unes de journaux à l'annonce de la mort de Johnny Hallyday

Pour faire leur une sur un événement comme la mort de Johnny Hallyday, survenue le 5 décembre 2017, les rédactions se préparent bien en amont. 

© Crédits photo : Joël Saget / AFP

Comment les rédactions anticipent-elles la mort des personnalités ?

Un quotidien n’a pas les mêmes contraintes que celles d’une agence de presse ou d’une chaîne d’infos. Comment ces rédactions préparent-elles les annonces de décès de personnalités ? 

Temps de lecture : 6 min

« À Libé, on est attendu, à tort ou à raison, sur ces numéros nécro. C’est peut-être lié à notre format de une mais on a une réputation de "bien enterrer les gens" », estime Michel Becquembois. Le journaliste est, depuis 2021, coordinateur des numéros spéciaux du quotidien. Il est donc le chef d’orchestre du Libé des étoiles ou du Libé des solutions, mais aussi des nécrologies des personnalités (surnommées « nécros » ou « rétros ») qu’il commande aux journalistes, en fonction de leur spécialité ou affinités. Une bonne nécro Libé ? « C’est un papier dans lequel il y a un peu d’émotion. Ce n’est pas une fiche Wikipédia mais des moments d’une vie qui éclairent la personnalité. »

Le quotidien est connu pour « casser » son chemin de fer à quelques heures du bouclage, pour mettre à l’honneur et à la une la vie et l’œuvre d’une personnalité décédée. Mais l’urgence du web a accéléré le tempo : il ne s’agit plus seulement d’être à l’heure pour l’édition du lendemain mais d’être prêt à publier dans la foulée du décès. « Le lecteur veut lire tout de suite un portrait, et on sait qu’il va venir chez nous, c’est pour ça qu’il faut être prêt. » Le « frigo » de Libé compte ainsi une centaine de nécros prêtes à être publiées. « Cela ne m’empêche pas d’avoir encore des sueurs froides ! » confie Michel Becquembois.

« Dans les cinq minutes »

L’Agence France Presse (AFP) est elle aussi très attendue sur la réactivité. Si elle n’a pas le monopole de l’avis de décès, elle doit nourrir son fil de dépêches auquel la plupart des rédactions est abonnée. En cas de décès, l’agence publie une « alerte », une ligne ou plus qui annonce la date et le lieu du décès, avec la source nommée. Ou plus rarement un « flash », quand l’information revêt une dimension exceptionnelle. «  Le  “flash”, c’est la mort du pape. C’est très rare. Le décès de Johnny [Hallyday], par exemple, a été flashé », explique Aurélie Mayembo, cheffe du service numérique et culture à l’AFP. « On se repose sur trois types de sources : la famille, l’entourage ou l’agent. Et il nous arrive de demander une pièce d’identité pour vérifier l’identité de la source. Le papier doit sortir dans les cinq minutes. Enfin, c’est le scénario idéal », nuance la journaliste.

« Nous avons environ 6 500 portraits de personnalités recensés »

Le papier en question est souvent un portrait, actualisé à l’occasion du décès. « Nous avons environ 6 500 portraits de personnalités recensés dans notre base interne et stockés dans nos archives. Ils ont été écrits au fil des années par les journalistes de l'ensemble de notre réseau en France et à l'étranger [1 700 journalistes – texte, photo, vidéo – présents dans 151 pays, NDLR], et par deux documentalistes. La plupart sont disponibles dans nos trois principales langues de travail : français, anglais et espagnol », nous explique Marie Wolfrom, cheffe du département documentation multimédia. « Ces portraits ne sont pas spécifiquement des nécros mais sont liés à l’actualité – les Oscars, Césars, prix Nobel… » Une base de données qui permet à l’AFP de réagir très vite. Sans oublier le fil iconographique. « On numérise beaucoup de photos, on réalise une sorte de bio en images qui retrace les grandes étapes de leur vie, prêtes à être diffusées sur le fil », abonde Marie Wolfrom.

L’illustration est un enjeu de taille pour la presse mais aussi, voire surtout, pour les chaînes de télé. La recherche d’archives vidéo est chronophage et peut difficilement être improvisée. Chez TF1, des sujets rétrospectifs sont préparés en amont, prêts à être diffusés. Guillaume Debré, directeur-adjoint de la rédaction, développe : « On peut faire un off sur une image [commentaire sur une image NDLR], d’autres hommages se réalisent sur deux ou trois minutes et pour les personnalités très marquantes, un conducteur [document qui décrit le déroulement d’une émission ou l’enchaînement des émissions sur une journée, NDLR] va être dédié pour raconter leur vie, comme pour Johnny Hallyday ou Jacques Chirac. Cela nécessite une organisation avec différents chefs et le service documentaire pour les images. » Isabelle Toublant, cheffe de la cellule image à la direction de l'information chez TF1, abonde : « Il faut plusieurs jours de travail pour préparer une rétro. C’est un travail en commun avec le journaliste, qui va monter le sujet avec son angle, et la documentation. »

Deux rétros sont montées en moyenne chaque mois. TF1 en compte près de 150, régulièrement mises à jour et accompagnées d’une liste de contacts pour être réactif dès l’annonce du décès. Mais, précise Isabelle Toublant, ces rétros sont rarement diffusées en l’état : « On va rajouter des réactions, elles sont souvent amendées avec les dernières images. On peut aussi préparer et nourrir des dossiers avec des images dans lesquelles on pioche le jour J. »

« La mort de Pelé est arrivée pendant le journal »

Si l’info tombe à l’ouverture du JT, la rédaction doit pouvoir rebondir. « La mort de Pelé [le 29 décembre 2022, NDLR] est arrivée pendant le journal, on avait une rétro prête et on a organisé un direct dans la foulée avec la correspondante au Brésil », témoigne Guillaume Debré.

Pour les chaînes d’infos en continu, comme BFMTV, les archives vidéo sont tout aussi indispensables. La rédaction se repose notamment sur des bouts à bouts d’images de personnalités, régulièrement actualisés, ainsi que sur certains sujets montés qui retracent leur parcours. « On ne doit pas seulement annoncer le décès, il faut aussi alimenter l’antenne, alimenter la conversation », précise le directeur de la rédaction, Philippe Corbé. Convoquer des spécialistes maison pour raconter le parcours d’une personnalité, trouver des invités pour éclairer tel ou tel aspect de leur vie, contacter des correspondants ou envoyer des équipes pour recueillir des réactions… Une liste de contacts et d’invités potentiels est préparée, mais l’anticipation ne fait pas tout pour le directeur de la rédaction. « Le plus difficile, c’est la question des angles plus que les éléments biographiques : comment est-ce que l’on raconte un parcours, une personnalité ? Quand on casse l’antenne et qu’on se lance, on ne sait pas combien de temps cela va durer », explique Philippe Corbé. « Lors du décès de Bernard Tapie [le 3 octobre 2021], nous avons diffusé une nécro, des images, mais l’essentiel de ce que nous avons fait est le fruit du travail sur le moment », estime t-il.

 « C'est un traumatisme »

L’enjeu concerne aussi les radios. « On a une liste de personnalités clés. Un red chef vérifie régulièrement ce qui est prêt, si les papiers sont à jour et en commande aux journalistes. Il y a aussi une réflexion du côté des programmes à mettre en place. Car selon la personnalité, on va bousculer l’antenne », nous explique Philippe Lefébure, directeur de la rédaction de France Inter. Ce dernier estime que la rédaction centralise une quarantaine de nécros prêtes, un chiffre qui ne tient pas compte des commandes spécifiques des chefs de service. Les aléas du direct provoquent parfois quelques frayeurs. Philippe Lefébure se souvient du décès de David Bowie, le 10 janvier 2016 : « L’annonce de sa mort est tombée un matin tôt : on n’était pas prêt. Il n’y avait personne à la rédaction. C’est une équation à résoudre rapidement : on savait qu’il fallait passer en [édition] spéciale. Une fois la stupéfaction passée, on a appelé nos experts maison. »

Pour les journaux, l’heure du bouclage est décisive. Les rotatives d’un quotidien peuvent être exceptionnellement retardées pour un événement attendu, comme les résultats d’une élection présidentielle. Rarement à la dernière minute. Il s’en est ainsi fallu de peu pour Libération lors du décès de Tina Turner, avait raconté Alexandra Schwartzbrod, directrice adjointe de la rédaction, à la Revue des médias. Michel Becquembois se souvient d’un raté : le décès de Nelson Mandela, survenu en milieu de soirée, le 5 décembre 2013 : « C’est un traumatisme. Les autres l’avaient, pas nous. On n’a pas tous les mêmes horaires de bouclage. Le Parisien boucle par exemple plus tard, Le Monde, c’est différent, il peut couvrir le mort du petit matin. »

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