Olivier Mauco, docteur en science politique, s’attaque dans cet ouvrage aux questions politiques et morales qui font souvent l'objet de controverses dans l’industrie du jeu vidéo. Sa position de consultant et de game designer, mais également de joueur, lui confère une place de choix pour traiter de ces problématiques : l’auteur, à la manière des « aca-fans » est impliqué et distancié dans sa recherche.
Cette analyse diachronique et évolutive de l’histoire politique des jeux vidéo en France se place du côté des industries créatives, des récepteurs, mais également des médias (généralistes et spécialisés). Ce triple terrain permet de confronter les points de vue et de dessiner les contours de mise en place de régulations, et des enjeux sous-jacents qui ne sont pas toujours dans l’intérêt des joueurs.
L’ouvrage est composé de cinq chapitres qui offrent aux lecteurs différents terrains et analyses : la publicité et son impact sur la perception des jeux vidéos, la croisade morale et le rôle de la presse, la violence à travers les faits divers reportée sur les jeux vidéo, les associations de défense de la morale françaises et la mise en place de la notion d’addiction autour des jeux vidéos.
Dès l’apparition et la commercialisation des premiers jeux vidéo et des consoles de salon, la publicité a joué un rôle dans la perception par le grand public de ces produits de divertissement. Après avoir fait preuve de pédagogie pour présenter ces produits nouveaux aux joueurs potentiels, l’accent est mis sur la qualité des catalogues de jeux offerts par les firmes – telles que Atari. L’expérience fictionnelle, la puissance éprouvée par le joueur et l’aspect familial fédérateur sont mis en avant par des publicités qui utilisent les postures des joueurs et leur environnement comme déclencheur sémiologique.
La figure du joueur est ce qui va avoir un rôle de « polarisation : logique marchande contre enjeux publics, joueur consommateur contre citoyen institutionnel »
. L’opposition entre presse spécialisée (qui naît en France en 1982) et presse généraliste va cristalliser les débats sur le rôle des jeux vidéo dans la société et en particulier sur l’influence du jeu vidéo et ses effets sur les adolescents et les enfants. En s’appuyant sur le débat sur l’épilepsie, Olivier Mauco montre comment la presse généraliste discrédite la presse spécialisée. S’ajoute ensuite la comparaison entre esthétique des jeux vidéo et du cinéma qui positionne les jeux vidéo comme un produit culturel amoral et violent, avec des effets négatifs sur les jeunes publics. En témoigne la tuerie de Colombine par exemple, telle que décrite dans la presse.
À partir de ce moment là, la problématique des jeux vidéo va devenir une question débattue par les politiques et faire l’objet d’amendements et de lois. Comme le rappelle Olivier Mauco, « la question des effets des jeux vidéo devient alors une ressource politique, une entrée supplémentaire dans le débat sur l’insécurité »
. Les jeux vidéo, dans leur traitement médiatique, quittent ainsi les pages technologiques de la presse généraliste et deviennent, à partir de 1999, un problème public, notamment avec la sortie de jeux comme Grand Theft Auto qui crée la polémique.
Dès lors, les associations de défense des droits des familles s’engouffrent dans la brèche. L’auteur montre comment Familles de France, entre autres, a joué un rôle fondamental de perturbation de l’industrie des jeux vidéo en réclamant des contrôles d’auto-régulation et de réglementation des contenus vidéoludiques, malgré l’existence de la procédure européenne. Pour contrer cela, l’industrie, via le SELL (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs) travaille sur une signalétique propre qui vise trois enjeux : « un objectif de lisibilité pour la modification technique du dispositif, un objectif de crédibilité par le renforcement des procédures de contrôle, et enfin un objectif de visibilité par la mobilisation des acteurs pouvant se faire les portes paroles du dispositif »
. Dans cette optique, les revendeurs et l’industrie sont garants de la mise en place de la signalétique et de sa compréhension par les joueurs et les consommateurs de jeux vidéo. La réputation du jeu établie sur la jaquette à des fins marketing devient alors un enjeu moral dont se saisissent les associations de défense type Familles de France.
La problématique morale liée aux effets des jeux vidéo sur les jeunes publics bascule vers le paradigme de l’addiction. Olivier Mauco décrit les mécanismes scénaristiques d’une émission de Ça se discute consacrée aux addictions chez les adolescents comportant un reportage et un témoignage d’un joueur. Les images et leur mise en scène contribuent en renforcer les effets supposés des jeux vidéo sur le comportement du joueur : violence, défiance de l’autorité parentale et décrochage scolaire. Pour l’auteur, la scénarisation dramatique renforce les clichés : « les règles de l’art tragique sont respectées : unité de temps (une journée ordinaire), lieux définis (le domicile familial / l’école / le cybercafé), unité d’action (le jeu pathologique) »
. Dès lors, le jeu vidéo n’est plus un produit culturel mais assujettit les publics à une maladie pathologique et psychiatrique : l’addiction qu’il faut soigner, au même titre que celles liées à l’alcool ou aux drogues.
À travers cet ouvrage, Olivier Mauco construit une histoire du jeu vidéo en empruntant un angle politique et moral. Dans ce livre nourrit d’exemples concrets et d’études de cas, l’auteur parvient à démontrer les rôles des industries, des médias et des associations dans la construction de la figure du joueur et par extension dans l’appréhension morale des jeux vidéo. Il est intéressant de ce point de vue de poursuivre les recherches d’Olivier Mauco par son étude de cas sur
GTA IV
pour essayer de comprendre comment un jeu vidéo controversé est passé d’objet déviant à un succès critique et populaire, encore une fois à travers les discours médiatiques et le marketing de l’industrie vidéoludique.
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