Les premiers JT : l’invention d’un genre télévisuel
Le lancement du premier JT est fixé au 29 juin 1949, jour du départ du Tour de France. Compte tenu du faible équipement des Français en téléviseurs à l’époque (quelques centaines de postes ; moins de 1 % des foyers français équipés), l’objectif de cette première diffusion n’est pas de réunir une audience importante. Il s’agit de convaincre le gouvernement de l’intérêt d’une information en images. Il faut dire que le Parlement est alors en train de voter le budget de la radiodiffusion, pour lequel il instaure la redevance sur les postes de télévision. Le journal télévisé apparaît en même temps que la redevance télé, participant de l’inscription du média dans la vie démocratique. Cette naissance est aussi concomitante de l’installation du premier émetteur de télévision en région (à Lille) ; or, depuis la Libération, la diffusion d’une information politique éclairée à l’ensemble du territoire est une préoccupation constante des pouvoirs publics.
Après l’été, Pierre Sabbagh gagne le droit de poursuivre son projet (la diffusion reprend le 2 octobre dans l’indifférence générale) et s’entoure d’une équipe de très jeunes gens. Ce sont des techniciens ou de jeunes diplômés de l’IDHEC (Pierre Tchernia) mais pas des journalistes qui ne veulent pas renoncer à la radio ou à la presse écrite pour ce nouveau média incertain ; les exceptions sont Georges de Caunes et Pierre Dumayet. L’émission est alors quotidienne mais seulement cinq jours par semaine, et diffusée vers 21h.
Le tournage du journal télévisé est un exploit quotidien. L’équipe de Pierre Sabbagh n’a que des caméras muettes tournant en 16 mm. Les trucages les plus élémentaires sont impossibles. Faute de zoom, il faut changer d’objectif entre chaque plan. Les images sont tournées le matin, après la conférence de rédaction, développées de manière artisanale et montées dans l’après-midi pour le journal du soir. Le JT est « tout en images », comme au cinéma ; il n’y a pas de présentateur. Pour faire les liaisons, on tourne en direct l’image d’un carton annonçant le thème des images suivantes. Ensuite, le journaliste prend la parole en regardant les images qui sont diffusées ; ses paroles sont accompagnées de musique. Ces « sujets » originaux (de une à trois minutes) ne suffisent pas à utiliser le quart d’heure imparti au JT, qui diffuse également des films d’agence refusés par les actualités cinématographiques.
En présentant les sorties des conseils des ministres ou de nombreux reportages sportifs, ces premiers journaux télévisés illustrent l’actualité. Ce sont les actualités cinématographiques qui continuent à être l’information en images pour la plus grande partie de la population, mais l’avantage du JT est d’effacer le traditionnel retard hebdomadaire des reportages de ces actualités, puisque les images sont projetées le jour même du tournage. Ainsi, dès 1950, les images du Tour de France de la veille sont diffusées au journal de la mi-journée et commentées par Georges de Caunes, après avoir été acheminées par train ou voiture. L’autre atout du JT est de donner plus de chaleur à la présentation de l’information. Loin de toute pression sociale ou politique (puisqu’ils n’ont pratiquement pas de public), les journalistes de télévision inventent leur métier.
Lorsque Pierre Sabbagh quitte la télévision, en 1954, pour se lancer dans l’aventure d’Europe n°1, le JT est diffusé à 20 h ; il est dominé par des hommes de radio (Claude Darget, Jean Rabaut, Jacques Perrot) dont les visages apparaissent progressivement à l’écran et qui deviennent connus du public.