Une écriture collective et réflexive
Pour les aficionados, faire des fanfictions, c’est avant tout prolonger le plaisir, rester plus longtemps auprès des personnages. C’est aussi une façon de dire combien ils apprécient une œuvre collectivement et surtout l’occasion d’en débattre en demandant aux autres fans via les « fics » : aimez-vous l’intrigue et les personnages ainsi ?
Les lecteurs répondent tout d’abord en indiquant par le nombre de clics qu’ils lisent régulièrement les chapitres. Puis par les critiques laissées sur le site, appelées «
reviews ». Ils évaluent un peu la forme et beaucoup le fond, c’est-à-dire la façon dont les personnages et l’histoire sont réinterprétés. Certains apprécieront un texte très proche du «
canon », l’œuvre originelle, d’autres au contraire préfèreront une « fic » qui s’en éloigne. Dans tous les cas, ils indiqueront ce qui leur plaît, fait question, voire ce qu’ils aimeraient voir arriver. Il est plus rare qu’ils expriment clairement ce qui leur déplaît. Cela arrive cependant, surtout quand la « fic » prend beaucoup de libertés avec le canon. Dans certains cas exceptionnels, certaines critiques s’avèrent particulièrement virulentes. Au cours d’une étude sur la façon dont les fanfictions françaises inspirées par un manga (
La Rose de Versailles) adapté en animé (
Lady Oscar) débattent de la définition de la féminité proposée par l’œuvre d’origine, un cas a été rencontré. Les commentaires d’une fan lectrice se sont changés en une sorte de réquisitoire accusant la fan auteure de corrompre volontairement les esprits, avant d’appeler les autres fans au boycott, au nom du respect des bonnes mœurs et de la féminité définies par l’œuvre de référence.
Quelle que soit la nature du commentaire, les « ficwriteuses » négocient le sens de leurs textes en les adaptant en conséquence, d’autant plus que la forme d’écriture in progress s’y prête très bien. Même si certaines fans auteures écrivent leur histoire de bout en bout avant de la poster, la plupart mettent en ligne un chapitre, attendent les commentaires, et en tiennent compte dans le chapitre suivant.
Souvent les « ficwriteuses »ont recours à un « bêta-lecteur », une personne qui procède à une ou plusieurs lectures avant la mise en ligne. Elle corrige l’orthographe et la grammaire, donne son avis sur le style, invite à enrichir le vocabulaire ou inversement à le simplifier, ou à étoffer un passage trop rapide, ou encore à discuter des choix narratifs. Le comportement des personnages est-il cohérent avec l’œuvre de référence ? Dans quelle mesure la fan auteure peut-elle s’éloigner du canon sans le dénaturer ? Faut-il risquer le « OOC » ?
Même si ce type de relecture n’est pas obligatoire, elle est bien vue de la communauté. A fortiori quand la « bêta » est une « ficwriteuse »renommée, auquel cas, la relecture vaut parrainage voire adoubement. Parfois, c’est la fan auteure qui sollicite la « bêta » à cause de sa réputation ou parce qu’elle a proposé ses services sur le site. Plus rarement, c’est la « bêta » qui contacte la « fanfiqueuse » après avoir lu ses textes.
La fanfiction comme co-création ne s’arrête pas là. Certaines sont rédigées suite à des « défis » : une fan lance une idée de trame, une ou plusieurs autres répondent, chacune selon son inspiration. D’autres résultent d’une écriture à plusieurs mains, comme la « RRS » qui consiste à écrire et à mettre en ligne un chapitre à tour de rôle chacune callant son récit sur ce que la fan précédente a écrit. Ou encore la fanfiction en ligne qui fonctionne également selon le principe de la publication d’un chapitre chacune son tour, sauf qu’elle s’écrit
via un outil de discussion instantanée, en temps réel. D’autres encore importent des créations d’autres membres dans leurs écrits en mêlant différents langages fans (
fanarts ou
AMV).
De reprise en reprise, se crée un tout narratif qui dépasse l’œuvre de base
Dernière dimension de l’écriture collective qu’est la fanfiction : certains textes proposent des éléments tellement cohérents avec le canon qu’ils sont abondamment repris
sans qu’on se souvienne qu’ils appartiennent au « fanon » (des faits produits par l’imagination de fans). De reprise en reprise, se crée un tout narratif qui dépasse l’œuvre de base.