La déconnexion volontaire : nouvelle fracture numérique

La déconnexion volontaire : nouvelle fracture numérique

Et si fracture numérique ne concernait pas tant la dotation en équipement ou celle des usages que la capacité à s’extraire, volontairement, des services et contenus prédictifs ?

Temps de lecture : 13 min

 

Salut Marc L***, je t’ai croisé en 2008, c’était dans la revue Le Tigre. J’avais présenté ta vie à mes étudiants et, tous, nous avions été fascinés par ce que l’on découvrait de toi alors que, jamais, tu ne l’avais souhaité. Et oui, l’internet absorbe tout, mais ce n’est pas l’essentiel. Il retient tout, c’est plus troublant. À partir des traces numériques que tu avais laissées ici ou là, des photos, des commentaires, nous avions alors découvert qui tu étais. Oh, rien de bien méchant, seulement des tranches de vie. Le problème avec les traces numériques c’est lorsqu’on les met bout à bout et assez simplement, ce ne sont plus des instantanés que nous comprenons, c’est ta vie. Comme tu es bavard et que tes amis le sont aussi, l’on pouvait déduire qui tu étais, ta personnalité, tes mobilités, presque tes amours et, en creux, avec un peu de discernement, presque ce que tu ne disais pas. Et oui, dans un flux discontinu d’information, le silence numérique devient interprétable. Mais ce flux, à mesure qu’il gagne en densité, en précision, permet aussi de mieux te cerner, de comprendre tes goûts, tes envies, voire peut être de les anticiper. Nous étions en 2008, et 2008 c’est loin lorsque l’on parle de numérique. Eh bien tu sais quoi, Marc L*** ? en 2015, les choses sont bien pires et tu ne t’es sans doute rendu compte de rien mais tu es peut être aussi du mauvais coté de la fracture numérique. Tu es peut être de ceux qui ne s’imposent plus au numérique mais pour qui désormais le numérique s’impose. Tu es la variable d’une vaste équation lucrative des géants de l’internet, mais c’est un vortex pour toi.

Le réseau et la sérendipité

 

La liberté d’usage a toujours été au fondement de la création de l’internet. Un réseau ouvert, neutre, qui relie des machines et des serveurs. Sur ces machines, l’on trouve de l’information et surtout sa mise en forme que le grand public connaît le plus, le world wide web. Les services accessibles par le http:// constituent la couche la plus populaire de l’internet mais il existe bien d’autres protocoles techniques qui utilisent le réseau et qui permettent de communiquer d’un point à l’autre du réseau. Chaque service est assimilable à une adresse IP (Internet Protocol), si bien que la croissance du réseau étant continue, il convient de faire évoluer régulièrement le protocole d’adressage afin de référencer toujours plus de services. Mais également des objets. Et c’est là l’une des grandes puissances de l’internet : agréger le tout dans un grand tout et entrevoir immédiatement des possibilités infinies. La neutralité de l’internet garantit à quiconque le pouvoir d’accéder, à partir de son point d’entrée, à n’importe quel autre point du réseau. Au hasard de la navigation, il est donc tout à fait possible de rencontrer un service, un contenu, une personne, etc., que l’on ne cherchait pas. C’est la sérendipité. D’une certaine manière, elle garantit à la fois l’émancipation individuelle et l’émergence d’une intelligence collective pouvant prendre bien des formes. Se coordonner à très large échelle, comme pendant le « printemps arabe », apprendre jusqu’à satiété, s’appuyer sur une somme de compétences individuelles pour produire de l’innovation, imaginer du financement collaboratif, désintermédier nombre de marchés en mettant en relation directement des offreurs et des consommateurs.
 Les contenus et services prédictifs organisent les parcours et possibilités offertes. Jusqu’à prendre le contrôle de nos vies ? 
Les promesses sont bel et bien infinies. Le problème avec la sérendipité c’est que, fondamentalement, elle s’adosse à une fonction de hasard et les marchands du numérique, comme toutes les entreprises au fond, aiment peu le hasard. Par conséquent, une grande partie de la création de valeur sur Internet va consister à organiser l’information disponible et présenter des services aux usagers. Mais en faisant cela, ils organisent également les parcours et les possibilités offertes en dégradant peu à peu la sérendipité. Jusqu’à prendre le contrôle de ta vie, Marc L*** ? Oui, c’est possible. Les contenus et services prédictifs organisent les parcours et possibilités offertes. Jusqu’à prendre le contrôle de nos vies ?

La prédictibilité

 

La nouvelle frontière des business numériques est celle de la prédictibilité. Lorsque tu postais tes photos, Marc L***, et que tes amis ou toi-même les commentaient, au fond l’on pouvait juste déduire avec la fréquence de tes posts qui tu étais et ce que faisais. Désormais, l’intelligence des concepteurs de service couplée à celle des machines permet d’aller beaucoup plus loin dans l’exploitation de tes traces numériques. Il devient possible d’anticiper tes besoins avant de te les suggérer. Comme si, en arrivant au supermarché du coin, ton panier t’attendait, plein de ce que tu allais acheter. Tout à la fois fascinant et effrayant.
 
Comment cela fonctionne-t-il ? Prenons une situation simple, celle où l’on peut se connecter à l’internet à partir de trois points d’entrée : un ordinateur fixe {f}, un ordinateur mobile {m} que l’on appelle smartphone, et un objet connecté {o} (voiture, maison, brosse à dent, bracelet, etc.). Ensuite, il y a un usage associé à chaque point d’entrée. S’agissant de {f} et {m} ce sont bien évidemment les usages les plus populaires et chacun selon ses préférences, privilégie le courriel, un site d’information, un site de média social, la météo, la rencontre, la vente aux enchères, l’achat. Bref c’est ici l’attention que l’on accorde à l’internet qui contraint l’usage. Concernant {o}, l’usage est pour le moment plus limité et se réduit à l’objet. La self-quantification et les métriques personnelles ou encore l’optimisation d’une consommation sont aujourd’hui les fonctions les plus classiques. Toutefois, des objets agrégeant plus de possibilités apparaissent et l’iWatch est un bon exemple. Cela signifie, qu’en jouant le rôle de plateforme, ces objets ont d’ores et déjà agrégé des fonctions et quasiment fait disparaître les objets à fonctions uniques.
 
Alors résumons : l’usage du numérique c’est un point d’entrée et un usage que l’on va répéter autant de fois que l’on va se connecter à l’internet. Donc, Marc L***, ta vie numérique en équation c’est ceci : une séquence de signes cabalistiques.
Lundi : 6h30, {o1,u1}, 7h {m,u1,u2,u3}, 7h30, {o2,u1}, 7h45, {o3,u1}, 7h47, {m,u4}, et puis à 9h tu arrives à ton bureau {f,…….}, etc.
À 6h30 lundi, ton thermostat connecté s’est mis en route, sur 18 deg, tes enfants n’étaient pas là. À 7h, ton smartphone a sonné, assez mécaniquement tu as enchainé une séquence site d’information, twitter et courriel. À 7h30, ta machine à café connectée s’est mise en route. Une tasse, tu confirmes que tu es seul. A 7h45, tu te brosses les dents, l’information remonte à ton smartphone. 2mn ce n’est pas suffisant. Enfin, à 7h47, ton smartphone te rappelle ton rendez-vous de 9h.
 
Bref, nous pourrions pousser ce raisonnement très loin et comprendre assez vite que la masse de données produite est infiniment dénombrable. L’intelligence humaine et les algorithmes d’apprentissage (machine learning) ne sont alors là que pour identifier des patterns ou des régularités dans ces séquences de comportements. D’abord chez un seul usager puis en croisant les usagers. Ainsi, si tous les lundis la séquence est exactement la même, il suffit d’un lundi où les choses seront différentes pour inférer que tu ne travailles pas, que tu es souffrant, que tu es en vacances Marc L***. Tu n’auras rien dit à personne mais ton hyper-connectivité omni-canal va permettre d’affiner la probabilité de ton état. Par ailleurs, si dans la séquence quelque chose vient à manquer alors l’objet ou l’ordinateur peut notifier ce manque. Ça, c’est la prédiction de contenu. Plus les séquences sont continues, autrement dit plus l’on se connecte longtemps ou régulièrement et plus il est théoriquement possible, par fouille intelligente des données, de faire ressortir un ou des patterns. Notons qu’une séquence totalement aléatoire reste un pattern remarquable.
 
Il y a une deuxième façon d’envisager la prédictibilité, c’est celle des proximités entre les usagers. Marc L***, tu ne connais pas Marie S*** Mais l’algorithme qui quantifie ta vie numérique a remarqué que Marie S*** présentait bien des similitudes avec toi. Levée à la même heure, même thermostat connecté, usage pathologique et matinal de twitter, etc. Autrement dit, la suggestion que peut faire le système n’est plus celle liée à ta séquence, mais à celle d’un ou d’un grand nombre d’individus qui possèdent des séquences semblables à la tienne. C’est exactement comme cela que fonctionne Amazon lorsqu’il suggère un achat (prédiction de contenu et prédiction par proximité), Netflix fonctionne selon la même intelligence. La publicité reciblée (retargeting) et plus généralement tout le retargeting marketing fonctionnent selon cette logique algorithmique. Réinjecter dans une séquence de navigation des comportements observés et conservés en mémoire. Recevoir un courriel en t+1 conditionnellement à ce que l’on a fait en t ou quelqu’un jugé statistiquement proche a fait. Recevoir une publicité en t+1 en fonction du site visité en t ou ici encore en fonction d’un comportement jugé statistiquement proche. Notons que tout ceci repose sur des mathématiques d’un haut niveau (informatique, statistique, graphe et probabilité) et qu’une forme d’ « école française » en la matière, s’exprime pleinement en ce moment dans des secteurs très techniques du web (publicité programmatique, Real Time Bidding, analytics, retargeting, clustering,…). Et ce, jusque dans la Silicon Valley.
Au fond, plus les plateformes qui offrent des services possèdent une audience forte et des données d’usage et plus elles peuvent affiner leur prédiction. Et, peu ou prou, tous les acteurs du numérique cherchent aujourd’hui à exploiter et qualifier des données d’usages au gré des Data Scientists ou des Web Analysts qu’ils arrivent à recruter. Jusqu’à pouvoir anticiper les besoins ? Oui, bien sur.

Les business model de la dépendance

 

Marc L***, tu n’aimes pas souvent payer les services que tu consommes mais cette gratuité a une contrepartie majeure. Les coûts de production, de fonctionnement et les profits sont couverts par la monétisation des audiences accumulées. Et la connaissance des audiences s’affine aussi vite que progresse la recherche fondamentale en statistique mathématique, en économie numérique, en sociologie des usages et en psychologie cognitive. D’ailleurs, les plus grandes compagnies numériques, et l’on pensera en premier lieu aux Google, Amazon, Facebook , Apple, Microsoft  (GAFAM) recrutent massivement des chercheurs et des docteurs dans l’ensemble de ces champs. Et aujourd’hui, Marc L***, tu fais l’objet de beaucoup d’attention. En effet, la vocation initiale de ces grands acteurs du numérique est de t’offrir des plateformes d’accès ou des contenus. Parfois les deux en même temps. Mais elles ne couvrent souvent qu’une partie de ta vie. Ta vie mobile (Android, iOS, ..), ta vie sociale (Facebook), ta vie culturelle (iTunes, Amazon, …) pour n’évoquer que quelques segments. Alors numériser les segments manquants ou te suivre dans plus de dimensions est une stratégie naturelle. Pour y arriver, les GAFAM vont te proposer des plateformes agrégatives ou t’installer dans des tunnels de navigation et de continuité servicielle que tu vas peu quitter. Aussi, parce que avant tout, c’est pratique et bien confortable de n’avoir qu’un seul identifiant (Google, Apple, Microsoft,…) pour tous tes services. Une seule interface (Windows, Android, …) pour tous tes objets. Et si jamais ce n’est vraiment pas leur domaine alors de nouveaux entrants viendront. Uber ou encore Airbnb sont de ceux-là. Ils en savent désormais beaucoup sur tes fonctions hébergement et déplacement avant, en tant que plateforme, de se faire racheter ou elles-mêmes d’agréger de nouvelles fonctions. Uber savait quand et où tu te déplaçais mais désormais, comme tu fais appel à Uber Eats pour te faire livrer des plats préparés, Uber sait donc ce que tu manges et si tu le fais seul où à plusieurs. Et puis si Uber Eats embarque son service sur une montre connectée, et bien Uber en saura en plus sur le . Ici, Uber ou Airbnb viennent concurrencer des acteurs en place sur des séquences de ta vie qui n’étaient pas complètement numérisées. Évidement en désintermédiant les marchés, elles créent de la valeur et peuvent te la redistribuer en t’offrant la gratuité. En soit, ce n’est pas un réel problème, mais des questions sensibles apparaissent lorsqu’elles grignotent sur ta vie en agrégeant des fonctions supplémentaires. Ces plateformes, et dans le fond toutes les plateformes, quantifient des segments de plus en plus nombreux de ta vie réel.
 
Au départ, toutes les plateformes d’accès ou de contenus reposent sur une innovation simple. Ce sont des plateformes primaires. Elle peut être scientifique (un algorithme de classification comme pour Google), technologique (comme un iPhone), ou encore de service (comme Facebook), mais désormais l’omniprésence de ces plateformes est redoutable et elles s’immiscent au plus près de ton intimité. Le modus operandi consiste à développer de nouvelles plateformes (une voiture connectée à Google/Android…ou à moins que ce ne soit l’inverse, une maison connectée à Google/Android….ou à moins que ce ne soit l’inverse, un objet, un bracelet,…) ou à agréger de nouvelles fonctions sur la plateforme primaire. Le propos marketing est sensiblement identique : elles te suggèrent un univers plus simple car une seule identité te sera nécessaire pour profiter de ta vie numérique.
 Et le hasard dans tout cela ? 
Ainsi, une partie des business models du numérique s’adosse à une forme de dépendance qui garantit une grande connaissance et la monétisation des caractéristiques d’usages et de l’usager. Mais, toi, Marc L***, tu pourrais rentrer dans une chambre d’écho, dopée aux notifications, où de puissants algorithmes te proposeront exactement ce dont tu as besoin, au bon moment, au bon endroit, dans le bon contexte social. Presque aliénant. Et le hasard dans tout cela ?

S’extraire de la séquence ou la déconnexion raisonnée

 

Au début des années 2000, les chercheurs en sciences sociales se sont beaucoup attardés sur les fondements des fractures numériques, avec l’idée qu’il fallait évidemment chercher à les combler afin que tous puissent accéder à la « société de l’information ». De façon simple, deux fractures étaient alors étudiées. Celle de premier niveau concernant la dotation en équipement et celle de second niveau concernant les usages que l’on fait (ou que l’on ne fait pas) des équipements. Cette seconde fracture, aux frontières plus floues, s’expliquait en grande partie par un contexte social et des aptitudes cognitives. Il fallait donc a minima former et éduquer aux usages afin de réduire le fossé et faciliter l’e-inclusion.
 Être fracturé en 2015, c’est être dans le vortex des services et des contenus prédictifs et être en incapacité de s’en extraire 
Quant au contexte social, c’est plus difficile d’agir. Mais aujourd’hui, c’est bien de nouvelles fractures dont il pourrait s’agir et elles fonctionnent dans l’autres sens. Il ne s’agit plus seulement de faciliter l’inclusion numérique d’usagers distants, il s’agit d’être en incapacité de rationaliser sa pratique et d’embrasser pleinement les opportunités illimitées du réseau. Dans le fond, être fracturé en 2015, c’est être dans le vortex des services et des contenus prédictifs et être en incapacité de s’en extraire. Les déterminants cognitifs et sociaux qui permettaient de bénéficier pleinement des opportunités numériques au début des années 2000 sont les mêmes qui vont permettre de s’extraire de façon raisonnée du numérique en 2015. Et cela pourrait ne concerner qu’une petite élite.
 
À partir de là, les comportements peuvent évoluer dans 3 directions et cela dessine des futurs business model de la déconnexion. Le premier scénario consiste à ne rien changer. Marc L***, tu es un hyper-connecté et tu es dans le vortex, tu le comprends ou tu ne le comprends pas, au fond peu importe car tu trouves cela confortable. Tu es hyper connecté et tracké en temps réel, dans une dimension temporelle, spatiale et sociale. Tes données personnelles et intimes sont revendues à des annonceurs ou à des tiers et alimentent les algorithmes prédictifs et de recommandation. Évidemment, pour les marchands du numérique, c’est un scénario qui convient car il suffit de poursuivre la numérisation des segments manquant de ta vie. Innovation par des nouveaux objets connectés, de nouveaux contenus ou par désintermédiation de marchés existants. Sans réglementation, cette tendance est celle du moment et elle est durable, mais aux extrémités de ce marché de masse, il y a deux scenarii émergents.
 
Le second scénario est symétrique au précédent. Car Marc L***, tu vires low-tech, voire tu envisages la déconnexion et un log-out complet. Le grand écart en quelque sorte. Ils ne seront pas si nombreux avec toi mais c’est une tendance observable entre mouvement revendicatif, presque une contre culture, et citoyen éclairé. Il s’agit de refuser de porter des objets ou d’utiliser des services connectés que l’on ne comprend pas, pour la version douce. Ou se couper complètement pour la version forte. D’ailleurs, Google a fait face à cette catégorie d’usagers avec les Google Glass. En effet, nombreux ont été les cafés et bars de San Francisco à interdire l’entrée aux porteurs des dites lunettes. Trop intrusives.
Les alternatives à l’hyper connectivité ne sont pas nombreuses, en particulier pour ceux qui utilisent des services et des objets pour leur activité professionnelle. Gageons toutefois que des solutions frugales ou low-tech émergent pour une population sensible à l’excès au tracking et à l’exploitation des données personnelles. Une autre manière de le considérer est de ne pas supprimer les objets mais de savoir contourner tous les dispositifs de tracking. C’est bien évidemment réservé à une petite élite numérique mais le réseau TOR, alternative au navigateur traditionnel, permet d’ores et déjà de faire un pas en ce sens. Pour le mobile c’est plus compliqué et pour les objets connectés, cela n’a pas de sens pour le moment puisque la connexion est la proposition de valeur. Assurément, cette population, au contour flou, est faiseuse de tendance et elle sera observée à la loupe par les marchands du numérique.
 
Enfin il y a la voie médiane qui pourrait prendre de l’importance par effet de contagion de ce second groupe : celle de la déconnexion par partie, raisonnée. Ici aussi, les premiers déconnectés seront vraisemblablement des usagers bénéficiant d’un bon bagage intellectuel et socialement bien entourés. Entendre par là que les déconnectés vont très fortement s’influencer les uns les autres. Donc, Marc L***, tu pourrais être de ceux qui vont refuser la centralisation des accès par un ID unique mais cela va obliger à multiplier les identités numériques. Tu pourrais couper les notifications si addictives et si perturbantes à la fois. Tu pourrais revenir à des objets aux fonctions simples : un téléphone portable par exemple et non pas un ordinateur mobile avec une fonction téléphone. D’ailleurs, le rétro est de retour : rétro-gaming, rétro-mobile (par exemple ici ou encore sur trentetroixdix.com qui propose de s’équiper en mythique Nokia : robustesse et longévité assurées), tu sais également t’extraire de la publicité programmatique avec un Ghosterry ou encore un AdBlock. Tu veillerais également à vider la mémoire de tes objets connectés. Bref, ici encore, tu appartiens à une petite élite, éduquée, qui rationalise ses usages, qui maitrise les enjeux du numérique (business, technologie, sociétaux,…) qui comprend l’architecture algorithmique et prédictive sous-jacente au web, sans nécessairement en dominer le code. Quelque part tu souhaites de nouveau jouer avec le hasard et les extrêmes. Ce qui est intéressant, c’est de réfléchir à la réaction des marchands numériques afin de maintenir des taux de croissance. Car il s’agit bien de faire une proposition de valeur dans le sens de la déconnexion, le respect de la vie privée, l’absence de tracking alors que l’on fonde son modèle économique sur l’inverse. Cela signifie, Marc L***, que l’on va peut-être te proposer de payer pour te protéger, de payer pour garantir ton anonymat (qui n’en sera jamais réellement un), de payer pour supprimer les intrusions intempestives, que des labels « personal data friendly » vont fleurir, que tu vas pouvoir – en faisant appel à un Data Broker –  échanger tes données avec qui tu le souhaites ou le faire en conscience comme avec la société de crédit en ligne lenddo.com. Qu’au fond tu vas succomber à une offre premium qui te permettra de retrouver un peu de hasard et donc de la sérendipité dans ta pratique. D’ailleurs la Silicon Valley se trompe rarement et des entrepreneurs numériques se sont déjà mis en quête de nouvelles offres en ce sens.
 
 L’hyper numérisation de nos vies, doit s’accompagner d’une réflexion philosophique et sociétale 
Alors tu vois Marc L***, c’est une période particulière où l’hyper numérisation de ta vie, de nos vies, doit s’accompagner d’une réflexion philosophique et sociétale. Il y a plus que jamais nécessité à former au fonctionnement du numérique et réfléchir aux conséquences de la numérisation rapide de tous les segments de ta vie. Car il y a une élite numérique qui va sans doute comprendre en profondeur comment tout ceci fonctionne et qui, paradoxalement, même si elle pourrait fabriquer tous ces services, va également de plus en plus s’en extraire. Et pour la majorité, dont tu vas sans doute faire partie, il y a fort à parier qu’à t’on insu tu deviennes un analphanet, un usager aux séquences de vie intégralement quantifiées et suggérées.

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Crédit photo : Michael Coghlan /Flickr
 

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