Micros et invités dans un studio radio

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En dix ans, les matinales radio se sont politisées

Deux quinquennats, huit gouvernements, des dizaines de ministres, des centaines d’élus. De 2007 à 2017, des milliers d'invités sont passés dans les matinales des radios généralistes. Nous les avons scrutés. Au menu ? De la politique avant toute chose (et de plus en plus), mais toujours aussi peu de femmes.

Temps de lecture : 12 min

Qui sont les invités des matinales de radio ? C’est la question à laquelle nous avons tenté de répondre à travers cette étude d’ampleur qui porte sur l’ensemble des invités des émissions matinales des radios généralistes françaises (France Inter, Europe 1, RTL et RMC(1)  sous les présidences successives de Nicolas Sarkozy et François Hollande (saison 2007/2008 à saison 2016/2017). La radio thématique France Culture a également été intégrée au périmètre d’analyse, compte tenu du positionnement de son émission matinale.

L’article ci-dessous révèle de façon synthétique les grandes tendances qui se dégagent de l’observation du profil des personnalités invitées dans les matinales, selon leur(s) métier(s) et leur genre, et selon les grilles des chaînes. Il est important de souligner que ces résultats peuvent être partiellement biaisés en raison de choix méthodologiques ou de données incomplètes (voir les précisions ci-dessous). Les chiffres fournis sont ainsi à interpréter comme des indicateurs de tendances.

 

Des matinales très masculines

D’emblée, un premier constat saute aux yeux : celui de la surreprésentation des hommes. Sur la décennie étudiée, ils constituent en moyenne près de 80 % des invités, et ce quel que soit le moment de la semaine (week-end compris) ou la période de l’année (la grille d’été ne fait pas figure d’exception). 

 

Ces proportions sont globalement stables sur la période, même si l’on observe une légère croissance de la part de femmes sur la fin de la période, imputable à France Culture. Après avoir commencé très bas sur la saison 2007 - 2008 (12,9 %), la présence des femmes y augmente progressivement pour atteindre 30,3 % en 2016 – 2017 (contre 19,8 % en moyenne pour les autres radios la même année), permettant ainsi à l’antenne culturelle de Radio France de se distinguer des autres radios, où la part des femmes reste globalement constante.

Le milieu de la politique n’échappe pas à cette hégémonie masculine : seules quatre femmes figurent dans le Top 20 des invités entre 2007 et 2017. On trouve en tête Nathalie Kosciusko-Morizet, qui a comptabilisé 153 invitations sur cette décennie, soit une moyenne de 15,3 par an. Elle affiche toutefois une moindre présence lorsqu’elle était au gouvernement sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy (65 invitations) que dans l’opposition lors de la présidence de François Hollande (88). Viennent ensuite Marine Le Pen (147 invitations : 67 sous la présidence de Nicolas Sarkozy et 80 sous celle de François Hollande), Ségolène Royal (133 invitations, respectivement 81 et 52) et Valérie Pécresse (121 invitations, respectivement 56 et 65). Pour ces deux dernières aussi, être dans l’opposition politique se traduit par une plus forte présence dans les studios de radio, mais ce constat n’est pas généralisable : la plupart des ministres femmes (Najat Valaud-Belkacem, Marisol Touraine, Christiane Taubira, Roselyne Bachelot, Michèle Alliot-Marie, etc.) n’ont figuré parmi les plus invitées que lorsqu’elles étaient au gouvernement.

 

La quasi-totalité des partis politiques sont ainsi représentés en majorité par des hommes dans les matinales, à l’exception d’Europe Écologie-Les Verts (EÉLV), dont les principales figures sont féminines (Cécile Duflot, Emmanuelle Cosse, Eva Joly).

Chez les hommes, Manuel Valls apparaît comme le responsable politique le plus invité dans les matinales sur la totalité de la période, toutes radios confondues, avec près de 20 invitations par an en moyenne. Il n’est toutefois numéro 1 que sur RTL, et devance Jean-François Copé, également très présent sur Europe Matin et en tête des invités politiques durant quatre saisons (2008/2009, 2010/2011, 2011/2012 et 2012/2013).

On notera par ailleurs que l’âge moyen des invités politiques sur la période est de 56 ans ; de ce point de vue, EÉLV et le Front national (FN) sont des partis légèrement plus « jeunes » (48 ans en moyenne).

 

La politique, un secteur de plus en plus médiatique

Carrefour d’audience, les matinales revêtent une importance stratégique pour les responsables politiques. Les radios leur réservent d’ailleurs souvent une séquence dédiée. Toutes radios confondues, la politique est ainsi le secteur le plus représenté, avec près d’un tiers (29,40 %) des invités en moyenne sur la période 2007/2017. Cette présence médiatique s’est fortement accrue au cours de la décennie : elle était de 23,5 % sur la saison 2007/2008 et atteignait 32,1 % sur la saison 2016/2017, soit une hausse de 36,6 % en dix ans. Même si l'étude s'achève sur une année d'élection présidentielle, ce qui participe forcément à la hausse, on constate malgré tout une augmentation sur la période.

Le pic d’invités politiques, ainsi que la présence importante de personnalités du PS sur les plateaux des émissions matinales durant la saison 2010/2011, s’explique en grande partie par la primaire citoyenne dont les candidatures ont été déposées entre le 28 juin et le 13 juillet, peu après l’arrestation très commentée de Dominique Strauss-Kahn (14 mai). 

Si l’on exclut les personnes dont le métier n’est pas défini dans les bases de l’INA (voir plus bas la méthodologie) et qui pèsent 16,8 % du nombre total d’invités, le deuxième secteur d’activité le plus représenté est « l’art et la culture », qui concerne 13,3 % des invités sur l’ensemble de la période. Les matinales accordent également une place non négligeable sur leurs antennes aux journalistes (9,1 % du total), aux représentants du monde du travail (6,9 %) ainsi qu’aux chercheurs en sciences humaines et sociales (5,4 %), particulièrement visibles sur France Inter (7,9 %) et surtout France Culture (14,6 %). En comparaison, certains secteurs d’activité sont très peu représentés dans les matinales : l’environnement (0,9 %), la religion (0,8 %), les sciences dures (0,9 %) ou encore le social (0,2 %).

La politique a beau prévaloir, sa place n’est pas la même au sein de chaque radio. Elle est ainsi la plus forte sur les matinales de RMC (46,4 % des invités), tandis que les autres généralistes lui accordent une place certes moindre mais tout de même importante : 33,8 % des invités pour RTL Matin, 31,4 % pour Europe Matin et 27 % pour le 7/9 de France Inter.

La matinale de France Culture se distingue de ses concurrentes, avec une proportion d’invités politiques relativement faible (12,3 % du total), la chaîne laissant la parole en priorité à des chercheurs en sciences humaines et sociales, en particulier des économistes. Ces personnes, qui ne sont pas des journalistes, sont invitées par la radio en tant qu’experts d’un domaine, et se distinguent en ce sens des chroniqueurs. Pour autant, elles sont invitées très souvent et bénéficient ainsi d’une forte exposition médiatique.

Une importance médiatique en rapport avec le nombre de députés ?

Au sein des invités politiques, on observe sans surprise une domination des grands partis : le PS et l’UMP (Les Républicains à partir de 2015) concentrent sur la période environ deux tiers des invitations, toutes radios confondues. Les participants non liés à un parti spécifique représentent également une part significative des invitations de personnalités politiques (13,0 % y compris les « sans étiquette »). Un pourcentage qui s’explique par la présence d’invités liés au domaine politique mais non partisan (Cour des comptes, Conseil économique social et solidaire, diplomates, etc.) et aux invités internationaux (Jean-Claude Juncker, Angela Merkel, Barack Obama, etc.).

La répartition des invitations des personnalités politiques dans les matinales semble indiquer l’existence d’une sorte de « prime médiatique » accordée en partie en fonction du poids des partis à l’Assemblée nationale(2) plutôt que du nombre de voix obtenues lors des élections présidentielles et législatives. Toutefois, si le parti majoritaire à l’Assemblée est de loin le plus représenté parmi les invités des matinales de radio, on constate lors des deux quinquennats que la part des invités de l’opposition (autres/non définis inclus) a été majoritaire (de l’ordre de 60 % contre 40 %).

Durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, alors que la majorité gouvernementale constituée autour de l’UMP représente 58,1 % des sièges à l’Assemblée nationale, les invités UMP représentent 40 % du nombre total d’invitations de politiques des matinales de radio. Sous le quinquennat de François Hollande, ils n’occupent plus que 33,6 % des sièges à l’Assemblée et ne représentent plus que 27,6 % (UMP puis Les Républicains) du nombre total d’invitations de politiques.

Durant le quinquennat de François Hollande, alors que la majorité gouvernementale constituée autour du PS représente 57,4 % des sièges à l’Assemblée nationale, les invités PS représentent 37,4 % du nombre total d’invitations de politiques au sein des matinales de radio. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, ils occupaient 32,2 % des sièges à l’Assemblée et représentaient 28,3 % des invités.

Avec des scores relativement hauts lors des deux élections présidentielles (10,4 % en 2007 pour Jean-Marie Le Pen et 17,9 % pour Marine Le Pen en 2012), mais pas concrétisés lors des législatives (4,3 % des voix et aucun député en 2007 ; 13,6 % et deux députés en 2012), le FN incarne bien cet effet du nombre de députés sur la représentation des forces politiques dans les matinales. Quoique certains de ses membres soient très présents individuellement sur les plateaux des matinales — Marine Le Pen et Florian Philippot totalisent plus de la moitié des invitations du FN et figurent parmi les personnalités politiques les plus présentes dans les studios —, le parti réunit 3,2 % du nombre total d’invitations sur la décennie (avec deux fois plus d’invitations après 2012), devançant de peu Europe Écologie - Les Verts (3,1 %), pourtant membre de la majorité présidentielle lors des élections législatives de 2012.

Et si le Mouvement démocrate (MoDem) de François Bayrou représente 2,1 % du nombre total d’invitations de personnalités politiques sur la période, l’essentiel provient de son homme fort, qui cumule à lui seul plus de 70 % de ces invitations.

Soulignons enfin la faible représentation des invités du Parti de gauche, 0,9 % des invitations entre 2007 et 2012, puis 1,2 % pendant la durée du mandat présidentiel de François Hollande, et ce alors que 10 députés Front de gauche, emmenés par Jean-Luc Mélenchon qui venait de recueillir 11,1 % des suffrages à l’élection présidentielle, siégeaient à l’Assemblée nationale — où l’on voit donc que le nombre de députés d'un parti n’explique pas, à lui seul, son poids médiatique. Relevons que Jean-Luc Mélenchon représente à lui seul près de 78 % des invitations du parti au cours de la décennie.

On notera par ailleurs que les radios publiques accordent plus de place que les radios privées aux personnalités non affiliées à un parti politique et aux « petits » partis. Ainsi, 15,8 % du nombre total d’invitations cumulées de France Inter et France Culture concernent la catégorie « Non définis » (contre 8,6 % pour les radios privées).

Emmanuel Macron loin d'être le plus invité avant son élection

Année d'élection présidentielle, la saison 2016/2017 constitue un cas d'étude intéressant. Contrairement à ce qu'ont exprimé certaines critiques, Emmanuel Macron, alors simple candidat, figure tout juste parmi les 10 personnalités les plus invitées sur les plateaux de matinales radio, avec 19 participations. Il est même devancé par celui qui était alors porte-parole d'En marche (devenu La République en marche, LREM, en mai 2017), Christophe Castaner.  On notera également la 11e place de François Fillon (arrivé 3e à l’élection présidentielle, avec 20,1 % des voix) ainsi que la première place de Benoît Hamon (5e à l’élection présidentielle, avec 6,36 % des voix). 

 

Tout est-il politique ?

Quittons maintenant la politique pour nous pencher sur les personnalités catégorisées comme « non politiques » (au sens de non affiliées à un parti).

 

On s’aperçoit finalement très vite que ces invités sont souvent en prise directe avec le champ politique. Ainsi, la personnalité la plus invitée de cette catégorie est Jean-Claude Mailly (97 invitations), secrétaire général de Force ouvrière jusqu’en 2018. Bien qu’elles ne soient affiliés à aucun parti, les personnalités du monde du travail les plus invitées sur les plateaux des matinales exercent une activité en lien avec la politique : syndicalistes (François Chérèque, Laurent Berger ou Bernard Thibault, pour ne citer qu’eux), représentants du patronat (Laurence Parisot — seule femme de ce Top 20 avec 78 invitations —, Pierre Gattaz).

 

Repos dominical pour les politiques

Si la politique domine les matinales en semaine, le week-end semble faire figure d’exception. La répartition des invités par métiers y diffère quelque peu : on observe ainsi une plus grande diversité, avec notamment une proportion plus forte d’invités du monde des arts et de la culture (en moyenne 21,0 % des invités des matinales du week-end, contre presque moitié moins en semaine, à 11,1 %). À l’inverse, les politiques sont logiquement plus présents la semaine que le week-end (respectivement 34 % et 12,8 %).

 

Précisions méthodologiques

Dans le cadre de sa mission de dépôt légal, l’INA enregistre et décrit dans des bases de données l’intégralité des programmes TV et radio des chaînes diffusées en France. Le niveau de description des contenus est variable en fonction de l’époque, de la chaîne ou de la station et des types de programmes (info, émissions de plateau, fictions...). Nos bases de données ne distinguent par ailleurs pas les homonymes, ce qui a demandé un travail de recherche supplémentaire. Ce travail de description manuel peut comporter des imprécisions, des oublis ou des erreurs (certains chroniqueurs réguliers ont ainsi pu être assimilés à des invités). Les résultats sont donc à interpréter comme des indicateurs de tendances. L'intégralité de cette étude est accessible sur le site Tableau Public à travers trois tableaux et graphiques interactifs.

Les métiers

Dans les bases de données de l’INA, chaque personnalité est associée à un champ descriptif décrivant sa « qualité » : son métier ou son statut. Cette information est invariable dans le temps : une personne peut donc être associée à un métier qu’elle n’exerçait pas encore ou plus à un temps donné (Jacques Attali est ainsi classé en politique).

Par ailleurs, nous avons classé les différents métiers des intervenants grâce à un jeu de règles de recherches d’expressions (toute expression contenant le terme « avocat » est classé dans la catégorie « justice »). Certains termes trop polysémiques ou imprécis ont dû être classés par défaut dans la catégorie « Non définis » (ex : « chercheur », « universitaire », « conseiller technique »).

La durée des interventions

La durée indiquée est celle de l’émission dans laquelle une personne est invitée. Il ne s’agit pas d’un temps de parole mais d’un créneau pendant lequel l’invité est en plateau. Lorsque deux personnes sont invitées à une même émission, la moitié de la durée a été attribué arbitrairement à chaque invité. Précisions par ailleurs que les rediffusions d’un même contenu sont également comptabilisées

Les partis politiques

Nous avons attribué un (ou plusieurs) partis aux personnalités politiques en récupérant des données du site Wikidata et en complétant manuellement à partir du site Wikipedia. Cependant, un certain nombre de personnes ont dû être classées par défaut dans la catégorie « Non définis », soit parce qu’elles n’étaient pas liées à un parti pendant la période d’étude, soit parce que leur parti n’était pas renseigné. Certaines personnalités peuvent par ailleurs apparaître sans parti car elles n’en avaient rejoint aucun au moment de leur passage radio : elles sont alors classées en « Non défini » (Laura Flessel, Jean-Marie Le Pen, etc.). Les personnalités politiques internationales rentrent également dans la catégorie « Non définis ».

Pour toutes ces raisons, des erreurs peuvent persister dans l’article. N’hésitez pas à nous les signaler.

    (1)

    Les données incomplètes dont dispose l’INA sur France info ne permettent pas d'intégrer cette radio à l’étude.

    (2)

    En 2007, hors alliances, l’UMP a obtenu 55,4 % des sièges à l’Assemblée nationale et le PS 34,8 %. En 2012, le PS a obtenu 48,5 % des sièges et l’UMP 33,6 %

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