Remettre la technologie à sa place
Comment les technologies que nous façonnons nous façonnent-elles en retour ?
Comment les technologies que nous façonnons nous façonnent-elles en retour ?
Anthropologue et psychologue, aujourd’hui à la tête du département Technologie et autonomie du MIT, Sherry Turkle étudie depuis une trentaine d’années les innovations technologiques et leurs effets sur les individus. Loin des préoccupations de ses collègues informaticiens, surtout soucieux de concevoir des machines toujours plus performantes, la chercheuse ne cesse d’interroger nos relations aux objets technologiques, la façon avec laquelle ils nous transforment, comment ils affectent notre quotidien et nos manières de faire et de penser.
Les robots sont pensés pour combler l’insuffisance humaineDans les années 1990, le mouvement s’est accentué avec la conception et la commercialisation de robots dits « sociaux ». D’un point de vue marketing, ce sont les enfants et les personnes âgées qui sont prioritairement ciblés par les entreprises engagées sur ce marché. C’est ainsi qu’en 1996 sont lancés les Tamagotchis, sorte d’animaux virtuels intégrés à une console miniature, qui nécessitent qu’on s’occupe d’eux pour continuer à marcher. Deux ans plus tard, c’est au tour des Furbys de séduire les enfants : les robots disposent alors d’un véritable corps et prennent la forme de créatures à fourrure qui parlent et gesticulent. Par la suite viennent notamment le robot chien AIBO en 1999, la poupée animée My Real Baby en 2000 ou encore le robot phoque PARO en 2005, aujourd’hui introduit dans les maisons de retraite. Au fil des innovations, les robots deviennent de plus en plus perfectionnés, de plus en plus expressifs et réalistes. A bien des égards, ils sont pensés pour combler l’insuffisance humaine, pour se substituer aux contacts interpersonnels, plus exigeants et incertains.
Chacun donne l’impression d’être à la fois présent et absentAu cœur de ces bouleversements, Sherry Turkle est particulièrement sensible à la problématique du lien social. Les histoires d’adultes et d’adolescents qu’elle nous présente soulignent combien les relations humaines peuvent s’affaiblir de l’usage excessif de la technologie. La culture de la communication qui s’installe implique une vitesse effrénée et des réactions continuelles aux messages que nous recevons. Le temps se trouve fragmenté : une attention en miettes, dispersée, partagée entre plusieurs activités, tend à devenir la norme. L’identité est vécue sous la forme d’une coprésence permanente d’un point de vue physique et numérique, de telle sorte que chacun donne l’impression d’être à la fois présent et absent. Dans ce régime d’existence, il semble que les individus s’isolent davantage dans le monde virtuel, ce qui conduit Sherry Turkle à affirmer que « nous sommes de plus en plus connectés les uns aux autres, mais étrangement de plus en plus seuls : dans l’intimité, de nouvelles solitudes ».
Depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, les chaînes de télévision russes travestissent la réalité du conflit en cours. Vecteurs assidus de la propagande du Kremlin légitimant « l’opération militaire spéciale », elle s'efforcent aussi de donner un sentiment de « normalité » à la vie quotidienne.