« Avec leurs décisions, Washington et Bruxelles conduisent le monde à une guerre terrible ». Lorsque le président de la Douma s’exprime ainsi sur Telegram, le 22 janvier 2023, l’agence de presse chinoise Xinhua, qui vise une audience africaine francophone, le relaie rapidement. La reprise de propos de tiers (politiques ou autres experts, etc.) est une méthode classique des médias d'État chinois pour affirmer un positionnement et cibler leurs adversaires de manière indirecte. Au-delà du point de vue russe, c’est donc bien aussi le point de vue de la Chine qui est ainsi implicitement exprimé.
Les discours officiels des dirigeants chinois sur la guerre en Ukraine affichent, eux, une certaine neutralité, pour éviter d’abîmer leurs relations avec les pays de l’OTAN et de l’Union européenne (UE). Plusieurs dirigeants d’Afrique francophone ont d’ailleurs adopté le même positionnement, notamment lors de votes à l’ONU, traduisant l’influence accrue sur le continent africain de la République populaire de Chine (RPC) comme de la Russie depuis une décennie.
Mais le soutien de Pékin à Moscou passe en réalité par d’autres biais : ses médias, comme l’avait relevé Arrêt sur images. Et tout particulièrement Xinhua, CGTN Français et Radio Chine Internationale (RCI). Contrôlés par le Parti communiste chinois (PCC), ces médias chinois, qui s’adressent à une audience francophone principalement africaine, ont en effet adopté des éléments de langage pro-russes. D’après eux, l’intervention russe en Ukraine serait légitime et la Russie ne ferait que se défendre face à l’agression des États-Unis.
Éléments de langage communs
Cela s’est traduit par un relais assidu des discours officiels russes et l’utilisation, pointée par le New York Times, de contenus des médias contrôlés par Moscou (l’agence de presse Tass, Sputnik ou encore RT) pour couvrir les évènements. Les articles de Xinhua évoquent ainsi au début de l’invasion russe une « opération spéciale », évitant scrupuleusement l’emploi des termes « guerre » ou « agression ». Lors du déclenchement de l’invasion, CGTN indique ainsi, dans une de ses vidéos sur le sujet : « [Vladimir Poutine] dit qu’elle vise à protéger les civils dans la région rétive du Donbass et a souligné que la Russie n’avait pas l’intention de procéder à une invasion générale ».
Alors que la Russie a été accusée de crimes de guerre à la suite des massacres de Boutcha, en mars 2022, les médias chinois ont immédiatement diffusé les éléments de langage du dirigeant russe, qualifiant les accusations de « monstrueuse falsification ». Selon Xinhua, citant le ministre russe de la Défense, les accusations de crimes ne seraient qu’« une nouvelle provocation » des Ukrainiens. Et d’ajouter « que pas un seul résident local n'avait subi de violence » pendant la présence des soldats russes dans cette ville.
Sous couvert d’appels à la paix et à la résolution du conflit, les médias contrôlés par Pékin, s’appuyant sur des déclarations de dirigeants chinois, ont par ailleurs ciblé ouvertement l’administration américaine. Par exemple en l’accusant, début avril, d’avoir « profité du chaos et tiré d’énormes profits du conflit et des sanctions. »
Un ton désormais plus offensif
Cependant, la couverture médiatique chinoise de la guerre en Ukraine a évolué au fil des mois. Quand, au printemps 2022, la Chine a été critiquée par ses partenaires occidentaux pour son positionnement ambigu, et que les dirigeants chinois se sont inquiétés d’un possible enlisement du conflit, les médias internationaux chinois ont continué de soutenir la Russie mais de manière détournée. Par exemple, en dénonçant le comportement des pays de l’OTAN — au premier rang desquels les États-Unis — et de l’UE dans le conflit. Ce, par le biais d’interviews ou de reprises de propos d’interlocuteurs internationaux, comme cette interview, mi-mai 2022, d’un ancien haut-fonctionnaire français pointant « l’élargissement de l’OTAN » comme étant « à l’origine de la crise en Ukraine ». L’agence de presse Xinhua a notamment publié des articles relayant des discours d’officiels chinois à l’ONU appelant à la cessation des hostilités en Ukraine et à la construction d’une paix globale.
De son côté, RCI a insisté sur les conséquences économiques de la guerre en Ukraine sur les pays africains, afin de les positionner en victimes collatérales du conflit, tout en décrivant une UE affaiblie, jugée incapable de soutenir ses partenaires africains contrairement à la Chine et à la Russie. La radio chinoise a d’ailleurs souligné à plusieurs reprises les efforts de la Russie pour assurer sa politique de coopération avec ses partenaires africains, malgré la situation conflictuelle qu’elle traverse.
Depuis l’été 2022, marqué par le durcissement des relations entre Pékin et Washington à la suite de la visite à Taiwan de la présidente de la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi, les médias chinois ont repris un ton plus offensif, accusant ouvertement le pouvoir américain « d’ajouter de l’huile sur le feu » dans le conflit. Ils épinglent de la même manière tous les États qui chercheraient à soutenir logistiquement ou militairement l’Ukraine dans sa défense face à l’armée russe.
Les médias internationaux chinois, contrôlés par le Département de propagande du Parti communiste, assurent ainsi leur mission de soutien aux intérêts de Pékin auprès des audiences africaines francophones. Or, ceux-ci convergent avec ceux de Moscou en Afrique francophone. En effet, les deux États voient dans ces territoires des opportunités de développement économique mais aussi, une occasion de développer leur influence géopolitique en imposant leur statut de puissance. Le tout soutenu par un discours anti-impérialiste visant à convaincre les opinions publiques africaines de s’éloigner des anciennes puissances coloniales, la France en première ligne.
Opportunisme
C’est ce qui explique que les deux pays aient, à la fin des années 2010, opéré un rapprochement entre leurs médias d’État respectifs. Avec des objectifs géopolitiques clairs : assurer mutuellement la diffusion de discours favorables au déploiement de leur influence mondiale, tout en soutenant un discours hostile aux puissances occidentales rivales, comme les États-Unis.
Les premiers accords entre médias russes et chinois en matière d’échange de contenus ont été scellés en 2017 lors du Forum économique oriental [Forum annuel créé par la Russie visant à favoriser le développement économique de l’Extrême-Orient, NDLR]. L’objectif était alors de permettre un traitement médiatique commun et efficace de l’évènement.
En 2018, le regroupement des médias d’État chinois dans le China Média Group (CMG) a motivé la signature de nouveaux accords, plus approfondis. Outre le partage de contenus, il s’agit désormais d’assurer une couverture médiatique mutuelle favorable sur divers thèmes (économie, sport, société). Cet accord a été suivi en 2019 par un partenariat noué entre les agences de presse étatiques contrôlées par Pékin et Moscou pour échanger des contenus en différentes langues, permettant une reprise directe des publications par les rédactions internationales. Cette coopération facilite aujourd’hui l’amplification de la propagande russe par les relais officiels chinois en Afrique francophone, mais aussi en Europe.
Finalement, si la Chine et la Russie ont des stratégies d’influence informationnelle différentes — comme on a pu le constater par exemple lors de la pandémie de Covid-19 —, elles ont des objectifs communs qui apparaissent clairement dans les contenus médiatiques qu’elles diffusent à destination des audiences africaines. La guerre en Ukraine met ainsi en évidence la façon dont les deux États utilisent leurs médias comme acteurs indirects du conflit, dans le but de façonner un récit favorable à leurs intérêts auprès des opinions publiques africaines francophones.