Le gala de la fête du printemps : une émission TV au service du PC chinois
Le gala de la fête du printemps est l’émission TV la plus regardée au monde. Instrument de légitimation du parti communiste chinois, elle commençait à être boudée par les jeunes. Mais le pouvoir a su regagner cette audience, à grand renfort de boys bands et d’interaction via les réseaux sociaux.
L’émission de divertissement la plus regardée au monde
Le gala de la fête du printemps est l’émission de divertissement la plus regardée au monde
En Chine, les festivités du Nouvel an chinois sont agrémentées d’un programme télévisuel incontournable dans tous les foyers depuis 1983: le gala CCTV(1) de la Fête du Printemps. Diffusée dans toute la Chine et retransmis outre-mer, c’est l’émission de divertissement la plus regardée au monde avec près de 90 % d’audimat en République populaire de Chine, soit 700 à 800 millions de téléspectateurs chaque année. Devenu un phénomène culturel intergénérationnel, sa popularité s’est néanmoins estompée auprès des jeunes générations. C’est là tout l’enjeu pour le Parti communiste chinois (PCC) au pouvoir, qui profite chaque année de cette occasion pour dispenser ses messages politiques à l’ensemble de la population. Face à cette menace de désaffection, une fois de plus le PCC a su relever le défi de séduire un public renouvelé, plus intéressé par les nouvelles technologies de divertissement que par la politique.
La voix du parti au sein des foyers : une légitimité à réaffirmer
Outre la longueur du programme – de plus de 4 heures - le gala CCTV du Nouvel An n’est pas un programme télévisuel comme les autres. En termes de contenus, il est soumis à différents organes de contrôle, garants de sa conformité morale et politique : la direction de la chaîne d’État officielle CCTV, le département du Conseil d’État en charge des médias (SARFT) ainsi que le département Communication du Comité Central du Parti Communiste.
Chaque année, un thème aux valeurs « socialistes aux caractéristiques chinoises » est choisi pour illustrer la propagande du Parti. À travers diverses démonstrations (chants, scénettes, invités prestigieux), l’émission présente au public les témoins d’une Chine qui cumule réussites et progrès, sans oublier ses valeurs morales traditionnelles héritées de la pensée confucéenne. En 2016, le slogan emblématique du « Rêve chinois », promis par le président Xi Jinping à sa population, apparaissait alors comme une invitation : « Toi et moi, notre rêve chinois – Construire une société de prospérité modérée ». Ce rêve, basé sur l’engagement de mener une Chine au sommet de sa puissance, repose avant tout sur un pacte économique basé sur une hausse constante du niveau de vie des citoyens. En plus de cette vision d’un futur idéalisé, le contenu de l’émission n’a de cesse de faire des références aux préceptes anciens, à l’instar du gala 2017 appelant à l’unité familiale et nationale - thèmes chers à la pensée confucéenne.
Afin d’expliquer ces constatations, plusieurs exemples de l’émission du Nouvel An 2017 peuvent être pris en considération, tels que la démonstration ostentatoire de la puissance militaire du pays. Emblématique par son franc patriotisme, la prestation musicale des chœurs de l’Armée Populaire de Libération (APL) est illustrée d’un arrière-plan vidéo de soldats menant bataille sous toutes les latitudes, lance-roquettes à l’épaule et tirant des missiles depuis un porte-avions. Les équipements les plus puissants de la planète sont passés en revue pendant la chanson : avions de chasse, tanks, hélicoptères, etc.
À cette puissance militaire affirmée s’ajoute un espoir devenu réalité: la conquête spatiale du XXIe siècle. Présentés comme les « héros du Ciel », onze Taïkonautes en uniforme bleu apparaissent sur le plateau en déployant solennellement le drapeau chinois, avant de mouler leur empreinte de main dans de l’argile ; empreintes qui seront exposées au musée national de Chine pour la postérité. Comme pour les chœurs de l’APL, les exploits spatiaux de ces nouveaux héros défilent sur fond vidéo, pendant qu’ils vantent tour à tour la grandeur de leur mission et la gloire du pays.
Il s’agit de mobiliser les normes confucéennes et les lier a l’idéologie, afin d’établir une forme de continuité historique et rappeler la légitimité du Parti communiste
À cette gloire présente et à venir, le gala CCTV fait aussi la part belle à ceux qui ont fait la grande Chine d’aujourd’hui. Il s’agit là encore de mobiliser les normes confucéennes et les lier a l’idéologie, afin d’établir une forme de continuité historique et rappeler la légitimité historique du Parti communiste. Pour ne citer qu’un exemple(2), la démonstration musicale d’un octogénaire, vêtu d’un uniforme militaire et jouant du ban traditionnel(3) est une nouvelle fois emblématique de ce mélange des genres. L’interprète scande un chant révolutionnaire retraçant l’épopée de la Longue Marche de Mao Zedong en 1927, celle qui avait conduit les communistes à parcourir plus de 12 000 km jusqu’à Yan’an, base arrière de repli devenue aujourd’hui le lieu symbolique de la révolution chinoise de 1949. Présenté comme un « héros » national, sa venue sur le plateau concourt à rappeler clairement aux téléspectateurs le respect qu’ils doivent encore aux anciens, et particulièrement à ceux qui se sont battus pour ouvrir « une nouvelle ère, un nouveau destin » à cette Chine dont ils profitent aujourd’hui.
Que les messages politiques soit explicites ou non, il apparaît clairement que le Parti ne peut faire l’économie d’un rappel constant de sa légitimité à gouverner sans partage depuis de nombreuses décennies. Ces numéros de divertissement aux relents idéologiques auraient peut-être suffi à faire perdurer le programme quelques années encore, si les mentalités de la nouvelle génération n’avaient pas à ce point changé. En effet, les jeunes ont le goût de la nouveauté, des marques commerciales et des nouvelles technologies. Suivre le gala du Nouvel An à la télévision commençait ces dernières années à devenir pénible pour un grand nombre d’entre eux, critiquant son contenu figé et son format désuet.
Une propagande 2.0 au service du monopole du parti communiste
Qu’à cela ne tienne, la direction de la chaîne a décidé de faire appel aux stars chinoises du moment, afin d’attirer un public plus jeune, enthousiaste et ultra-connecté.
L’habitude de commenter avec humour l’émission dans ses moindres détails autour de la table risquait également de tomber en désuétude. L’émission commençait davantage à être utilisée comme fond sonore aux festivités, chacun s’occupant selon son désir : les adultes préparant à manger ou jouant aux cartes avec les enfants, tandis que les adolescents, les yeux rivés à leur téléphone, chattaient pendant ce temps-là avec leurs amis.
Tous les membres de la famille se mettent à « attraper les enveloppes rouges » offertes par l’émission, en agitant frénétiquement leur téléphone portable devant l’écran
Derrière une apparente modernisation, le Parti veille
Pour le Parti et la chaîne, la critique n'est tolérable que si elle est circonscrite à des sujets futiles pouvant servir d’exutoire au grand public
Cette pérennisation ne serait pourtant pas assurée si le monopole du Parti venait à faire défaut. Alors que l’on pourrait croire à un affaiblissement de la censure par la possibilité des internautes de critiquer publiquement, et en direct, le gala CCTV de la fête du Printemps, il faudrait plutôt y voir un effet de soupape tolérable pour le pouvoir qui en contrôle les limites. En effet, comme sur le reste de la toile, les moyens de censure sont immanquablement déployés à l’occasion du Nouvel An pour éviter que ne dérapent certains commentaires. Les moteurs de recherches sont configurés ce jour-là pour censurer certains mots-clés tendancieux comme « Gala CCTV + politique » ou « Gala CCTV + lavage de cerveau ». Il apparaît dès lors que pour le Parti et la chaîne, la critique ne soit tolérable que si elle est circonscrite à des sujets futiles pouvant servir d’exutoire au grand public. La ligne rouge demeurant la non-remise en cause du monopole du Parti, ici le gala du Nouvel An diffusé par sa chaîne officielle, la CCTV.
Pour conclure cette analyse, il apparaît que le gala CCTV a encore de beaux jours devant lui et a relevé le défi de la modernité. Eu égard à la stratégie de communication déployée consistant à rénover, en apparence, son format médiatique, force est de constater que le Parti communiste a su répondre aux attentes du public pour pérenniser sa visibilité dans l’espace public et remobiliser la famille au service du patriotisme. Ces mutations sont à ce titre emblématiques de la capacité d’adaptation dont il a su faire preuve pour rester au pouvoir depuis 1949, utilisant chaque crise à son avantage et conforter son aura sur l’ensemble du peuple chinois.
Références
Anne-Mary BRADY, Marketing dictatorship: propaganda and thought work in contemporary China, Rowman & Littlefield, 2008
Ching-Fu HUNG, « Public discourse and ‘virtual’ political participation in the PRC: the impact of the Internet », In Issues & Studies, n° 39, 2003, pp.1-38
Heys Peter GRIES, China's New Nationalism: Pride, Politics, and Diplomacy, University of California Press, 2004, 215 pages
(2) En 2016, le clin d’œil était déjà on ne peut plus clair avec une vidéo de fond montrant Mao Zedong et d’autres dirigeants actuels du Parti tels que « Papa Xi », le président Xi Jinping. Cette année-là, un vent de nostalgie révolutionnaire planait tout au long de l’émission avec un panel de chants rouges, hérités de l’époque maoïste tels que « sans le Parti communiste, il n’y a pas de Chine nouvelle » ou « la Patrie ».
(3)Instrument composé de deux plaquettes de bois reliées entre elles par une ficelle et habituellement utilisé dans l'opéra chinois traditionnel.