par la France(1). Récemment, le très sérieux journal d’affaires japonais Nikkei a même qualifié le genre musical de « Prochain Samsung. »
 
Grace à des stratégies marketing innovantes et des campagnes promotionnelles rigoureusement planifiées, la musique pop sud-coréenne – ou K-pop – semble être en train d’infiltrer les marchés occidentaux et le reste du monde. Qu’est-ce que la K-pop ? Comment peut-on expliquer l’engouement dont elle fait l’objet ? Quelles stratégies son succès révèle-t-il ?

La K-pop : une production culturelle standardisée dominée par les « big 3 »

 

 La K-pop est à la fois une musique de synthèse accompagnée de chorégraphies calibrées au millimètre, portée par des chanteurs séduisants à la pointe de la mode, et un produit culturel très standardisé
Dire de la K-pop qu’il s’agit juste de pop sud-coréenne serait réducteur : la K-pop est à la fois une musique de synthèse accompagnée de chorégraphies calibrées au millimètre, portée par des chanteurs séduisants à la pointe de la mode, et un produit culturel très standardisé.
 
La musique en soi est une sorte de pop épurée avec des influences électro, disco, hip-hop, R&B, voire rock. Ce genre musical semble être l’apanage des groupes plutôt que des artistes solos : la taille moyenne d’un groupe de K-pop est précisément de 4,47 membres pour les groupes masculins, et de 4,21 membres pour les groupes féminins. Si la plupart des chansons sont en coréen, certains mots des refrains répétitifs sont parfois en anglais permettant ainsi d’ajouter une touche internationale à la chanson. Inclure un passage rap est également à la mode.
 
La K-pop emprunte beaucoup à la culture pop japonaise et à la musique pop américaine de la fin des années 1990 – Britney Spears et consort – : ces charmants artistes coréens dégagent une certain innocence, mais ont des personnalités plus marquées que leurs homologues japonais. Et bien que parfois sensuelles, les stars de la K-pop – surnommées les idoles – n’atteignent pas le niveau de provocation des pop stars américaines, s’assurant par là même une entrée sur les marchés asiatiques conservateurs.

La K-pop fait partie intégrante de ce que l’on surnomme la vague coréenne, ou « hallyu ». Cette appellation caractérise la diffusion de la culture sud-coréenne du divertissement – séries télévisées, films, musique – hors des frontières du pays du matin calme. Le commencement de la vague coréenne remonte en Asie aux années 1990. Celle-ci s’est ensuite étendue au reste du monde d’abord par le biais des séries télévisées coréennes, puis par la K-pop.

Au milieu des années 1990, Kim Young-Sam, le président sud-coréen de l’époque, lit dans un rapport que les revenus liés à l’exportation du film Jurassic Park de Steven Spielberg ont représenté l’équivalent de l’exportation de pas moins de 1,5 millions de voitures Hyundai. Il n’en a pas fallu moins pour que le gouvernement identifie l’industrie culturelle comme futur moteur de croissance de l’économie du pays. De nombreuses agences de recherche gouvernementales ont alors été créées, et des projets ont été subventionnés afin de trouver des moyens de dynamiser l’industrie culturelle de la nation.
 
 La diffusion de la culture sud-coréenne a commencé avec les dramas  
Dans un premier temps, la diffusion de la culture sud-coréenne a débuté avec les dramas – les séries télés locales – , qui sont devenus populaires en Asie. L’engouement pour les dramas s’est ensuite progressivement propagé au reste du monde, notamment grâce à Internet qui a permis à d’autres pays de découvrir ces échantillons de culture coréenne, mais aussi d’avoir un premier aperçu de la K-pop. La musique est une part prédominante des dramas, et les chansons phares des séries sont généralement répétées plusieurs fois au cours des épisodes. Ce fut le cas par exemple de la chanson Stand By Me, du groupe SHINee dans le drama Boys Over Flowers.  
 
Quelles sont les spécificités de ce genre musical qui lui permettent de passer de la Corée au talk-show de Letterman ? La réponse à ces questions est peut-être à chercher du côté des maisons de disques sud-coréennes, dont le rôle est capital dans le développement de la K-pop.

Les trois acteurs principaux de l’industrie de la K-pop en Corée sont les maisons de disques – appelées localement ‘agences de talents’- SM Entertainment, YG Entertainment et JYP Entertainment. Ces labels sont généralement appelés les « Big 3 », de par la position dominante qu’elles occupent sur ce secteur d’activités, et de par leur effort pour pénétrer les marchés étrangers.
 
Chaque agence a son propre style et se focalise sur un genre musical en particulier : YG produit majoritairement de la K-pop aux accents Hip-Hop et R&B, SM se spécialise dans la pop et la dance, et JYP mélange R&B, dance et pop.

YG Entertainment a été fondé par Yang Hyun-Suk, ancien membre de Seo Taiji & Boys, un boys band R&B des années 1990. Parmi les groupes phares de la compagnie, on trouve Big Bang, 2NE1, Seven ou PSY.
 
 
2NE1
 
La société a conclu de nombreux partenariats à travers le monde avec des labels étrangers, permettant ainsi de produire les artistes en Chine, au Japon, en Thaïlande ou aux Philippines. Au premier semestre 2012, les revenus de YG Entertainment s’élevaient à 17,8 milliards de Wons (environ 15,1 millions $).
 
Fondé en 1995, S.M. Entertainment compte parmi ses artistes la chanteuse solo BoA, les boys bands TVXQ(2), Super Junior(3), SHINee(4) et les girls-band Girls' Generation(5) ou f(x)(6). Pour le premier trimestre 2012, le chiffre d’affaires de SM Entertainement s’est élevé à 38,4 milliards de Wons (environ 32,6 millions $), soit une hausse de 198,71 % par rapport à la même période de l’année précédente.
 
 
Super Junior


À la même période, le label JYPEntertainment n’a pour sa part enregistré qu’un chiffre d’affaires de 1,1 milliards de Wons (environ 934 000 $). Cet écart s’explique par le fait que la plupart des artistes populaires de l’agence sont signés sur des filiales de JYP. Le fondateur et PDG de la compagnie est le chanteur /producteur/compositeur/ personnalité Park Jin Young. Autrefois, JYP Entertainment hébergeait des artistes comme Rain et G.O.D. C’est maintenant le label des groupes Wonder Girls, 2AM et 2PM. L’agence a été particulièrement active dans ses tentatives d’expansion à l’international, notamment aux États-Unis. Une branche américaine a été ouverte dès 2007, une chinoise en 2008, et une japonaise en 2010.
 
En 2011 les Big 3 se sont associés avec les labels KeyEast, AMENT et Star J Entertainment pour former United Asia Management, une agence globale visant à développer et promouvoir la musique pop coréenne au niveau mondial.

Auditions et entraînement militaire : le processus de fabrication des stars

 

Ces agences sont en charge de la totalité du processus de « fabrication » des stars de K-pop. C’est un processus méticuleux et bien rodé, qui va des castings à l’entraînement, en passant par la production des performances et la promotion à l’international.
 
Chaque artiste K-pop est passé par une étape de sélections draconiennes, et par l’obligatoire phase d’entrainement dirigé par une batterie d’experts. Les premières sélections se font par le biais d’auditions, et les futurs étudiants sont recrutés à travers le monde entier. Ces sélections peuvent se faire par le biais d’auditions publiques, via Internet, ou suite à la recommandation d’une star. Des auditions publiques sont par exemple organisées par le label JYP Entertainment tous les premiers et troisièmes dimanches de chaque mois. Outre leurs compétences en chant et en danse, d’autres critères sont pris en compte dans le processus de sélection comme la motivation ou la « star quality ».

Des auditions de grande envergure sont également régulièrement organisées par les maisons de disques, ceci dans divers pays. SM Entertainment organisait cet été la « 2012 SM Youth Star Audition » dans 12 villes de 7 pays (Corée, États-Unis, Chine, Japon, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande).

Pendant ces auditions internationales, parmi les 10 000 prétendants initiaux, seuls quelques dizaines arrivent généralement jusqu’à la finale, et seulement une poignée seront effectivement sélectionnés pour l’entraînement.
 
Mais la sélection n’est que la première étape, le véritable challenge étant l’entraînement. Si le talent est une chose, le travail acharné est un prérequis indispensable à tout étudiant. Seuls les meilleurs seront autorisés à débuter en tant qu’artistes, et rien n’est laissé au hasard. Chaque aspirant doit suivre des cours de danse, de chant, de comédie, de développement personnel, d’entraînement physique – et même des cours de langues étrangères, censés leur permettre de se préparer à une carrière en Corée, mais aussi à l’international. Le but est d’en faire des «  multi-purpose stars », capable de chanter, danser, jouer dans des dramas, et être mannequins.
 
Cette période d’entrainement représente un investissement considérable pour les maisons de disques, qui en assurent la totalité du coût : chez SM Entertainment, « fabriquer » un artiste revient entre 2,5 et 5 millions $. Par exemple, l’entraînement de chaque membre du girls band Girls’ Generation coûtait ainsi près de 2,5 millions $.
 
La longueur de ces périodes d’entrainement peut varier. Elles s’étalent généralement sur 3 à 5 ans, mais peuvent parfois prendre plus de temps comme dans le cas de TVXQ, dont les membres ont dû s’entrainer pendant 7 ans avant d’être autorisés à débuter.
 
Ces préadolescents sont généralement logés ensemble, et doivent s’entraîner entre 10 et 12 heures par jour, entre 6 et 7 jours par semaine. En plus de cet emploi du temps surchargé, ils doivent mener leur scolarité.
 
Le play-back n’étant pas une option envisageable pour ces artistes, chaque performance se doit d’être parfaitement exécutée. D’autre part, cette période d’entraînement permet aux agences de voir si les étudiants montrent suffisamment de motivation, et de maturité, pour mener une vie d’idole.
 
L’image des artistes est également minutieusement conçue par les maisons de disque, et il n’est pas inhabituel qu’il soit demandé aux aspirants chanteurs d’améliorer leur physique par le biais d’opérations de chirurgie esthétique ou de régimes lourds, tout ceci dans le but d’être plus attrayant commercialement parlant. Il est de plus souvent interdit pour ces étudiants d’avoir des relations sentimentales pendant la totalité de la durée de leur entraînement, afin que ceux-ci soient totalement concentrés sur leur formation.
 
Les membres d’un groupe essayent de se différencier les uns des autres, en mettant en avant leurs spécificités et leur personnalité, et chaque membre à son propre fan club. Les agences les encouragent cependant à se mesurer les uns aux autres, afin d’avoir l’honneur de devenir le leader du groupe (celui qui danse à la tête de la formation). Tout est mis en œuvre pour que ces jeunes deviennent de véritables professionnels.
 
Cependant, être étudiant ne garantit en aucun cas d’être autorisé à débuter, et afin de maintenir un esprit de compétition entre les aspirants, des représentations sont régulièrement organisées devant les responsables des maisons de disque. Ces évaluations périodiques permettent de mettre en avant les faiblesses et les forces de chaque étudiant, et si l’un d’entre eux s’avère être à la traîne, il est vite remplacé – les adolescents coréens se bousculent pour avoir l’opportunité de s’entraîner.
 
 "L'entraînement est un coupe gorge"
D’après Jay Park, un ancien membre du groupe 2PM, l’entraînement est « un coupe gorge. Vous avez un tas de personnes qui veulent débuter, et vous ne savez pas qui va réussir et qui va être choisi. Vous pouvez être placé [dans un groupe], mais [les responsables de l’agence] peuvent ensuite décider qu’un autre conviendrait mieux, et ils font l’échange. Vous devez perpétuellement être à votre maximum ».

Parfois, les étudiants rejetés par certaines agences sont repêchés par des agences concurrentes pour être placés dans un autre groupe – c’est par exemple le cas des membres du groupe BEAST -, mais la plupart ne sont pas aussi chanceux.
 
Lorsque les labels estiment que l’entraînement touche à sa fin, un « partenariat » est proposé aux artistes, c'est-à-dire un contrat qui peut durer une quinzaine d’années. Cela est particulièrement difficile à gérer dans le cas des boys bands, car en Corée tous les hommes doivent passer par deux années de service militaire obligatoire entre 18 et 27 ans.
 
La quantité des devoirs et règles auxquels doivent se plier les artistes, ainsi que la durée des obligations contractuelles ont également été largement critiquées. Les contrats des artistes sont d’ailleurs souvent appelés des « contrats d’esclave ».

La K-pop à la conquête du monde ?

 

 BoA est la première artiste sud-coréenne à avoir fait son entrée sur le classement japonais Oricon
En 2003, lors de la première diffusion du drama Winter Sonata à la télévision japonaise, la série télé a remporté un succès aussi surprenant que foudroyant. La même année, la “Reine de la K-Pop” BoA a fait son entrée sur le marché japonais. Alors qu’elle jouissait à l’époque d’un succès modéré en Corée, sa popularité au Japon a été immédiate. Elle est d’ailleurs la première artiste sud-coréenne à avoir fait son entrée sur le classement japonais Oricon. Et bien que BoA ait été présentée comme une chanteuse de J-pop – la pop japonaise -, son succès au pays du soleil levant a permis d’ouvrir la voie à d’autres idoles coréennes.
 
 
La chanteuse BoA
 
Depuis lors, la K-pop concurrence la J-Pop sur son propre marché. Des groupes coréens comme KARA ou Girls' Generation remportent un franc succès au Japon, et sont des habitués des émissions de télévision locales depuis 2010. Les deux groupes ont, de plus, enregistré des chansons exclusives en japonais, spécifiquement pour ce marché.
 
Le succès de la K-pop au Japon est en grande partie dû au fait que la K-pop, tout en s’appuyant sur des codes de la J-pop, tire ses influences de la musique occidentale. Le sex-appeal des artistes coréens est également un changement apprécié par rapport à l’image éculée des innocentes stars de J-pop.
 
En Corée du Sud, la K-pop représenterait 80% du marché national(7). Mais avec une population de seulement 48 millions d’habitants, le marché domestique de la Corée  reste un marché limité, d’où la nécessité pour les groupes de K-pop de s’exporter. À l’inverse, le Japon est le second marché musical au monde après les États-Unis, et la vaste majorité des ventes à l’étranger des albums de K-pop y sont d’ailleurs réalisées. En 2008, le Japon représentait 68% des exports de l’industrie musicale coréenne, contre respectivement 11,2 % et 2,1 % pour la Chine et les États-Unis.
 
Ces dernières années, afin de dynamiser la popularité de la K-pop dans d’autres pays que le Japon, une attention toute particulière a été portée sur les performances live à l’étranger. Les labels coréens se tournent plus particulièrement vers l’Europe et les États-Unis.

En 2008, la chanteuse solo BoA est devenue la première artiste K-pop à tenter d’entrer sur le marché américain. Un album en anglais – contenant même un remix avec Flo Rida - a été lancé. Cependant, avec seulement 8 000 unités écoulées, l’album s’est avéré être un fiasco monumental, ce qui a vite poussé la star à se recentrer sur les marchés coréens et japonais.

Début 2009, le girls band coréen Wonder Girls s’en est mieux sorti. En mars 2009, le groupe américain Jonas Brothers annonçait que la première partie de sa tournée américaine serait assurée par le groupe K-pop, et dans la foulée, Wonder Girls est devenu le premier groupe sud-coréen à faire son entrée sur le célèbre classement American Billboard Hot 100 Chart, avec son single anglais “Nobody”.
 
« Nobody », de Wonder Girls

En 2011, le girls band s’est également produit au 40e anniversaire de Earth Wind & Fire. Plus récemment, d’autres girls band féminins comme Girl’s Generation et 2NE1 ont tenté de faire leur entrée sur le compétitif marché américain, en s’assurant généralement le soutien de stars locales. Le rappeur américain Snoop Dog a ainsi participé au remix de la chanson « The Boys » des Girls’ Generation, et Will.i.am des Black Eyed Peas a apporté son soutien au groupe 2NE1 pour leur premier album sur le marché US.
 
 Dès la conception d'un groupe, les maisons de disque coréennes visent le marché international 
Dès la conception d’un groupe, les maisons de disque coréennes visent le marché international : des compositeurs, chorégraphes et stylistes étrangers sont engagés, et les étudiants doivent apprendre des langues étrangères dans le cadre de leur entrainement.

Des albums spéciaux et des chansons exclusives sont également enregistrés dans les langues locales des pays visés. Le girls-band Wonder Girls a par exemple récemment collaboré avec le chanteur américain Akon sur la chanson « Like Money », formatée pour l’Amérique du Nord. Le pendant négatif de cette adaptation aux marchés locaux est que les groupes de Kpop en viennent presque à perdre leur identité et leur singularité nationale, pour se fondre dans la masse. « Like Money » en est un exemple flagrant, la chanson n’ayant rien de particulièrement coréen.
 

« Like Money », de Wonder Girls
 
Toujours dans l’optique de s’affranchir des barrières culturelles et de faciliter l’entrée sur les marchés étrangers, il est courant que les groupes incluent des membres d’origine autre que coréenne. Ceux-ci présentent l’avantage de maîtriser la langue et les codes culturels du pays visé. Cette technique marketing était déjà utilisée dans les années 1990 : certains groupes comptaient parmi leurs rangs des étrangers d’origine coréenne comme des coréens-américains ou des coréens du Japon.
 
Certaines chanteuses du groupe F(x) sont par exemple chinoises et taiwanaises-américaines, et des chanteuses de Miss A sont d’origine chinoise.
 
L’un des exemples les plus connus de cette formule est le succès sans précèdent en Thaïlande de Nichkhun, un chanteur du boys band 2PM. Né en Californie mais issu d’une famille chino-thailandaise, parlant couramment 5 langues, Nichkhun est considéré comme étant responsable de la modification de la manière dont les Coréens perçoivent la Thaïlande. Le chanteur a même été nommé Ambassadeur de bonne volonté de l’Autorité de Tourisme de Thaïlande.
 
«  Hands Up », de 2PM
 
Parfois, les membres d’un groupe sont séparés en fonction de leur nationalité afin de permettre aux agences de lancer un même groupe sur deux marchés simultanément. Les membres coréens sont par exemple en tournée dans leur pays, pendant que les membres d’origine chinoise s’attaquent au marché chinois. Le groupe ne se réunit alors que lors de représentations spéciales. C’est le cas du boys band Super Junior : « Super Junior M » s’occupe de la promotion en Chine en mandarin, pendant que « Super Junior J » et «  Super Junior K » s’occupe respectivement la promotion au Japon et en Corée.
 
Pour finir, les agences effectuent des partenariats avec des labels étrangers afin d’assurer la promotion des artistes à l’international. Par conséquent, dès le commencement de l’étape de production, le groupe est vu comme un produit, conçu pour un marché global : les productions des albums à l’étranger sont assurées par des labels du réseau, des compositeurs et des chorégraphes reconnus sur la scène internationale sont sollicités, des chansons sont réalisées exclusivement pour certains marchés, et des membres de nationalités diverses sont inclus dans les formations.

Les nouvelles technologies, une composante primordiale du phénomène K-pop

Le recours aux nouvelles technologies fait partie intégrante de la stratégie des maisons de disques pour promouvoir la vague coréenne. Les réseaux sociaux comme Youtube, Facebook or Twitter se sont révélés être des moyens particulièrement efficaces pour augmenter la popularité des stars de K-pop à l’étranger.

La Corée du Sud est l’un des pays les plus connectés au monde(8), et d’après l’International Federation of the Phonographic Industry, la scène musicale du pays a été durement impactée par le piratage. Les ventes de CD ont chuté de 70,7 % entre 2000 et 2007. L’industrie musicale du pays s’est alors concentrée sur la distribution numérique et les tournées. Aujourd’hui, les services numériques représentent 80 % des revenus de l’industrie musicale du pays, soit le pourcentage le plus élevé au monde.

Ces dernières années, les médias digitaux se sont particulièrement développés, tout comme l’utilisation des réseaux sociaux. Les labels ont alors commencé à se reposer sur Internet pour assurer aux groupes une exposition mondiale. L’utilisation des nouvelles technologies leur a permis de réduire de manière significative le temps et le coût liés au lancement d’un groupe sur les marchés étrangers.

Les idoles coréennes se servent également des réseaux sociaux pour communiquer avec leurs fans, et apparaître plus « proches » en partageant photos et vidéos de leur vie privée sur Facebook et sur YouTube - ceci souvent en live et de manière exclusive.

Les groupes peuvent être lancés entièrement en ligne, en proposant des contenus gratuits qui sont partagés massivement. Les réseaux sociaux permettent à la K-pop de toucher une audience plus large, et à certains groupes de devenir populaires dans des pays étrangers alors même qu’aucune opération promotionnelle n’a été organisée, comme l’illustre récemment le succès fulgurant du chanteur PSY avec « Gangnam Style », qui a bénéficié du bouche à oreilles via les réseaux sociaux Twitter et Facebook notamment. Le tube vient de dépasser les 200 millions de vues sur YouTube en un peu plus d’un mois, et la moitié de ces vues proviennent des États-Unis(9).  Portée par les réseaux sociaux, la chanson a fait son entrée dans les classements américains, et « Gangnam Style » a de plus été mentionnée par le Huffington Post, CNN, The Wall Street journal, ou encore le LA Times. Le Korea Times en a parlé comme du «  plus grand démarrage aux États-Unis de toute l’histoire de la musique sud-coréenne  ».
 

 
« Gnagnam Style », de Psy  

Fin 2011, YouTube a officiellement ajouté la K-pop à sa liste de genres musicaux, ce qui en fait le premier genre musical propre à un pays rajouté à cette liste. Les vidéos des groupes de K-pop les plus populaires y atteignent des dizaines de millions de vues. D’ après le journal coréen Hankook Ilbo, les vidéos de K-pop, début 2012, avaient été regardées plus de 23 milliards de fois.
   
Le genre musical K-pop bénéficie de plus d’une communauté en ligne de fans particulièrement actifs. Il s’agit de jeunes consommateurs, curieux, à l’aise avec les nouvelles technologies, et habitués aux medias sociaux dont ils savent se servir pour communiquer ou obtenir des informations.

Sur YouTube, les vidéos amateurs de fans de K-pop reprenant leurs chansons favorites ou imitant les pas de danse des idoles coréennes se multiplient. Sur Facebook, le groupe « Kpop France » qui regroupe les fans français de K-pop compte 12 000 membres, et le groupe chinois ‘Kpopn’ a lui plus de 720 000 membres – un chiffre d’ autant plus impressionnant que l’accès au réseau social est bloqué en Chine.

D’après un sondage réalisé par le Korean Culture and Information Service, on dénombre près de 460 000 fans de l’hallyu en Europe en 2011, concentrés majoritairement en France et au Royaume-Uni, et 182 fanclubs dédiés à l’hallyu comptabilisant 3,3 millions de membres. Et c’est une communauté de fans particulièrement bien organisée.

Durant les MTV European Music Awards de 2011, le groupe de K-pop Bigbang a créé la surprise en remportant le Best Worldwide Act Award, devançant Britney Spears avec plus de 58 millions de votes.
 
« Tonight », de Big Bang

D’après YG Entertainment, entre décembre 2010 et mai 2011, la chaîne YouTube de Big Bang a enregistré 5,8 millions de vues en Europe, avec la France, le Royaume-Uni et la Suède en tête de liste.

Lorsque des concerts de K-pop sont organisés en Europe et aux États-Unis, les places sont vendues en l’espace de quelques minutes, et les fans se tournent vers les médias sociaux pour l’organisation de flashmobs afin de demander que soient organisés des concerts supplémentaires. En 2010, des groupes du label SM Entertainment ont réalisé une tournée mondiale. Le « SMTown Live World Tour » s’est entre autre rendu à Paris, où les 7 000 tickets se sont vendus en 15 minutes. Les fans se sont alors organisés via Facebook, et un flashmob avait été organisé devant le Musée du Louvre. Un concert supplémentaire avait alors été programmé, et avait affiché complet 10 minutes après l’ouverture des ventes.

Alors que l’engouement pour la K-pop semble se propager d’un pays à un autre, le gouvernement coréen observe une augmentation des exportations liées aux contenus culturels.

La K-pop, nouvel instrument de la diplomatie douce

 

D’après la Bank of Korea, les exportations de services liées au secteur culturel et à l’industrie du divertissement – tels que les films, les dramas ou la K-pop – représentaient 794 millions $ (890 milliards de wons) en 2011, soit 25 % de plus qu’en 2010, 637 millions $ en 2010.(10). Il s’agit là du meilleur chiffre depuis l’ouverture des ventes à l’étranger en 1997.(11)
 
 
Pour CJ E&M, une autre société sud-coréenne de divertissement, les ventes de disques ne représentent que 40 % des revenus totaux de la compagnie. Les 60 % restants sont issus des produits dérivés. Le pourcentage limité des revenus issus de la vente de disques est l’une des raisons pour laquelle les agences se sont concentrées sur l’expansion à l’étranger.
 
D’après le Overseas Economic Research Institute, la popularité de la pop sud-coréenne à l’international a des retombées positives sur les exportations de biens de consommation made in Korea : une augmentation de100 $ des exportations de biens et services liés au secteurs du divertissement provoque une augmentation des exportations de biens de consommation du pays de 412 $. Cela signifie que la diffusion des contenus culturels coréens améliore l’image des produits coréens et en dynamise les ventes. Les stars K-pop sont donc régulièrement sollicitées pour faire la promotion de produits divers et variés : cela peut aller des derniers processeurs, aux restaurants de poulets frits. Les Girls Generation ont par exemple vanté les mérites des marques Intel, LG, Nintendo, Domino’s Pizza, Christian Dior, 7-Eleven ou Lipton. À elles neuf, elles génèrent un chiffre d’affaires de 50 millions $ par an. Le groupe 2NE1 fait actuellement la promotion des appareils photos Nikon. D’après Nikon Korea, depuis le lancement de la campagne de publicité, la société a décroché la seconde place du marché, juste derrière Samsung (23%).
 
 
 
« I am the Best », de 2NE1
 
 La K-pop est en train de devenir le nouvel outil de soft power de la Corée du Sud
Alors que la K-pop est en train de devenir le nouvel outil de soft power de la Corée du Sud, le succès de l’industrie du divertissement est en train de modifier la manière dont la Corée est perçue à l’étranger, favorisant ainsi le tourisme culturel.
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En 2011, le nombre de touristes étrangers en Corée avait augmenté de 32,1 % par rapport à l’année précédente, et d’après la Korea International Trade Association, 3 étrangers sur 4 déclarent acheter des produits made in Korea suite à une exposition à la culture coréenne. C’est pourquoi tout est mis en œuvre pour favoriser le tourisme liée à l’hallyu. La Korean Tourism Organization fait régulièrement appel à des groupes de K-pop pour vanter les attraits du pays en tant que destination touristique, et le ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme prévoit de dépenser 33,5 milliards de wons (environ 30 millions $) en 2012 pour la promotion de la culture coréenne
 
De plus, plusieurs agences touristiques coréennes, chinoises et japonaises se sont spécialisées dans les voyages organisés centrés sur le thème de la K-pop. Un musée de 8 000 mètres carrés dédié à l’hallyu a même été ouvert à l’aéroport international d’Incheon, à Séoul. De son côté, la maison de disque SM Entertainment a récemment acquis BT&I, l’une des plus grandes agences de voyage du pays(12).
 
Les bénéfices de la K-Pop se font sentir jusque dans la chirurgie esthétique : les cliniques commencent à voir un nombre de croissant de touristes venir dans le pays pour des opérations de chirurgie esthétique qui leur permettront de ressembler d’avantage à leur idole préférée.

La K-pop, une simple phase ?

 

Cela dit, en Corée les importations de biens culturels étrangers restent supérieures aux exportations de biens culturels sud-coréens. Ainsi, dans le secteur culturel, le pays affiche en 2011 un déficit de 224 millions $, en baisse de 42% par rapport à 2010(13). Il convient alors de se poser la question suivante : la K-pop est-elle en train d’envahir le monde ? Ou ne s’agit-il là que d’un phénomène favorisé par Internet et porté par une communauté de fans particulièrement actifs ?
 
L’émergence de fanclubs de K-pop à travers l’Europe, l’Amérique latine et le Moyen-Orient ainsi que le nombre de vues sur Youtube de certaines vidéos sont impressionnants, mais le genre musical n’est pas en train d’envahir le monde, à la manière de Madonna à son apogée ou de Lady Gaga dernièrement. La K-pop demeure pour le moment une tendance marginale à l’échelle mondiale, mais massive en Asie.

Le genre accuse d’autre part quelques faiblesses, qui pourraient à terme s’avérer problématiques. En premier lieu, au sein de cette industrie hautement compétitive et malgré un fonctionnement bien rodé, les maisons de disque ne sont pas immunisées contre le facteur d’imprévisibilité des réactions du public. Des années d’entraînement ne peuvent pas garantir que le public sera au rendez-vous une fois le lancement du groupe. Voir par exemple le récent succès de  PSY : le chanteur est à mille lieues des groupes comme Girls Generation ou Wonder Girls, spécifiquement formatés pour l’Amérique.
 
Ensuite, une quantité astronomique de nouveaux groupes inondent le marché chaque année, tous plus ou moins conçus sur le même moule, ce qui pourrait provoquer une lassitude du public. Par exemple, la plupart des tubes les plus connus du label JYP ont été composés par le directeur de la maison de disque, Park Jin Young lui-même. Fatalement, ces chansons sont relativement similaires sur le plan musical. Même au Japon, le public devient de plus en plus conscient de la saturation provoquée par le nombre élevé de groupes de K-pop qui se disputent le marché.
 
De plus, dans l’industrie K-pop, l’accent est clairement mis sur les mélodies entraînantes plutôt que sur les paroles, qui ne sont pas particulièrement élaborées. La phrase “Bo Peep Bo Peep” est par exemple répétée 110 fois dans la chanson du même nom du groupe T-ara(14). Dans cette industrie en constante évolution, le manque d’originalité et de diversité des tubes de K-pop pourrait finir par avoir des effets néfastes.
 
Pour finir, certaines agences sont extrêmement dépendantes d’un ou quelques groupes populaires. C’est par exemple le cas de YG Entertainment, dont le groupe Big Bang représentait en 2010 près de 70,11 % des revenus.
 
Enfin, en ce qui concerne l’Amérique du Nord, tout le monde n’est pas convaincu de la capacité de la K-pop à avoir du succès sur le sol américain (voir l’échec de BoA). D’après Morgan Carey, un consultant musical américain qui travaille avec des labels coréens depuis 2007, les participations à des talk-shows ou la présence au Billboard chart ont “une importance minime”. Selon lui, « pour infiltrer la culture pop américaine, il faut passer par la mode ou le cinéma ».
 
D’après un récent sondage réalisé par le ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme et par la Korea Foundation for International Culture Exchange (KOFICE), 60% des étrangers pensent que l’engouement pour la culture coréenne déclinera dans les prochaines années. La standardisation des contenus était la première raison avancée par les personnes interrogées.


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Le SMTown World Tour. 

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5 membres. 

(3)

Le groupe a atteint 13 membres à une certaine époque. 

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5 membres. 

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9 membres. 

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5 membres. 

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Frédéric MARTEL, Mainstream. Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Flammarion, 2010, p. 266.

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Le taux de pénétration Internet est de 76 %, et les connections sont parmi les plus rapides au monde. 

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Au 25 août, avec 50 millions de vues : 47 % proviennent des USA, 7 % du Royaume-Uni, 6,8 % du Canada et seulement 4 % de la Corée . 

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637 millions $ en 2010. 

(11)

eEn comparaison, ce chiffre atteignait 5 millions $ en 1997, et 268 millions $ en 2005. 

(12)

Renommée depuis SMTown Travel. 

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385 millions $ en 2010. 

(14)

La chanson dure 4 minutes. 

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