Vespa velutina, dessin de Guillaume Long

On dénombre 22 espèces de frelons en Asie. Il serait donc plus approprié de dénommer le frelon dit asiatique « frelon à pattes jaunes ». 

© Illustration : Guillaume Long

Médias : comment le « frelon asiatique » a semé la panique

Le frelon Vespa velutina, dit « asiatique », est arrivé en France il y a vingt ans. À l’heure du bilan, certains de ceux qui l’ont découvert et étudié regrettent le récit qui en a été fait.

Temps de lecture : 7 min

Depuis son implantation en France au début des années 2000, le frelon Vespa velutina, dit « asiatique », ne s’est pas contenté de faire le malheur des abeilles à miel et des apiculteurs. Cet insecte à dard, qui se distingue par ses pattes en partie jaunes, a aussi envenimé les relations entre quelques passionnés de plantes ou d'insectes et la presse. C'est un pépiniériste qui « sent un fardeau sur les épaules » à chaque article retraçant l'arrivée de cet insecte social. C'est un naturaliste qui se dit « en colère » contre les journalistes qui ont cherché selon lui le « sensationnalisme » au détriment de la vérité scientifique. À écouter certains personnages clés de l’histoire, les journalistes auraient bien mal raconté l'arrivée du frelon.

L’affaire commence en 2004. Dans les alentours d’Agen et de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) plusieurs observateurs — un pépiniériste, donc, mais aussi un boulanger et un jeune naturaliste en stage dans le coin — vont constater chacun de leur côté et par hasard la présence d'un frelon pas comme les autres. L'information arrive de leur bouche aux oreilles de spécialistes locaux — notamment Laurent Joubert, le naturaliste d’une réserve naturelle de la région, mais aussi un spécialiste reconnu à l’échelle internationale pour sa connaissance des papillons et basé à Agen, Jean Haxaire. Des experts nationaux sont mis dans la boucle, dont Claire Villemant, spécialiste des guêpes et frelons au Muséum d’histoire naturelle (MNHN) et Jean-Yves Rasplus, entomologiste de l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) à Montpellier. Tous s’accordent sur un constat : ces insectes nouveaux venus appartiennent à la sous-espèce Vespa velutina nigrithorax, qui vit d’ordinaire dans plusieurs régions de Chine mais aussi au Bhoutan et au nord de l’Inde.

« Zen Velutina »

Le tout premier article de presse sur le sujet est, à notre connaissance, publié dans le quotidien Sud Ouest le 4 août 2006. On y apprend que l’insecte, désigné par son nom latin, « Vespa velutina », ne serait pas dangereux pour l'homme mais pourrait constituer une menace pour les abeilles. Les autres articles publiés cette année-là relatent l’expansion rapide de l’insecte (il a déjà été signalé en Gironde, en Dordogne et peut-être dans les Landes et en Charente-Maritime) mais ne sont pas plus alarmistes. L’un d’eux, publié le 5 août, est même titré « Zen Velutina ». Y sont cités l’entomologiste Jean Haxaire, qui rappelle que cet insecte « n'est agressif que s'il se sent agressé », mais aussi un apiculteur très détendu qui considère — à tort, malheureusement — la menace Vespa velutina comme « de la rigolade ». Un autre papier estival sera titré avec autant de calme : « Velutina peu vorace ».

Le ton va totalement changer en 2007. Dès janvier, un article rapporte l’inquiétude du Syndicat apicole de Gironde. Le frelon y est qualifié de « fléau des ruches » et le président du syndicat soutient que l’ensemble des espèces pollinisatrices sont menacées par ce danger. Ce qui serait extrêmement grave : la majorité des plantes à fleur dépendent de ces pollinisateurs. Les articles suivants de Sud Ouest vont désigner l’insecte comme un « tueur d’abeilles », un « prédateur » voire un « ennemi ». En décembre, le quotidien La Dépêche du Midi commence même un article par cette attaque : « Attention ! Cet insecte est méchant comme une teigne ». Cette panique soudaine hérisse bien des spécialistes des insectes. Claire Villemant, du Muséum national d’histoire naturelle, dit avoir vu et lu de nombreux sujets « catastrophistes ».

« Attention ! Cet insecte est méchant comme une teigne »

À cette époque, le frelon Vespa velutina change de nom dans la plupart des articles. Il devient le « frelon asiatique », un nom potentiellement stigmatisant et peu précis pour beaucoup d’entomologistes. Certains d’entre eux assurent le rappeler à chaque interview. Sur France Inter, en mai 2023, l’entomologiste Quentin Rome expliquait ainsi encore longuement au journaliste Mathieu Vidard qu’il serait plus adapté de le nommer « frelon à pattes jaunes », comme le font les anglophones. Et pour cause : on trouve 22 espèces de frelons en Asie, région d’origine de la quasi-totalité des frelons. Réponse de l’animateur : « Malheureusement, pour l’émission, on va quand même parler de “frelon asiatique” pour que tout le monde puisse nous suivre. »

« Moins stigmatisant »

Les journalistes sont-ils les seuls responsables de cette dénomination ? Pas sûr. Dès 2006, un article cosigné par Claire Villemant et publié dans la revue Bulletin de la Société entomologique de France utilisait la dénomination Vespa velutina mais aussi « frelon asiatique » ou « frelon d’Asie ». Pourquoi un tel choix ? « Les premières personnes qui m'interrogeaient sur ce frelon me parlaient souvent du “frelon chinois”. Je trouvais moins stigmatisant de parler de frelon asiatique », défend-elle. Cette version des faits semble confirmée par un documentaire tourné en 2011 et appelé « Le frelon chinois, histoire d'un passager clandestin ».

L'auteur du documentaire qualifie quasi systématiquement le frelon de « chinois », tandis que les spécialistes du sujet dont Claire Villemant lui répondent en utilisant l'expression « frelon asiatique » ou Vespa velutina. Au téléphone, son réalisateur Éric Moreau revendique encore aujourd’hui ce choix éditorial : « Ce frelon, pour moi, c'est un personnage. Il raconte quelque chose. Il est venu dans des containers de Chine, il s'est implanté, il tue nos abeilles, c'est une vraie saloperie. Il faut le dire et ce n'est pas être méchant pour les Chinois. » Avant d’appuyer son propos avec cette alerte : « Si demain cet insecte fait disparaître toutes les abeilles, c’est une catastrophe. »

Les pièges en question

Une version des faits totalement infirmée par les experts que nous avons interrogés. Laurent Joubert fulmine quand on mentionne les nombreux articles qui ont agité — et agite parfois encore — la menace d’un effondrement des populations de pollinisateurs sauvages à cause du frelon à pattes jaunes : « Aucun naturaliste sérieux n’a jamais affirmé une chose pareille. » Ce dernier rapporte, amer, une anecdote datant de 2008 et qui illustre selon lui l’attitude des journalistes à l’époque. Il assure se souvenir d’échanges téléphoniques avec un journaliste du JT de France 2 lui racontant dans le détail les séquences qu'il voulait tourner avec lui : « Il voulait des frelons qui tuent des tas d'abeilles, il voulait filmer des pièges. Je lui ai répondu que, oui, ce frelon est un gros problème pour l'apiculture mais qu’il n'est pas une bête dangereuse ou sanguinaire et que les pièges sont inutiles puisqu’ils capturent énormément d'insectes non-cibles. » Besoin d’incarnation et de pédagogie ou sensationnalisme ? Le journaliste en question aurait renoncé à tourner avec Laurent Joubert, qui balance : « J’étais un grand lecteur de presse mais depuis tout ça, je ne crois plus au journalisme. »

Les spécialistes des insectes se sont par ailleurs étranglés en voyant régulièrement et encore aujourd’hui recommandée dans la presse la conception de soi-disant pièges à frelons à partir de bouteilles coupées en deux et remplies de bière ou de jus de fruits. Des mouroirs pour tous les êtres vivants à six pattes. Certaines séquences télégéniques mais peu informatives ont également choqué : les représentants de sociétés anti-nuisibles qui arrosent des nids d’insecticides et se font attaquer en retour par des milliers d'insectes à pattes jaunes, le Géo Trouvetou du coin qui assure avoir inventé un nouveau moyen de lutte et s'apprête à le commercialiser.

« Tout le monde m'a fait porter la responsabilité »

Autre question : faut-il multiplier les sujets sur les rares cas de personnes décédées à la suite d’une piqûre de frelon à pattes jaunes ? Le drame est réel et mérite d’être rapporté. Avec une certaine nuance, sûrement : les données des centres antipoison, analysées régulièrement depuis l’arrivée de l’insecte, montrent qu’il n’y a eu aucune augmentation du nombre de décès à la suite de piqûres de frelons — à pattes noires comme à pattes jaunes — en France depuis lors. L’accusation faite au frelon à pattes jaunes d’être une menace pour la santé humaine était donc indue.

Et Vespa velutina n’est pas le seul accusé à tort dans cette affaire. C’est peut-être aussi le cas du fameux pépiniériste qui a croisé ce frelon peu banal à proximité de chez lui en 2004. Il a à l’époque fait le rapprochement avec des frelons aperçus en Chine lors de ses déplacements professionnels et a décidé d’alerter les autorités locales : et si ces frelons venaient des poteries qu’il importe du même pays ? Une question qui est très vite devenue une affirmation dans beaucoup d’articles, décrit-il : « J'ai transmis toutes les informations que j'avais, mais je n'ai jamais dit que j'étais sûr et certain d'être responsable. Après, ça s'est répandu très vite, tout le monde a repris et m'a fait porter la responsabilité. » Marqué, l'homme a gardé le silence pendant plus de quinze ans, subissant localement quelques « railleries ». Il s’est finalement confié à des journalistes de Sud Ouest fin 2021. Il rappelle qu’il est loin d’être le seul à importer des produits chinois dans son coin, citant les immenses entrepôts d’un des leaders français de la distribution à bas prix.

Claire Villemant — qui a mené avec ses collaborateurs une longue enquête génétique pour identifier l'origine des individus Vespa velutina nigrithorax ayant colonisé la France — estime l'hypothèse des poteries « plutôt probable ». Mais elle précise qu’elle est « impossible à confirmer » et que « ce Monsieur a dans tous les cas été très correct de donner l’alerte ». Jean-Yves Rasplus confirme et précise : « Même si les frelons sont arrivés chez lui, ce n’est pas lui qui est responsable mais les différents contrôles lors de passages de douane ». Au téléphone, le pépiniériste nous a glissé à plusieurs reprises : « Je ne suis pas très rassuré avec les journalistes. »

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