En Europe occidentale, ce sont les médias du service public, jugés impartiaux et prudents, qui bénéficient le plus de ce regain global de confiance — et d’audience. L’institut suggère que le traitement médiatique du nouveau coronavirus, perçu comme « direct et fondé sur des faits, écartant les informations politiques plus partisanes dans certains pays », peut l’expliquer. Au contraire, aux États-Unis, l’audience s’est clivée lors des élections ou des mouvements Black Lives Matter.
La crise sanitaire a creusé l’écart entre la confiance accordée aux médias, et celle accordée aux actualités sur les réseaux sociaux. C’est là que les sondés ont le plus lu ou vu de « fake news » concernant le Covid-19. 54 % d’entre eux rapportent avoir rencontré des informations fausses à ce sujet la semaine passée, davantage que sur des thèmes politiques ou sur des célébrités. La désinformation préoccupe d’ailleurs 58 % des sondés cette année, soit deux points de plus qu’en 2020, atteignant par exemple 82 % des Brésiliens interrogés.
Dans les pays du Sud, les vecteurs redoutés de désinformation sont les services de messagerie très populaires, comme Whatsapp, où le fact-checking est impossible. En revanche, dans les pays occidentaux, l’inquiétude se porte plutôt sur Facebook ou Twitter.
Cette année, le Covid-19 est le thème de désinformation le plus fréquemment rencontré par les internautes, en particulier sur les réseaux sociaux. Crédits : Reuters Institute.
2. Le Covid-19 a accéléré les mutations numériques de la presse écrite
La crise sanitaire a aggravé le déclin de la presse papier : le Reuters Institute évoque un autre « clou dans son cercueil », en raison des restrictions de circulation pour les lecteurs et de la chute des revenus issus de la publicité. Partout dans le monde, des médias ont fermé, des publications ont été interrompues, des journalistes ont perdu leur travail.
Dans presque tous les pays étudiés, les conséquences de la crise sanitaire ont accéléré l’effondrement de la presse papier. Crédits : Reuters Institute.
En revanche, les modèles numériques se sont développés à la faveur de la crise. Le rapport mentionne une « hausse significative des paiements » dans certains pays occidentaux. Mais la proportion de gens prêts à payer pour des informations en ligne reste faible : autour de 17 % dans une vingtaine de pays où ces modèles se développent. En Norvège, cette proportion atteint 45 %, tandis qu’en France, on ne dépasse pour l’instant pas les 11 %. Mais le mouvement est lancé : plusieurs publications rapportent cette année « des augmentations sans précédent du nombre d'abonnés numériques », comme Le Monde, Le Figaro ou Mediapart.
Cela ne suffit pas encore à compenser les pertes de la presse papier, mais annonce des transformations, selon le Reuters Institute.
Les pays d’Europe du Nord restent ceux où les sondés sont les plus enclins à payer pour accéder à l’information en ligne. Crédits : Reuters Institute.
73 % des utilisateurs utilisent leur smartphone pour consulter les médias. Ce pourcentage dépasse de loin celui des ordinateurs dans tous les pays étudiés, à l’exception de la République tchèque.
3. Les jeunes sont moins attachés à l’impartialité des médias que leurs aînés
Cette année, l’institut s’est penché pour la première fois sur les perceptions de partialité des médias.
Une large majorité des sondés valorisent toujours l’objectivité de leurs sources d’information. Mais les jeunes semblent y être les moins attachés : 31 % des moins de 35 ans considèrent que sur certains sujets, il est absurde pour les médias d'essayer d'être neutres, alors que les plus de 35 ans ne sont que 22 % à le penser. Le rapport souligne que c’est « en particulier le cas au sujet de certaines questions brûlantes de justice sociale ». Les jeunes sont aussi plus nombreux à s’opposer à l’idée de donner un temps de parole équivalent à tous, y compris à ceux qui ont des arguments plus faibles.
Dans la majeure partie de l’Europe occidentale, les 18-24 ans sont la classe d’âge qui juge sa représentation dans les médias la moins juste, en particulier les jeunes femmes. Ils relèvent un manque de couverture médiatique des sujets qui leur tiennent à cœur.
Par ailleurs, en comparant une sélection de pays sur plusieurs continents, les chercheurs constatent que « la plupart des groupes politiquement partisans pensent que leurs opinions politiques sont, dans l’ensemble, couvertes de manière injuste ». C’est particulièrement le cas pour les personnes de droite. 75 % des sondés qui se disent de droite aux États-Unis jugent ainsi la couverture médiatique de leurs opinions inéquitable, alors qu’ils ne sont que 34 % à gauche.
Aux États-Unis toujours, les minorités raciales considèrent aussi être moins bien représentées. Le rapport soulève ainsi la question du manque de diversité dans les rédactions, qui peut expliquer certains de ces résultats.
4. Sur les nouveaux réseaux sociaux comme Snapchat ou TikTok, les influenceurs concurrencent les journalistes et les médias
Dans douze pays étudiés (Royaume-Uni, États-Unis, Allemagne, France, Espagne, Italie, Irlande, Danemark, Finlande, Japon, Australie et Brésil), 66 % des sondés en moyenne utilisent les réseaux sociaux pour consommer, partager ou commenter les actualités. Parmi ces plateformes, Facebook perd progressivement du terrain, tout en restant le réseau social leader concernant l’actualité, tandis que Whatsapp, Telegram, TikTok et Instagram gagnent en importance.
Partout dans le monde, lorsque les internautes consomment de l’information sur Facebook ou Twitter, ils sont plus enclins à prêter attention aux médias traditionnels et aux journalistes. Au contraire sur Snapchat, Instagram et TikTok, les journalistes « jouent les seconds rôles ». Les jeunes se tournent davantage vers les « personnalités » (célébrités, influenceurs, etc.) y compris en ce qui concerne l’actualité, sur des sujets comme le réchauffement climatique ou les inégalités.
Le rapport du Reuters Institute revient rapidement sur les tentatives de certains médias comme le Guardian ou le Washington Post pour s’établir sur TikTok ou Instagram, en rappelant que le succès de ces initiatives dépendra de l’audience visée, de la culture de la plateforme, de l’algorithme, et des options de monétisation.
Sur les trois réseaux sociaux les plus jeunes, les utilisateurs prêtent davantage attention aux « personnalités » lorsqu'ils s’intéressent aux actualités. Crédits : Reuters Institute.
5. La valeur ajoutée des médias locaux apparaît de plus en plus limitée à certains sujets
Les personnes sondées pensent encore que les journaux et les médias locaux sont les meilleures sources pour se renseigner sur la politique locale et les faits-divers. Mais le Reuters Institute souligne que d’autres sites internet, des moteurs de recherche ou des réseaux sociaux « sont considérés comme meilleurs pour un éventail d'informations locales, notamment la météo, le logement, l'emploi et les "choses à faire", qui faisaient autrefois partie des informations regroupées par les médias locaux ».
Même si les médias locaux sont considérés comme plus fiables par la majorité des sondés au sujet de l’épidémie de coronavirus, la moitié passe tout de même par d’autres sites pour se renseigner.
L’institut s’interroge donc sur la perte d’importance de ces médias, qui remet en cause leur rôle et leur modèle économique. Beaucoup de médias régionaux ont peiné à résister à la crise en 2020-2021, faisant craindre l’augmentation des « déserts d’information » dans certains pays comme les États-Unis, où 60 rédactions locales ont fermé.