Dessin d'un politicien interviewé par une télévision sur la plage

© Crédits photo : La Revue des médias. Illustration : Guillaume Long.

L’été, période « périlleuse pour les gouvernants »

Loin d’être à l’arrêt pendant les grandes vacances, la vie politique française suit son cours, mais à un rythme différent. Pour les politiques, la pause estivale n’en a que le nom, explique Yaël Goosz, chef du service politique sur France Inter et coauteur, avec Jérôme Chapuis, d’Étés meurtriers – Les politiques ne prennent jamais de vacances.

Temps de lecture : 8 min

En quoi l'actualité politique se différencient-elles l'été des autres saisons ?

Yaël Goosz : Dans le cycle politique, l'été est particulier car se terminent à la même période une session parlementaire, qui si elle est extraordinaire peut se prolonger jusqu'à fin juillet, début août, et un dernier conseil des ministres. Ensuite, a lieu une trêve estivale, mais c’est un mot aujourd’hui galvaudé : il n'y a pas vraiment de pause en réalité, c'est un leurre. Même si le parlement s'arrête et que le gouvernement part en vacances, toute une machine d'État continue, et les politiques restent sur le qui-vive. Juste après le 15 août, il y a la reprise du gouvernement puis la rentrée de septembre, octobre, avec la loi de finances. Nous sommes donc toujours entre deux moments politiques.

« Même si le parlement s'arrête et que le gouvernement part en vacances, toute une machine d'État continue, et les politiques restent sur le qui-vive. »

On compte en moyenne deux à trois semaines maximum de pause entre le dernier conseil des ministres et le premier qui redémarre à la rentrée, sous forme de séminaire généralement pour marquer le coup, afin de dire que l'on est de nouveau au travail. Cela est en grande partie dû à la canicule de 2003 : à partir de cette année-là, la période se rétrécit considérablement et toute une communication politique se met en place autour de consignes données aux ministres, qui ne doivent pas partir trop loin de Paris, à moins de deux heures d'avion, etc. On leur demande aussi de réfléchir, comme François Hollande à l'été 2013 qui a souhaité que ses ministres lui ramènent fin août une réflexion sur la France de 2020. Ou Emmanuel Macron qui a demandé à ses ministres de réfléchir au cours de l’été 2018 à la France de 2025. Il ne faut donc pas partir trop loin, et avec des devoirs de vacances.

En quoi l’année 2003 a-t-elle été charnière ? Peut-on encore aujourd’hui en voir les effets dans la communication politique globalement, et celle du gouvernement en particulier ?

Yaël Goosz : 2003 est un double cas d'école. Tout d’abord, il y a la canicule. Jacques Chirac est au Québec, donc assez loin, Jean-François Mattei, ministre de la Santé, est lui dans le Var, dans sa maison de vacances, d’où il répond en duplex de manière complètement décalée à la crise sanitaire provoquée par la canicule. Pour voir les leçons tirées de cet événement, il suffit de voir ce qu’il s’est passé à la fin du mois de juin dernier : alors que l’on était encore en plein dans l'actualité « normale » avec le rythme habituel de la vie politique, le gouvernement  était en pleine coordination avec des messages de type « nous nous occupons de vous, hydratez-vous, vigilance maximale » et des ministres au front, comme François de Rugy [cette interview a été réalisée fin juin, avant la publication des informations concernant François de Rugy par Mediapart] ou Agnès Buzyn. Il s’agit là de toutes les leçons tirées des épisodes caniculaires précédents, mais adaptés à une période d'actualité normale. Certains étés cumulent parfois une actualité complètement imprévue, extérieure, qui percute un appareil d'État pas au meilleur de sa forme puisque tout le monde n'est pas là dans les bureaux, prêts à réagir.

« Cet été, la double angoisse du gouvernement serait un malaise dans les hôpitaux et une résurgence du problème des intermittents du spectacle. »

Et vous avez des crises sociales plus latentes qui, elles, peuvent éclater à tout moment. C’est ce qu’il s’est passé en 2003, avec la crise des intermittents qui s’était ajouté à la canicule. Pour l'été qui arrive, nous venons de sortir des « gilets jaunes » et évidemment la double angoisse du gouvernement serait un malaise dans les hôpitaux et une résurgence du problème des intermittents du spectacle. Mais dans les deux cas, ils veillent au grain. La réforme de l'assurance chômage en préparation ne va pas jusqu'au régime des intermittents, et c'est évidemment fait exprès, afin d’éviter de mettre le feu à nouveau dans un contexte politique tendu pour cet été.

Que cela implique-t-il pour le service politique, au niveau de l’organisation, d'avoir une vie politique qui continue durant l'été ?

Yaël Goosz : Il n’est pas possible de laisser un service vacant : une équipe entière ne peut pas partir en vacances en même temps. Il est nécessaire de perler les deux mois et d’avoir au minimum deux personnes capables de réagir à tout moment pour se positionner sur les sujets. C'est évident, presque de l'ordre du naturel : il n’y a pas de service totalement vide durant le mois d'août. Cela n'existe pas, ou plus, parce qu'il y a forcément une actualité qui peut arriver. En politique, des « équipes B » se mettent en place durant l'été et vont porter un discours. On peut imaginer qu’il y aura beaucoup de choses pendant l'été, que ce soit chez Les Républicains, entre les candidatures alternatives à Christian Jacob pour le groupe LR à l’Assemblée nationale, ou du côté des marcheurs qui veulent se mettre en valeur pour les municipales. Voilà un exemple parmi d'autre qui explique qu'il faut avoir l'œil sur ces semaines qui paraissent mornes, mais ne le sont pas.

L'été est aussi la période des congrès, des universités de partis, très importants par le passé. L'est-ce toujours ?

Yaël Goosz : Oui, il serait faux de penser le contraire, même si on aurait pu le penser avec le côté « dégagiste » manifesté en 2017. La journée des Verts à Toulouse va être fondamentale pour la stratégie à venir, notamment sur les plans de Yannick Jadot, qui souhaite reconstruire une écologie ni de droite ni de gauche. Les marcheurs qui avaient fait de leur différence un slogan, en disant qu'ils ne feraient pas d'université d'été comme les autres, insistant sur le fait qu'ils n'avaient pas besoin de ça : eh bien c'est faux ! Début septembre, ils en feront une à Bordeaux, très symboliquement, là où il y a un rêve d'implantation en terre juppéiste. Nous revenons donc finalement à des choses assez classiques : chaque écurie veut se montrer fin août, début septembre, pour être dans les starting blocks.

« Chaque écurie veut se montrer fin août, début septembre, pour être dans les starting blocks. »

Ces rendez-vous reviennent presque à la mode dans ce qu’il reste des partis et des mouvements, et même parfois on devance la rentrée. Du 5 au 7 juillet à la Charité-sur-Loire plusieurs personnalités de gauche ont tenté de réfléchir à leur avenir en commun. Tout cela s'organise dans l'été, on pose des jalons pour la suite et on essaie de montrer aux médias que l'on est encore là et que l'on réfléchit. Il y a ces quelques rendez-vous « carte postale », ancrés dans le territoire, toujours utiles pour les politiques qui les utilisent. Valérie Pécresse a elle-même instauré un rendez-vous de rentrée en Corrèze, à Brives, afin de marquer le coup.

Dans quel état d'esprit sont les politiques durant cette période, est-il facile de les approcher, sont-ils plus proches de vous, cela a-t-il changé ?

Yaël Goosz : Ils font œuvre de plus de discrétion, se ressourcent pour construire la stratégie d'après, que nous n'avons pas encore eu forcément le temps d'interpréter, et qui peut nous surprendre. Ce que dit François Hollande concernant ses étés en politique est qu’il faut « savoir décrocher, mais jamais raccrocher » : toujours être disponible et joignable par la presse, mais décrocher un peu pour se régénérer et construire la stratégie d'après. Il y a de nombreux exemples. Emmanuel Macron en 2016 : c'est la conquête du pouvoir invisible, puisqu'il va démissionner au sortir de l'été, le 31 août, et prendre de court François Hollande. Tout l'été a consisté à muscler dans le plus grand secret cette association, En Marche, créée en avril de cette année-là et que l'on ne voit pas venir sur les radars, ou très peu.

« La politique est indissociable de la communication, période estivale ou pas. »

Autres exemples, plus anciens : en 2009, Martine Aubry rénove le Parti socialiste du sol au plafond. Le plan est construit durant en vacances, en Bretagne, et ce sera la grande surprise de la Rochelle où elle annonce qu'elle veut des primaires. L’été 2010, Nicolas Sarkozy est confronté à pas mal d'affaires qui l'empoisonnent — les cigares de Christian Blanc, l'affaire Woerth-Betancourt — et que fait-il ? Le contresaut sécuritaire lors du discours de Grenoble, le  30 juillet 2010. Discours qui va d’ailleurs faire date et sera même l'une des raisons pour lesquelles Nicolas Sarkozy s'enferme dans une droite beaucoup plus sécuritaire et identitaire. Il aura du mal à s’en échapper par la suite, et cela l'empêchera de gagner en 2012.

La politique est indissociable de la communication, période estivale ou pas. Les politiques marketent leurs vacances, bien sûr, parfois même à leur détriment. C’est un marronnier estival qui revient tout le temps fin juillet : qui va où et pourquoi. Il y a un traitement qui peut être plus « léger », mais le métier reste le même au quotidien.

Comment s'organise le travail du journaliste politique l'été ? Cela diffère-t-il du reste de l'année ?

Yaël Goosz : C'est un moment durant lequel nous allons plus réagir à l'actualité lorsqu’elle arrive, plutôt que d'anticiper le scoop, avec un quotidien rythmé par les projets de loi par exemple. Durant deux semaines et demie, les cabinets sont moins peuplés, il n'y a plus de déjeuners en ville, c'est une relation plus téléphonique que physique. Tout ce qui est de l’ordre du législatif est gardé sous le manteau pour la rentrée parlementaire fin août, mais les sources ne changent pas, mêmes éloignées. Vous prenez le risque que l'on vous dise que c'est prématuré, et l'on vous donne rendez-vous à la rentrée.

Les publics ont-ils vraiment envie d'entendre parler de politique l'été ?

Yaël Goosz : C'est le grand mythe du « on n'emmerde pas les français avec la politique l'été ». Mais la politique est partout, elle irrigue un peu tout. C'est trancher, arbitrer, quel que soit le domaine, une crise des urgentistes à résoudre ou une réforme des institutions sur le non cumul dans le temps des mandats à négocier. Tout peut avoir du sens, cela dépend de comment on le raconte. Durant l'été, nous pouvons quand même aller chercher les lecteurs, d'une manière peut-être plus pédagogique, sur les enjeux de la rentrée, sur ce qui les attend, ce qui peut changer dans le quinquennat et au-delà dans leur vie de tous les jours, si telle ou telle réforme est envisagée, comment ce serait arbitré, sur ce que le gouvernement a fait ou pas fait après les « gilets jaunes », etc.

C'est aussi un moment durant lequel les Français peuvent à tête reposée s'acheter un journal dans un kiosque, allumer la radio s'ils en ont envie, s'imprégner autrement d'enjeux, en prenant le temps qu’ils n’ont pas dans le rythme normal de l’année. Édouard Balladur a dit que « l'été, l'attention est plus forte », et qu’il n'y a pas de meilleur moment pour être écouté, parce que justement votre message rentre dans un cadre où la personne est plus disponible pour réfléchir derrière. « Les vacances sont une caisse de résonance », comme l’a dit Roger Karoutchi.

L’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée a-t-elle changé le rapport des politiques à la période estivale ?

Yaël Goosz : Nous sommes dans une continuité. Prenons deux étés : 2016, c’est la conquête du pouvoir un peu secrète d'Emmanuel Macron qui se déclarera candidat à la sortie de l'été ; 2017, assez classique, est l'été qui suit les élections. Ces étés-là, post-élection présidentielle, sont souvent des périodes de mise en place extrêmement périlleuses, il y a la fatigue qui suit l’élection, et tout le plan prévu n'est pas forcément réalisable en l'état. En 2017, cela a commencé par une sorte de crise entre Emmanuel Macron et Édouard Philippe sur le rythme à adopter pour les réformes à mettre en place. Édouard Philippe cherche à boucler son budget et reste très prudent, notamment sur la mise en place de réforme de l'ISF qui se ferait dans un an ou deux selon ses dires. Mais Emmanuel Macron lui tombe dessus, expliquant qu’il est impossible d’attendre car il y a des signaux angoissés de la part des patrons du CAC 40 et milieux d'affaires, qui eux veulent rapidement les résultats des promesses électorales.

François Hollande en 2012 n'a pas échappé à cet été de mise en place. Tout le calendrier de réforme est un peu percuté par la réalité et on sort de l’été avec des Unes dévastatrices, celle du Point titre « Fini de rire » avec François Hollande qui regarde sa montre qui à l'envers.

Il y aurait un cycle de l'été, d'une certaine façon ?

Yaël Goosz : Absolument. Il y a les étés qui précèdent les élections — la conquête du pouvoir —, les étés qui suivent les élections — tâtonnement, mise en place, confrontation à la réalité, atterrissage —, c’est quelque chose que l'on retrouve à chaque fois, quel que soit le pouvoir, « dégagiste » ou pas.

« Les relations à distance avec des boucles Telegram, ce n’est pas la même chose que de se voir humainement autour d'une table et de confronter les arguments. »

Après, il y a aussi les affaires qui éclatent quand vous ne vous y attendez pas, comme l'affaire Benalla, qui a détruit une partie de la popularité acquise par Emmanuel Macron et empêché la réforme des institutions sur laquelle il avait beaucoup misé et qui est aujourd'hui renvoyée aux calendes grecques. S’enchaînent ensuite la démission de Nicolas Hulot — il n'obtient pas les arbitrages qu'il veut et sort avec fracas dans la matinale de France Inter (le 28 août 2018) —, et les interrogations de Gérard Collomb (qui sortira lui aussi du gouvernement).

La manière dont vous présentez l'été en politique en général donne l’impression qu’il s’agit d’une période extrêmement périlleuse sur le fond mais très calme en surface....

Yaël Goosz : Périlleuse pour les gouvernants, car nous ne sommes plus dans la même routine et la vigilance d'un gouvernement qui se réunit toutes les semaines avec des capteurs à tous les niveaux et des réunions de majorité à l’Élysée, par exemple. Nous sommes dans des relations à distance, avec des boucles Telegram, WhatsApp, ou en texto. Ce n’est pas la même chose que de se voir humainement autour d'une table et de confronter les arguments. Donc c'est périlleux de ce point de vue-là, mais c'est aussi périlleux pour des oppositions qui ne profiteraient pas du bon filon au bon moment pour optimiser une idée, l'imposer et mettre en difficulté la majorité.

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