Le journal télévisé, incontournable ou dépassé ?

Le journal télévisé, incontournable ou dépassé ?

Lancé en 1949 pour couvrir le tour de France et toujours suivi par des millions de Français à l’ère du web mobile et des réseaux sociaux, le journal télévisé paraît inamovible. Analyse d’un genre télévisuel qui traverse les époques.

Temps de lecture : 10 min

Inventé en 1949, le journal télévisé tient une place particulière dans l’histoire de la télévision et dans la mémoire collective des Français. Il est, depuis plus de 60 ans, un lieu central pour la circulation de l’information, un rendez-vous quotidien pour les téléspectateurs et un programme phare pour les chaînes de télévision(1) . Il convient de réinscrire ce phénomène dans l’histoire des médias, mais aussi dans l’histoire politique, culturelle et sociale de la France au XXe siècle, pour comprendre comment et pourquoi le programme d’information se maintient dans cette forme. Quelles évolutions a-t-il connu ? Aborde-t-il toujours les mêmes thèmes ? À quels nouveaux défis le renouvellement du paysage médiatique le confronte-t-il ?

Parangon de l’information pour Agnès Chauveau, moyen de contrôle de l’opinion dans les travaux de Jérôme Bourdon(2) modifiant les habitudes domestiques des Français pour Christian Delporte, témoin de la période la plus créative de la télévision pour Hélène Duccini… le JT a été scruté par les chercheurs en histoire des médias. On cherche ici à cerner les enjeux mis en évidence par la recherche.

L’idée de lancer un journal télévisé apparaît en 1948, année où l’arrivée du Tour de France est pour la première fois retransmise en direct. On ne sait pas si on la doit à Jean Luc (directeur des programmes) ou à Vital Gayman (responsable de l’information à la RDF), mais elle paraît tellement peu raisonnable que les grands professionnels contactés refusent de se lancer dans l’aventure. C’est un jeune radioreporter de trente ans, Pierre Sabbagh, qui accepte de prendre la direction du projet. Avant de devenir journaliste, Sabbagh avait hésité entre la publicité, le cinéma, le théâtre… autant de centres d’intérêt qui se révèlent décisifs dans sa construction du JT.

Les premiers JT : l’invention d’un genre télévisuel

 


Le lancement du premier JT est fixé au 29 juin 1949, jour du départ du Tour de France. Compte tenu du faible équipement des Français en téléviseurs à l’époque (quelques centaines de postes ; moins de 1 % des foyers français équipés), l’objectif de cette première diffusion n’est pas de réunir une audience importante. Il s’agit de convaincre le gouvernement de l’intérêt d’une information en images. Il faut dire que le Parlement est alors en train de voter le budget de la radiodiffusion, pour lequel il instaure la redevance sur les postes de télévision. Le journal télévisé apparaît en même temps que la redevance télé, participant de l’inscription du média dans la vie démocratique. Cette naissance est aussi concomitante de l’installation du premier émetteur de télévision en région (à Lille) ; or, depuis la Libération, la diffusion d’une information politique éclairée à l’ensemble du territoire est une préoccupation constante des pouvoirs publics.
 
Après l’été, Pierre Sabbagh gagne le droit de poursuivre son projet (la diffusion reprend le 2 octobre dans l’indifférence générale) et s’entoure d’une équipe de très jeunes gens. Ce sont des techniciens ou de jeunes diplômés de l’IDHEC (Pierre Tchernia) mais pas des journalistes qui ne veulent pas renoncer à la radio ou à la presse écrite pour ce nouveau média incertain ; les exceptions sont Georges de Caunes et Pierre Dumayet. L’émission est alors quotidienne mais seulement cinq jours par semaine, et diffusée vers 21h.
 
Le tournage du journal télévisé est un exploit quotidien. L’équipe de Pierre Sabbagh n’a que des caméras muettes tournant en 16 mm. Les trucages les plus élémentaires sont impossibles. Faute de zoom, il faut changer d’objectif entre chaque plan. Les images sont tournées le matin, après la conférence de rédaction, développées de manière artisanale et montées dans l’après-midi pour le journal du soir. Le JT est « tout en images », comme au cinéma ; il n’y a pas de présentateur. Pour faire les liaisons, on tourne en direct l’image d’un carton annonçant le thème des images suivantes. Ensuite, le journaliste prend la parole en regardant les images qui sont diffusées ; ses paroles sont accompagnées de musique. Ces « sujets » originaux (de une à trois minutes) ne suffisent pas à utiliser le quart d’heure imparti au JT, qui diffuse également des films d’agence refusés par les actualités cinématographiques.
 
En présentant les sorties des conseils des ministres ou de nombreux reportages sportifs, ces premiers journaux télévisés illustrent l’actualité. Ce sont les actualités cinématographiques qui continuent à être l’information en images pour la plus grande partie de la population, mais l’avantage du JT est d’effacer le traditionnel retard hebdomadaire des reportages de ces actualités, puisque les images sont projetées le jour même du tournage. Ainsi, dès 1950, les images du Tour de France de la veille sont diffusées au journal de la mi-journée et commentées par Georges de Caunes, après avoir été acheminées par train ou voiture. L’autre atout du JT est de donner plus de chaleur à la présentation de l’information. Loin de toute pression sociale ou politique (puisqu’ils n’ont pratiquement pas de public), les journalistes de télévision inventent leur métier.
 
Lorsque Pierre Sabbagh quitte la télévision, en 1954, pour se lancer dans l’aventure d’Europe n°1, le JT est diffusé à 20 h ; il est dominé par des hommes de radio (Claude Darget, Jean Rabaut, Jacques Perrot) dont les visages apparaissent progressivement à l’écran et qui deviennent connus du public.
 

Une information sous contrôle politique

 Tout sujet donnant une mauvaise image de la France est interdit 
En 1958, avec le retour au pouvoir du général de Gaulle, le journal télévisé devient plus politique. Dans ces premières années de la Cinquième République, le JT reste étroitement contrôlé par sa tutelle politique. L’opposition y est proscrite et tout sujet donnant une mauvaise image de la France (conflits sociaux) interdit. Pendant la durée de la guerre d’Algérie, le discours du JT est particulièrement surveillé. Seuls 5 % des foyers français possèdent alors un téléviseur, mais les années 1960 sont celles de l’équipement massif : la télévision devient un média de masse. Les rédacteurs en chef reçoivent de nombreuses consignes. Lorsqu’Alain Peyrefitte arrive au ministère de l’Information, il essaye de professionnaliser les journaux parlés et télévisés et cherche à rendre moins visible la mainmise du pouvoir. Tous les jours, les responsables des journaux parlés et télévisés assistent aux réunions du Service des Liaisons Interministérielles pour l’Information (SLII) qui coordonne l’information gouvernementale. De plus, le ministère de l’Information doit chaque jour donner son accord en visant le conducteur du journal. Le JT est de fait plutôt fade. De retour au JT, Sabbagh déclare alors que « le journal télévisé n’est pas un vrai journal, c’est d’abord un spectacle ».
 
C’est seulement dans les années 1960 que les moyens financiers alloués au journal télévisé permettent de construire une véritable information télévisée. C’est le temps de l’expansion de la télévision, qui équipe 62 % des foyers français en 1968. Les éditions se multiplient : 13h, 19h15, 20h15 et 21h30. Pour faire face à cette concurrence, le rythme des informations parlées se fait plus rapide à la radio : toutes les chaînes adoptent au cours des années 1960 le rythme des flashs horaires. À partir de 1962, se met en place un échange européen quotidien d’actualités qui enrichit les sources d’images du JT. Le prompteur est introduit en 1963, et une nouvelle formule du journal télévisé est alors inaugurée. Elle donne la priorité à l’image, perçue comme garante d’objectivité. Le présentateur est désormais là pour assurer le lien entre les reportages, les témoins et les « spécialistes » (phénomène nouveau) qui viennent éclairer un dossier ou animer un débat (comme Frédéric Pottecher pour la justice ou François de Closets pour la science). Avec les débats et dossiers, c’est le « journalisme d’examen » qui prend plus de place dans les JT. Il s’agit d’être pédagogue, en utilisant graphiques, méthodes et schémas. Dans le même temps, le matériel de reportage se transforme : des caméras de cinéma plus légères et plus mobiles sont utilisées : caméra 16 mm professionnelle et légère, la Coutant bouleverse les pratiques de l’actualité
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Après Mai 68, une timide libéralisation

Lors de la crise de Mai 68, le journal national est un enjeu majeur : le JT ne traite pas en images les manifestations d’étudiants. Yves Mourousi présente celles des 3 et 4 mai comme venant de « groupuscules ». Le 9 mai, Alain Peyrefitte est l’invité du journal, où il minimise la portée de la crise. Les journalistes de l’ORTF entrent tardivement dans la grève mais soutiennent massivement le mouvement. Une poignée de « jaunes » continuent à le produire JT au plus fort de la crise, après le 20 mai. Ils resteront très mal vus des rédactions ensuite, d’autant que la chasse aux sorcières est rude : de Gaulle l’a demandée dès le 19 mai au ministre de l’Information : « Mettez les trublions à la porte et puis voilà ».

En 1969, dans le cadre de la politique de libéralisation (la « Nouvelle société ») voulue par le Premier Ministre Chaban-Delmas, les journaux des deux chaînes de télévision sont placés en concurrence. Les directeurs de l’information obtiennent des garanties de leur indépendance. « L’expérience Desgraupes » (responsable de l’information sur la première chaîne, pendant que Jacqueline Baudrier s’occupe de la deuxième) apparaît comme une tentative prématurée de désengagement de l’État dans l’outil central d’information. Desgraupes s’est entouré d’une équipe de journalistes venus de la presse écrite (François-Henri de Virieu, Olivier Todd) ou de radios périphériques (Philippe Gildas, Etienne Mougeotte). Ils lancent « Information Première », qui impose le modèle américain du présentateur unique. Le JT se professionnalise : les propos du présentateur sont combinés avec des diapositives et des incrustations sur l’écran. Le ton est plus libre, au moins jusqu’au renvoi de Pierre Desgraupes en 1972.

Après l’éclatement de l’ORTF (1974), il existe une véritable concurrence entre les trois chaînes. Pour prendre le contre-pied de son prédécesseur, le nouveau président de la République (Valéry Giscard d’Estaing) a déclaré que les journalistes de télévision étaient « des journalistes comme les autres » et que la télévision n’était pas la voix de la France. Plus subtils, les procédés d’encadrement n’en demeurent pas moins actifs. Ils se développent à l’approche des échéances électorales, ou autour de l’affaire des diamants par exemple.

L’avènement des présentateurs-stars

 


Sur le plan de la formule, le JT continue à évoluer. Tout d’abord, les éditions se multiplient : Antenne 2 lance une édition de la mi-journée en 1979 (présentée par Patrick Lecoq) pour concurrencer le journal d’Yves Mourousi sur TF1. Directeur de l’information de FR3, Jean-Marie Cavada crée un journal national vers 22h en 1978, et la chaîne propose une page régionale en début de soirée. Comme le présentateur unique s’est imposé, la télévision a recruté des « stars » à la radio : Yves Mourousi, Jean-Pierre Elkabbach… et surtout Roger Gicquel, dont le style reste emblématique de la période. Les chaînes se livrent une « guerre du 20h » et Antenne 2 lance un débutant, Patrick Poivre d’Arvor, pour faire face à Roger Gicquel. Décors et scénographies sont attentivement étudiés par les chaînes.
 
Après 1981, sur Antenne 2, Pierre Desgraupes impose pour la première fois une femme comme présentatrice titulaire du 20h, Christine Ockrent – la première femme à avoir présenté, en tant que remplaçante, un JT de 20h étant Hélène Vida (1976). Grâce au rôle bien accepté de la Haute Autorité, l’époque est celle de la conquête de l’indépendance pour les rédactions. Le lancement des télévisions privées et la privatisation de TF1 placent le JT sur le terrain d’une concurrence accrue : le vedettariat (PPDA 1987-2008), mais aussi le populisme du journal de la mi-journée de TF1 ou encore les censures d’informations pouvant froisser le propriétaire de la chaîne en sont les conséquences.
 Les JT sont contraints d’accepter la censure militaire 

Mais le journal télévisé évolue également sous l’influence du contexte international, où se développent la disponibilité des images et la pression de la concurrence. Le faux charnier de Timisoara ou la couverture de la première guerre du Golfe restent comme les exemples types des dérives possibles. Pendant ce dernier conflit, en 1991, les JT, qui se poursuivent parfois toute la nuit, sont contraints d’accepter la censure militaire et se contentent le plus souvent de reprendre les informations officielles. Avec France-Info, puis Euronews et LCI (TF1) et i-Télé (Canal+), BFM TV, France 24… l’information en continu apparaît et renouvelle l’offre d’information pour le téléspectateur.

 

De l’immédiateté à la « slow information »

 

Analysant 20 ans de sujets diffusés dans les JT (depuis la loi de 1995 sur le dépôt légal) INAStat apporte de nouveaux éléments pour comprendre cette pérennité de la forme JT, son ancrage institutionnel, politique et culturel. L’étude souligne tout d’abord qu’après avoir expérimenté des formules « allégées » (en temps et nombre de sujets traités, mais aussi différentes dans la forme), Canal Plus et M6 en sont venus à un JT plus long (25 minutes) donnant la parole à un présentateur en plateau. Dominé par les rubriques « International » et « Société », le JT est à la fois une ouverture sur le monde et un miroir tendu aux Français. La vie politique française et le sport y jouent les seconds rôles (la présence de ces deux thématiques est bien attestée par les statistiques sur les personnalités présentes sur les plateaux).
 
Mais c’est encore l’évolution des formats qui est au cœur de l’analyse présentée par INAStat. Les dernières années sont, en effet, marquées par un recul du nombre de sujets traités par les JT (dont la durée ne diminue pas) : ceux de TF1 et France 2 atteignent les 8000 sujets traités par an. Ces chiffres témoignent, en fait, de l’évolution de la deuxième partie des JT vers une formule plus magazine, une information plus analytique. La notation est extrêmement précieuse pour l’historien des médias : on sait que, depuis le milieu des années 1960 la formule « magazine » a progressivement contaminé l’ensemble de la presse écrite. Les magazines « collent » aux évolutions sociales et constituent la part dynamique des créations de titres ; ils sont bien sûr de bons supports pour les annonceurs. Au milieu des années 1960, les newsmagazines inventent de nouvelles formules de presse écrite pour damer le pion à la télévision, qui offre une information en images aux cadres des Trente Glorieuses. Aujourd’hui, face à la concurrence de l’information en continu, le JT réintroduit des éléments de « slow information », fondée sur l’analyse journalistique. Il n’est plus le média de l’immédiateté. Tout comme les grands quotidiens populaires ont dû se réinventer dans l’entre-deux-guerres, lorsque la radio a commencé à couvrir l’information chaude, la télévision trouve de nouvelles formules d’information à l’heure des réseaux sociaux. Ce qui est frappant pour l’historienne, c’est que la plasticité du JT lui permet de répondre à ces besoins d’innovation et de rester le programme d’information leader.

Un programme qui reste fédérateur

 

Il existe aujourd’hui en France un JT qui ne dit pas son nom, mais qui n’en est pas moins intéressant pour nous. En histoire des médias, lorsqu’il est difficile de mesurer la réception d’un journal ou d’un programme, on se tourne souvent vers ses parodies. Un titre n’est, en effet, imité que s’il représente une force dans l’opinion. Or, il y a aujourd’hui un journal télévisé parodique, qui, par son existence même, souligne la pérennité de la forme JT dans les représentations collectives. Le Petit Journal s’approprie par son titre l’histoire de l’âge d’or de la presse populaire. Par sa forme (mise en scène, présentateur, lancement des reportages, présence de chroniqueurs) et par les sujets traités (actualité politique et sociale), Le Petit Journal  est un journal télévisé. Dans La Démocratie mise en scène, Marlène Coulomb-Gully montrait que Les Guignols de l’information faisaient pleinement partie du jeu politique. Le Petit Journal fait aujourd’hui partie du paysage des JT. Pendant la période estivale actuelle, au cours de laquelle Le Petit Journal s’arrête, les JT des grandes chaînes « récupèrent » quelques points d’audience. Ce phénomène nous montre que le journal télévisé reste le programme fédérateur par lequel chaque chaîne affirme son identité. Par ses évolutions de formule, le JT parvient donc à maintenir en France sa place centrale dans le paysage de l’information et la vie démocratique.

Références

  • Benoit D’AIGUILLON, Un demi-siècle de journal télévisé, Paris, L’Harmattan, 2001, 248 p.
     
  • Jérôme BOURDON et Cécile MEADEL, « Le Journal Parlé. Le Journal télévisé », Jean-Noël JEANNENEY (dir.), L’Écho du siècle, Hachette, 1999, p. 452
     
  • Guy LOCHARD, L’Information télévisée. Mutations professionnelles et enjeux citoyens, Paris, INA-CLEMI-Vuibert, 2005, 218 p.
     
  • Arnaud MERCIER, Le Journal télévisé, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, 345 p.
     
  • Claire SECAIL, « Les mutations du journal télévisé », La Télévision française, TDC, n° 1068, janvier 2014.
     
  • Jacques SIRACUSA, Le JT, machine à décrire sociologie du travail des reporters à la télévision, Bry-sur-Marne/Paris, INA/De Boeck Université, 2001.

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Crédits photos :
Nouveau décor, journal télévisé  AT2 - 16/01/1972 - Bernard Allemane - INA
Valéry Giscard d' Estaing - 03/05/1973 - Jean Pierre Loth - INA
    (1)

    Lorsque le JT émerge sur les écrans français, la plupart des autres pays européens ne connaissent, pour l’infomation en images, que les actualités cinématographiques. L’information ne tient pas non plus une place centrale pour les grands networks américains, qui en laissent par la suite la production aux chaînes locales.

    (2)

    Jérôme BOURDON,Histoire de la télévision sous de Gaulle INA, Economica, 1990.

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