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Liberté de la presse : pourquoi les pays nordiques sont des modèles journalistiques

Depuis dix ans, la Norvège, la Suède et la Finlande occupent les premières places du classement mondial de la liberté de la presse, réalisé chaque année par Reporters sans frontières. Nous avons cherché à comprendre comment ces trois pays se démarquent.

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Voici trois pays dans lesquels les journalistes ne font pas l’actualité parce qu’ils ont été blessés en couvrant une manifestation, ou menacés avant la sortie d’un article. Cette année encore, la Norvège, la Suède et la Finlande ont trusté le podium de l’édition 2019 du classement mondial de la liberté de la presse réalisé par Reporters sans frontières (RSF). Loin derrière, la France pointe à la 32e place, et n’a pas intégré les 30 premières places du classement depuis 2004.

« Ces dernières années, les modèles démocratiques décrochent, à l’image des États-Unis. »

« Si la presse française n’est pas au niveau des pays nordiques c’est principalement à cause de sa concentration aux mains de plusieurs grands acteurs ainsi que du climat de violence et de cyberharcèlement à l’encontre des journalistes », explique Prem Samy, responsable de ce classement au sein de RSF. Et d’ajouter : « Ces dernières années, les modèles démocratiques décrochent, à l’image des États-Unis. C’est un argument pour des pays autoritaires, comme la Turquie, qui peuvent critiquer le fait que d’anciens bons élèves se cancrifient. »

A contrario, les trois pays nordiques incarnent une sorte d’idéal journalistique. Analyse au cas par cas.

En Norvège, plus de 30 % des lecteurs paient s'informer en ligne

Auréolée d’une première place au classement RSF, la Norvège est considérée par l’organisme comme le pays dans lequel les journalistes sont les plus libres.  Contrairement à la France, les journaux norvégiens ont une tendance politique moins marquée et les lois du pays sont moins contraignantes d’après George Chabert, contributeur auprès de quatre journaux nationaux. « Les Norvégiens ont moins tendance que les Français à légiférer sur tout. Par exemple, il y a quelques mois, une ministre souhaitait mettre en place une loi contre les fake news et le projet n’a pas abouti », raconte ce professeur d’histoire à l’université norvégienne des sciences et des technologies.

L'autorité norvégienne des médias collecte « les informations sur la structure de la propriété et les rendre accessibles au public ».

Cette tendance n’empêche pas la Norvège de prendre des mesures quand il s’agit de lutter contre la concentration des médias. En 2016,  la loi sur la propriété des médias de 1997 — elle interdit aux grands groupes de presse de posséder des médias qui totalisent plus de 40 % de l’audience télévisée, radiophonique ou de la presse quotidienne — a été remplacée par la loi sur la transparence de la propriété des médias. Ce nouveau texte, moins restrictif, ne comprend pas de limites chiffrées en matière de concentration, mais permet à la Medietilsynet, l’autorité norvégienne des médias, de collecter « les informations sur la structure de la propriété et les rendre accessibles au public ». L’organisme relevant du ministère norvégien de la Culture et des Affaires religieuses se fixe pour objectif « d’assurer l’accès à un pluralisme en matière de télévision, radio et journaux », et contrôle à ce titre l’acquisition des médias.

L’autre grand texte du journalisme norvégien se nomme le Vær Varsom-plakaten. Cet ensemble de normes éthiques dictées par l’Association de la presse norvégienne (NP) – l’organisme qui délivre les cartes de presse – permet au NP de traiter les plaintes liées à l’activité journalistique. Affichée dans de nombreuses rédactions, cette base déontologique très précise prône les bons réflexes que sont tenus de respecter les journalistes, condamnant « la publicité cachée », incitant à la prudence dans la couverture médiatique de « suicide et de tentatives de suicide » ainsi que « des affaires pénales ».

La Norvège se distingue par ses investissements dans des infrastructures favorisent un écosystème propice au journalisme.

La Norvège  ne se distingue pas seulement par son cadre législatif favorable à la liberté de la presse, mais aussi par ses investissements dans des infrastructures favorisent un écosystème propice au journalisme. Internet atteint un taux de pénétration de 99 % sur le territoire norvégien, le plus élevé du monde, contribuant au développement de médias en ligne. La Norvège est également le premier pays du monde à s’être doté de la radio numérique terrestre, qui permet une réception plus stable. Un système que Kenneth Andresen, vice-président du groupe norvégien P4 chargé des opérations radios, voit comme une « façon d’assurer la longévité du medium ».

La persistance de la presse écrite dans ce pays faiblement peuplé ne s’explique pas seulement par la démocratisation d’Internet mais aussi chercher du côté de la tradition de lecture. Alors qu’un peu moins de 1 français sur 10 paie pour s’informer en ligne, ce chiffre est de 3 sur 10 en Norvège, soit le plus élevé du panel d’une étude annuelle sur le journalisme réalisée par l’institut Reuters.

Il existe malgré tout quelques zones d’ombre à ce tableau flatteur. « Des petits problèmes persistent, comme la baisse des subventions à la presse. Depuis octobre 2017, les journaux locaux et ceux à faible tirage ont vu leurs aides baisser », constate Pauline Adès-Mével, responsable du bureau Union européenne de RSF. Tandis que le développement du numérique a apporté son lot de médias aux pratiques journalistiques douteuses. À l’image de Resett.no, document.no et rights.no, les sites d’informations polémiques traitant principalement d’immigration et d’Islam se sont multipliés ces dernières années. Même s’ils sont jugés moins fiables par les Norvégiens que les médias traditionnels, leur influence sur l’agenda médiatique est non négligeable.

 

La Finlande,  très active dans la lutte contre la désinformation

Quand Vladimir Poutine a été reçu à Helsinki lors d’un sommet avec Donald Trump en 2019, le président de la Fédération de Russie a été accueilli par plusieurs affiches « Bienvenue au pays de la liberté de la presse ». Ces messages, déployés par le principal quotidien finlandais Helsingin Sanomat, faisaient écho à la situation des médias russes.

Constamment classée par RSF parmi les pays les plus avancés en la matière, la Finlande peut aussi se targuer d’avoir la population accordant le plus de confiance en ses médias. Le service public, très important, est particulièrement plébiscité et la radio publique Yle News est considérée comme le média le plus fiable du pays. «  Si la Finlande est un modèle en matière de liberté de la presse, c’est aussi parce que le pays n’a pas de problème de concentration », résume Pauline Adès-Mével de RSF. Un point également soulevé par Jenni Virtanen, journaliste à la Helsingin Sanomat. « Il existe plusieurs raisons à cette réputation. En Finlande, la société est libre et ouverte. En tant que journaliste, vous pouvez appeler un ministre et il vous répondra. De plus, le degré de corruption est très bas en Finlande, et la propriété des médias est détachée de tout lien politique majeur. »

 « Par sa proximité géographique avec la Russie, la Finlande a peur d’être touché par des campagnes de déstabilisation lancées par son voisin. »

La Finlande se distingue de la Suède et de la Norvège par la place qu’elle accorde à la lutte contre la désinformation. « Par sa proximité géographique avec la Russie, le pays a peur d’être touché par des campagnes de déstabilisation lancées par son voisin », analyse Pauline Adès-Mével. Pour lutter contre la désinformation, le gouvernement finlandais a donc multiplié les initiatives pour former étudiants et journalistes. Pendant quatre ans, la journaliste Jessikka Aro a ainsi subi une campagne de harcèlement. Son crime ? Avoir enquêté sur les fermes à trolls russes. Finalement, deux de ses cyberharceleurs ont été condamnés par la justice finlandaise à une peine de prison ferme en octobre 2018

La presse finlandaise peut compter sur une habitude de lecture très ancrée dans la société.

La presse finlandaise peut aussi compter sur une habitude de lecture très ancrée dans la société, qui profite aux journaux papiers. Dans ce vaste pays faiblement peuplé, la presse locale est particulièrement lue. Pour encourager le développement de la presse en ligne, le gouvernement finlandais a aussi aligné le taux de TVA des médias numériques pour l’aligner sur celui de la presse papier (10 %). Fin novembre, la Helsingin Snomat annonçait cumuler 230 000 abonnés numériques, dont 80 000 exclusivement à la version en ligne de son journal. Des chiffres très élevés pour un pays qui compte seulement 5,5 millions d’habitants.

Dans le trio de tête du classement RSF depuis plusieurs années, le pays des mille lacs a cependant perdu quelques places. « La Finlande n’est plus en tête de notre classement car elle a été touchée par plusieurs affaires », explique Prem Samy. La plus grave d’entre elles concerne l’ingérence d’un ancien Premier ministre qui, en 2016, a exercé une pression sur des journalistes de la radio publique. Pour Jenni Virtanen, la situation du pays peut facilement se dégrader. « La Finlande est un petit pays, donc un seul scandale peut entacher notre réputation. » Malgré cette affaire, la journaliste reste confiante, même si des doutes planent sur l’avenir de certains titres de presse. « Les conditions économiques peuvent affecter la liberté d’expression. Si la situation financière de la presse finlandaise est bonne, elle pourrait s’assombrir à l’avenir pour les journaux à faibles tirages et la presse régionale. »

La Suède fait rimer vie publique et transparence 

Quelque 105 ans avant la France, la Suède est le premier pays du monde à adapter une loi sur la liberté de la presse, en 1776. L’article 3 du premier texte de la Constitution consacre le rôle des médias : « La loi sur la liberté de la presse (1949) et la loi sur la liberté d'expression (1981) constituent les lois fondamentales du Royaume », c’est-à-dire qu’elles sont considérées comme une partie intégrante de la Constitution. « La loi sur la liberté de la presse oblige les journalistes à garder le secret des sources. Et, s’il y a un lanceur d’alerte dans un organisme public, ce dernier n’est pas autorisé à chercher en interne qui a transmis l’information », explique Lou Marillier, correspondante en Suède pour Libération. Considérés comme un élément central de la bonne santé de la démocratie suédoise, les journalistes sont protégés dans l’exercice de leur métier. Au point d’être perçus, selon Pauline Adès-Mével de RSF, comme « des acteurs importants de la vie publique et comme un rempart qui permet d’éviter certaines dérives ».

Si le journaliste Suédois jouit de droits importants, son statut implique aussi certains devoirs.

Le travail journalistique est également facilité par le très haut niveau de transparence de la vie publique suédoise. L’ONG de lutte contre la corruption Transparency International considère la Suède comme le 3e pays le plus transparent du monde, à égalité avec la Finlande, et devant la Norvège (7e). Quelle forme cela peut-il prendre au quotidien ? « Selon la Constitution, tout le monde doit pouvoir avoir accès à la dépense publique,  et il est possible de questionner un ministère qui se doit d’apporter une explication », répond Lou Marillier.

Si le journaliste Suédois jouit de droits importants, son statut implique aussi certains devoirs. Créé en 1916, le Conseil de presse suédois est chargé de veiller à l’application de sa charte et, dans le cas d’un manquement à ces règles, d’appliquer des sanctions qui peuvent être de nature financière. Cette charte stipule par exemple de ne pas mettre l’accent « sur l’origine ethnique, le sexe, la nationalité, l’occupation, l’appartenance politique, la conviction religieuse ou les dispositions sexuelles dans le cas des personnes concernées si cela n’est pas important dans le contexte spécifique ou si cela est humiliant ».

Le secteur de la presse est activement soutenu par l’État suédois.

Le secteur de la presse est aussi activement soutenu par l’État suédois. À travers d’importantes subventions directes (près de 50 millions d’euros), la Suède aide les médias en fonction de l’originalité du contenu, tout en visant particulièrement les zones peu habitées, insuffisamment couvertes par les médias locaux. La presse peut aussi compter sur ses lecteurs : un quart des Suédois paie pour s’informer en ligne. « Ils sont très attachés à l’indépendance des médias », commente Pauline Adès-Mével.

Comme la France, le pays est lui aussi touché par le développement de médias se présentant comme alternatifs et n’hésitant pas à partager des infox. Une étude de l’université d’Oxford conclut que les Suédois sont les Européens ayant partagé le plus d’informations sensationnalistes peu vérifiées, les junk news, lors des dernières élections européennes. Durant l’élection des parlementaires de l’Union Européenne, une adresse web sur trois partagée avec un mot-clé politique était concernée par les junks news, et une grande majorité était issue de sites suédois tels que Fria Tider, Nyheter Idag et encore Samhallsnytt. Une preuve que même les pays dotés d’un écosystème favorable à la presse sont aussi touchés par le développement de médias d’extrême droite, dans la lignée de Breitbart News aux États-Unis, ou d’Égalité et réconciliation en France.

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