On ne peut pourtant nier que la liberté d’expression existe en Inde. Sur les réseaux sociaux, elle se montre florissante et souvent virulente.Le 24 mars 2015,
la Cour Suprême a invalidé la très controversée section 66A de l’Information Technology Act. Voté en 2008, cet amendement autorisait l’emprisonnement (jusqu’à 3 ans) de toute personne qui utiliserait les nouvelles technologies pour répandre des informations « insultantes … menaçantes … fausses … dans l’intention de mécontenter, déranger … ou insulter ». Une définition aussi vaste, et aussi vague, avait conduit à de nombreux excès, l’un des plus spectaculaires ayant été
l’arrestation et la condamnation de deux jeunes filles à 15 jours de prison pour un post Facebook et un like, lors du décès de Bal Thackeray, alors leader du parti d’extrême-droite indienne Shiv Sena. Dès lors que le sentiment communautaire ou religieux se sentait attaqué, il était possible pour la police d’arrêter tout auteur de sarcasme ou critique sur les réseaux sociaux. L’abolition de cette section, après un combat de 3 ans mené par une jeune étudiante en droit, a constitué une victoire éclatante pour les tenants de la liberté d’expression, à tel point que le gouvernement s’en inquiète. Le ministre de l’Information et des Telecommunications Arun Jaitlee notait
lors d’un récent discours qu’il n’existe plus sur internet aucun garde-fou, ce qui, dans une société où les susceptibilités sont exacerbées par le multiculturalisme et la diversité des religions, pourrait menacer l’harmonie sociale. D’après le
Gouvernement Request Report publié par Facebook, l’Inde est d’ailleurs le pays qui soumet le plus grand nombre de requête de suppression de contenu au monde (15155 au premier semestre 2015) au motif que ces contenus pourraient perturber la paix sociale au sein du pays.
L’autre signe de la vitalité de la liberté d’expression est le développement de l’information indépendante en ligne. Qu’il s’agisse de blogs collaboratifs, comme
Kalifa, de plateforme d’actualités comme
Scroll.in, de sites militants comme
India Resist ou d’observatoire des médias comme
Hoot, ces sites offrent tous la possibilités aux opinions divergentes de s’exprimer, ils font la chasse aux dossiers sensibles, à la corruption, au communautarisme et sont devenus une source de référence pour l’élite indienne anglophone. L’économiste Amartya Sen affirme d’ailleurs que la société indienne – tout comme ses institutions,
est profondément tolérante et a le goût du débat à tel point que ce qui est parfois perçu comme la montée de l’intolérance en Inde est plutôt l’expression d’une tolérance excessive, celle que la société manifeste pour certains sous-groupes doctrinaires et fanatisés.